25 ans depuis le Prix Nobel de la Paix

29/09/2005
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Buenos Aires, septembre 2005. Chemins de lutte et d'espérance, Ensemble avec les peuples d'Amérique Latine. Chers amis, chères amies, recevez un salut fraternel de PAIX et de BIEN. Je veux ici faire mémoire des 25 années écoulés depuis que j'ai reçu le Prix Nobel de la Paix, partager avec vous le souvenir de quelques chemins parcourus depuis ce temps-là, et vous remercier d'avoir partagé les luttes et les espérances ensemble avec les peuples. Le 13 octobbre 1980, je me trouvais dans la rue en train d'apporter des informations concernant les droits de l'homme à plusieurs institutions ou ambassades, car nous vivions alors sous la dictature militaire argentine. Cela faisait peu de temps que je n'étais plus soumis à "la liberté surveillée" qu'on mavait imposée à ma sortie de prison pendant 28 mois au total. Vers 10 heures du matin, Amanda, mon épouse, m'appelle au téléphone pour me dire que je devais aller de toute urgence à l'Ambassade de Norvège. Quand j'y suis arrivé, l'ambassadeur m'a invité à passer dans son bureau et je me souviens qu'il regardait sa montre avec insistance, comme s'il attendait quelque chose ou quelqu'un. C'est à midi juste de l'heure argentine qu'il m'annonce que le Comité Nobel m'avait accordé le Prix Nobel de la Paix. Grande a été ma surprise car je ne m'attendais pas à cet honneur. Cela faisait trois ans que j'avais été présenté comme candidat, y compris lorsque j'étais encore en prison. Ma première réaction a été de dire à l'ambassdeur: "Je vous remercie pour cette haute distinction et j'accepte ce Prix Nobel au nom des peuples d'Amérique Latine, spécialement au nom de nos frères indiens, des paysans, des organisations populaires, des travailleurs, des religieuses et des religieux, de tous ceux qui partagent la vie, les angoisses et les espoirs, ensemble avec les peuples qui luttent jour après jour pour un monde meilleur". Je lui dit que mon engagement n'est pas isolé et que je le partage avec des milliers de frères et de soeurs dans toutes l'Amérique Latine, ensemble avec les compagnons et les compagnes du SERPAJ, le Service pour la Paix et la Justice, en Argentine et dans toute l'Amérique Latine, et que je les remercie de l'honneur de partager avec eux depuis plus de trente ans les luttes, toujours par des moyens non-violents, dans mon pays et dans tout le continent. Cela s'est passé il y a 25 ans, et mes convictions se sont renforcées avec le temps, grâce à cette décision que j'ai assumée alors et qui, tout simplement, est devenue un engagement de toute ma vie à partir de la spiritualité chrétienne ouverte à l'oeucuménisme pour partager, avec d'autres religions et d'autres modes de pensée , la vie et le cheminement des peuples à partir de la Non-Violence Evangélique comme force de libération. Il s'agit là un combat permanent pour changer les structures d'injustice et pour faire respecter les droits humains dans la construction démocratique. C'est avec beaucoup de personnes et d'organisations qu'ensemble nous avons cheminé. Il m'est impossible de les citer toutes. Par avance, je m'excuse auprès de celles que je risque d'oublier dans ce texte bref et incomplet, mais toutes demeurent dans mon esprit et dans mon coeur, et je suis sûr que nous continuerons ensemble à semer des semences de résistance et de dignité pour qu'un autre monde soit possible. Je voudrais me souvenir ici des quelques frères et soeurs qui ont profondément marqué ma vie et celle du SERPAJ en Amérique Latine, comme la Docteur et amie Hildegarde Goss Mayr et son époux Jean Goss qui est maintenant décédé. Ils étaient responsables du Mouvement International de Réconciliation, le MIR, qui a son siège à Vienne et qui se trouve aussi dans plusieurs pays d'Europe. Ils ont dans les années 60 lancé de nombreuses actions avec les églises au niveau oeucuménique dans tout le continent depuis le Mexique jusqu'en Patagonie, pour faire connaître la non-violence aux secteurs sociaux les plus marginalisés et les plus pauvres du continent. Je me souviens aussi de mon ami et maître, Lanza del Vasto, disciple du Mahatma Gandhi. Dans ce cheminement partagé, je veux aussi me souvenir de Dom Helder Camara, prophète de l'Amérique latine, de Monseigneur Léonidas Proaño, l'évêque des pauvres et des Indiens à Riobamba en Equateur, du Père Pépé Gomez Izquierdo de Guayaquil, de Dom Antonio Fragoso, l'évêque de Crateus dans le Nord-est du Brésil. Avec eux, j'ai partagé la prière, la réflexion et même la prison. Je veux encore me souvenir du Cardinal Archevêque de Sao Paulo, Dom Pablo Evaristo Arns, du poète de l'Araguaya, Dom Pedro Casaldàliga, évêque de Sao Felix de Araguaya au Brésil, des évêques de l'Eglise Méthodiste Argentine, Carlos Gattinoni, Fédérico Pagura et Aldo Echegoyen. Mais je me souviens aussi du martyr de l'Amérique Latine, Monseigneur Oscar Romero, évêque de San Salvador qui a donné sa vie pour son peuple. Nous lui avons rendu hommage à San Salvador voici quelques jours pour l'anniversaire de son assassinat. Mais aussi du Rabin Marshall Meyer de la Communauté Bet-El en Argentine et de tous les frères et soeurs avec lesquels nous avons résisté aux dictatures tout en partageant la prière chacun avec sa façon de voir et sa propre foi dans le Dieu de la Vie. Je me souviens des frères évêques argentins qui restent chers à mon coeur: Mgr Jaime de Nevares, évêque de Neuquen, Mgr Esteban Hesayne, évêque de Viedma et Mgr Jorge Novak, évêque de Quilmes. Mais aussi des chères Mères et Grand-mères de la Place de Mai, des amis et des Organisations de Droits de l'Homme, de la Commission de la Mémoire de la Province de Buenos Aires, des compagnons et des compagnes du SERPAJ en Amérique Latina et en Argentine, des amis de l'Université de la Paix en Catalogne, à San Cugat del Valles. Toutes ces personnes sont des exemples de résistance et de dignité. Bien des organisations amies et solidaires nous ont accompagné et soutenu tout au long de ces années et nous ont permis de continuer le travail que nous réalisons en Amérique Latine et dans le monde: Misereor et Adveniat de l'Eglise Catholique allemande, le CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) en France, la fondation France Libertés de Danielle Mitterrand, amie et militante de la Vie, la Fondation Internationale Carrefour qui nous apporte son appui solidaire dans notre travail éducatif avec les jeunes en situation de risque social, la Fondation S'Olivar de Palma de Mallorca, ICCO de Hollande, toutes ces associations qui pendant des années nous ont soutenu dans notre travail. Toutes ces personnes ont semé dans des chemins divers la solidarité et la résistance face aux injustices, à la faim, à la pauvreté et aux inégalités sociales, politiques et économiques. Durant toutes ces années nous avons obtenu quelques succès et subi quelques revers. Les difficultés ne nous ont pas manqué. Bien des fois j'ai signalé que là où les utopies n'existent pas, nous devons avoir la capacité de les inventer. Nous devons recréer la vie et l'espérance malgré tout. Je ne peux m'empêcher de raconter ici deux expériences que j'ai vécues en prison durant la dictature militaire et qui ont été pour moi des situation limites entre la vie et la mort. D'abord, cette tâche de sang sur le mur du cachot du centre de tortures où un prisonnier ou une prisonnière, qui m'avait précédé là, avait écrit avec son propre sang "Dieu ne tue pas". Cet acte d'une foi profonde et d'un réel engagement exprimait bien au nom de tous les morts et de tous les disparus, cette résistance des peuples qui malgré la souffrance n'a jamais faibli. Ils ne sont pas arrivés à nous vaincre et nous continuons la construction d'un monde plus juste et plus fraternel. L'autre expérience vécue a été celle du vol de la mort du 5 mai 1977. J'ai survécu grâce à la solidarité internationale qui les a empêchés de me jeter à la mer comme tant d'autres prisonniers. Dans cette situation limite entre la vie et la mort, la prière a été ma véritable force et je pensais aussi à ma famille et au peuples d'Amérique Latine. Beaucoup de souvenirs sont remontés alors avec force à mon esprit et à mon coeur. Le jour se levait et à l'obscurité succède toujours la lumière. Nous devons découvrir les signes d'espérance dans notre continent où les peuples indigènes restent toujours debout en réclamant leurs droits. Les mouvements de femmes, de paysans et de travailleurs tracent de nouvelles routes et manifestent leur présence. Cette dynamique de vie montre de nouvelles émergences de rivières souterraines et de nouveaux visages de l'humanité. Le Forum Social Mondial, le Sommet des Peuples, , les Forums thématiques, voilà les grands défis pour construire la Paix comme fruit de la Justice et de la Vérité. Sur ce chemin, j'ai toujours éprouvé le besoin de regarder vers l'intérieur, vers la spiritualité , qui acquiert une nouvelle vigueur et se fortifie dans la transcendance de l'humanité en partageant le pain et la liberté avec nos peuples. Malgré la situation actuelle que vit le monde et notre continent, malgré les guerres, la faim, la pauvreté et la marginalité, nous ne pouvons pas baisser les bras. Nous devons continuer dans la résistance et nous fortifier dans l'unité et la solidarité entre les peuples. Chers amis et chères amies, compagnons et compagnes sur ces chemins d'Amérique Latine et du monde, MERCI pour votre générosité et pour le soutien que j'ai toujours reçu de vous et qui ont aussi accompagné le SERPAJ. Cela me donne force et espérance de savoir que nous continuons ensemble le combat afin d'obtenir un nouvel avenir pour tous. 25 ans, c'est seulement une halte sur le chemin de la vie pour réfléchir, retrouver de l'énergie et continuer. "Il faut continuer à aller de l'avant, sans plus", comme nous l'enseignait ce cher Monseigneur Enrique Angelelli qui a donné sa vie pour donner la vie. Enfin, je pense à ma famille qui est toujours restée ferme dans l'adversité et dans la résistance, fondamentalement dans l'unité et l'amour.
https://www.alainet.org/fr/articulo/113106
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