Développement et paix

Réflexion sur les concepts de « pauvreté » et de « DÉVELOPPEMENT »

29/04/2005
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Pauvreté et développement, voilà deux concepts qui sont souvent associés, le premier étant fréquemment présenté comme la justification du second. Nombreux sont en effet les programmes et les projets de développement qui sont apparemment mis en œuvre parce qu’il y a des pauvres, pour lutter et même éliminer la pauvreté, spécialement dans les pays du Sud. La troisième section de la Déclaration du Millénaire s’intitule d’ailleurs « Développement et élimination de la pauvreté » et le premier Objectif de développement du Millénaire qui a suivi cette déclaration propose spécifiquement, d’ici l’an 2015, de réduire de moitié la pauvreté extrême et la proportion de la population souffrant de la faim.

D’autre part, si on scrute plus profondément chacun de ces deux concepts, que découvre-t-on? Quels sont, dans l’histoire, les rapports que nos sociétés ont entretenus avec eux? Dans quelles circonstances se sont-ils rencontrés?

1. Le concept de pauvreté

Prenons d’abord le concept de pauvreté. J’aimerais en faire ressortir deux facettes fondamentales dans une perspective de développement. D’abord, que la pauvreté a été depuis longtemps en Occident un important facteur d’exclusion sociale. Ensuite, que si on élargit l’observation à plus grande échelle, au-delà des sociétés capitalistes des pays du Nord et au-delà de sa réalité immédiate et qu’on la replace dans un contexte culturel et social plus large, il devient nécessaire de la relativiser quelque peu.

a) Le rapport à la pauvreté dans les pays du Nord

L’existence d’une masse de pauvres a souvent été considérée dans l’histoire occidentale comme un facteur de désordre, une menace à l’ordre établi, surtout à partir de la fin du Moyen-Âge (XIVe et XVe siècles). La tradition chrétienne avait pourtant dans ses débuts, durant plusieurs siècles, valorisé, voire glorifié la personne pauvre dont on disait qu’elle entretenait un lien étroit avec Dieu et qui conséquemment apparaissait, pour le riche, comme un truchement nécessaire dans sa quête de salut, ceci à travers l’aumône qui était vue comme un devoir (Sassier 1990 : 41-58). La situation commença à changer alors que les villes étaient en croissance et qu’on y expulsait au-dehors les mendiants et les gens oisifs (ibid. : 11 et 62-63). On chassait également les « fous » qui constituaient bien souvent une sous-catégorie à l’intérieur de celle des pauvres , surtout ceux qui étaient étrangers, que l’on laissait courir dans les campagnes éloignées, que l’on confiait à des marchands ou des pèlerins et que l’on plaçait dans des bateaux envoyés à la dérive sur les fleuves de la Rhénanie et les canaux flamands, d’où cette image de la « Nef des fous » (Foucault 1972 : 21-23).

Mais c’est au XVIIe siècle, alors que la mendicité faisait rage dans les villes, qu’on assista en Europe au phénomène inverse, tout au moins dans sa forme, à ce que Foucault (1972 : 67-109) a appelé « le grand renfermement », c’est-à-dire l’internement massif des mendiants, des pauvres et des indigents qui étaient alors perçus comme un danger pour la cité. Bien sûr, au même moment, on dirigeait ou expulsait également les pauvres vers les colonies. D’ailleurs, comme nous allons le voir plus loin, l’internement a aussi joué un rôle dans le peuplement des colonies. C’est donc dans ce contexte du « grand renfermement » que fut créé en 1656 l’Hôpital Général de Paris[1], mesure qui fut ensuite généralisée à l’ensemble des villes de France par l’Édit du 12 juin 1662[2] (Sassier 1990 : 11 et 62-63). Cette année-là, l’Hôpital Général de Paris renfermait déjà à lui seul 6 000 personnes, soit environ 1% de la population de la ville (Foucault 1972 : 79). Quelques précisions s’imposent.

Premièrement, ces nouveaux établissements qu’étaient les hôpitaux ne possédaient pas, à cette époque, un caractère médical mais ils correspondaient plutôt à une institution morale semi juridique qui, en-dehors des tribunaux, jouissait d’une grande autonomie de décision pour remplir une double fonction. D’une part, l’Hôpital voyait à la répression, voire à la correction, de ce que l’on percevait comme un relâchement des mœurs des populations pauvres. D’autre part, elle s’assurait que les pauvres internés en son sein soient productifs, c’est-à-dire soumis au travail forcé dans des manufactures, ceci afin qu’il servent, selon le cas, de « (…) main-d’œuvre à bon marché, dans les temps de plein emploi et de hauts salaires; et, en période de chômage, résorption des oisifs, et protection sociale contre l’agitation et les émeutes » (Foucault 1972 : 95).

Deuxièmement, l’internement des pauvres n’était pas exclusif à la France, constituant, sous diverses appellations, un phénomène paneuropéen. C’est à Rome que la papauté a créé le premier hôpital en 1581 tandis que Bridewell, la première workhouse, est née à Londres en 1557 (Fossier 2003 : 2-3). C’est par ailleurs dans les villes allemandes que survint, dès 1620, le premier internement massif des pauvres mais c’est dans la seconde moitié du XVIIe siècle que se répandirent les maisons de correction, les Zuchthäusern, tandis qu’au même moment, en Angleterre, on retrouvait les houses of correction et les workhouses (Foucault 1972 : 77-78 et 93).

Troisièmement, l’internement dans ces établissements n’était pas réservé exclusivement aux pauvres, on y rencontrait aussi des vénériens, ainsi que des hommes et des femmes classés sous la catégorie de la déraison, c’est-à-dire des fous, des débauchés, des dissipateurs, des magiciens, des suicidés, des libertins et des blasphémateurs, somme toute l’ensemble de ceux et celles qui s’écartaient de la norme sociale (ibid. : 110-147).

Quatrièmement, ce « grand renfermement » des pauvres dénote un rapport particulier avec la misère, non pas celui de secourir les démunis mais celui de les punir ou des les châtier, la pauvreté elle-même étant bien souvent vue comme une humiliation, une punition de Dieu (Fossier 2003 : 6 et Foucault 1972 : 80-81).

Enfin, si on considère la question dans une perspective diachronique ou évolutive, le renferment des pauvres à l’intérieur des villes succède à un autre mécanisme d’exclusion sociale, celui de leur repoussement au-dehors. Les pauvres ont donc été successivement expulsés puis internés, deux pratiques qui épousent en apparence des formes opposées l’une centrifuge, l’autre centripète , mais dont le résultat final débouche sur un phénomène social semblable, celui de leur mise à l’écart, de leur exclusion de la vie de la cité. Par ailleurs, les pauvres n’ont pas été les premiers à subir une telle mise à l’écart. Qui plus est, ils apparaissent, dans leur renfermement, comme les héritiers des lépreux du Moyen-Âge : « Le classicisme a inventé l’internement, un peu comme le Moyen Âge la ségrégation des lépreux; la place laissée vide par ceux-ci a été occupée par des personnages nouveaux dans le monde européen : ce sont les « internés » » (Foucault 1972 : 77)

Tout au long du XVIIIe siècle, la répression et l’internement des pauvres continuèrent (Sassier 1990 : 175-177). L’internement devint même un mécanisme servant au peuplement des colonies d’Amérique, une sorte « (…) d’entrepôt dans lequel on tient en réserve les émigrants qu’on enverra au moment choisi, et dans la région déterminée (Foucault 1972 : 503). »

Mais, durant la seconde moitié du siècle, survint un bouleversement des formes instituées d’internement (ibid. : 477-524). D’une part, on remit en question la présence des insensés au sein des mêmes institutions que les infirmes, les mendiants et les pauvres. La folie devint « la hantise des internés » et la présence des fous fut reconnue comme une injustice pour les autres, comme une « promiscuité honteuse » (ibid. : 498). De nouvelles maisons furent alors créées, les asiles, pour recevoir exclusivement les fous. D’autre part, la pratique de l’internement sembla elle-même de plus en plus inefficace face aux crises qui se succédaient et commença à reculer, surtout à partir de 1770 (ibid. : 504-509). L’indigence fut alors davantage considérée sous l’angle économique et l’internement apparut aux économistes libéraux de cette phase industrielle du capitalisme comme une mesure coûteuse détournant inutilement toute une cohorte de main-d’œuvre du marché du travail et freinant par conséquent la mise en valeur des richesses. Surgit alors la distinction entre les « pauvres valides » et les « pauvres malades » (ibid. : 515). Les premiers étaient dépeints comme des éléments positifs qu’il fallait éviter d’interner et dont la présence libre sur le marché du travail allait servir de main-d’œuvre à bon marché. Seules les personnes pauvres malades, qui n’avaient par ailleurs aucune utilité économique, étaient vus comme nécessitant une assistance totale, prodiguée de préférence à l’échelle privée par les familles, ceci au nom d’un devoir social fondamental empreint de solidarité et de pitié (ibid. : 517-522). C’est ainsi que le déclin de la pratique instituée de l’internement, en « libérant » une masse de main-d’oeuvre sur le marché, contribua à la croissance du prolétariat industriel dont les détenteurs du capital, en l’occurrence la classe bourgeoise, avait ardemment besoin pour faire rouler ses usines.

Au XIXe siècle, même si la pauvreté n’était plus associée à la mendicité et à l’oisiveté mais à la classe travailleuse, au prolétariat, les pauvres étaient toujours vus comme une menace à l’ordre établi. On parlait alors des « classes dangereuses » pour désigner les majorités appauvries des villes. Tirant les leçons de la Révolution française, l’élite craignait les pauvres qui constituaient la majorité de la population et les décrivait en termes amoraux (Milner 2004 et Sassier 1990 : 229-233). Voici comment s’exprimait Frégier, un chef de bureau à la préfecture de la Seine dans son ouvrage « Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes, et des moyens de les rendre meilleures » :

(…) les classes pauvres et vicieuses ont toujours été et seront toujours la pépinière la plus productive de toutes les sortes de malfaiteurs : ce sont elles que nous désignerons plus particulièrement sous le titre de classes dangereuses […]. Lors même que le vice n’est pas accompagné de la perversité, par cela qu’il s’allie à la pauvreté dans le même individu, il est un juste sujet de crainte pour la société, il est dangereux. ([1840] cité par Sassier 1990 : 230)

Par la suite, jusqu’au milieu du XXe siècle, il a régné un certain silence sur la question de la pauvreté au sein des pays du Nord sauf peut-être durant la période de la crise de 1929 qui a particulièrement touché l’Amérique du nord et, parallèlement, c’est par un savant mélange de répression et de mesures sociales (éducation, santé, emploi, famille, etc.) que l’on s’attaqua sur le terrain à ce problème (Escobar 1995 : 22-23, Milner 2004 et Sassier 1990 : 267). Fait marquant, c’est dans la seconde moitié du XXe siècle que cessa l’identification de la pauvreté avec la condition de travailleur, que naquit le concept d’exclusion et que la solitude fut reconnue comme une dimension importante de la pauvreté (Sassier 1990 : 341-355).

Aujourd’hui, à l’âge du néolibéralisme et du scientisme, parallèlement à des programmes sociaux souvent diminués, on parle surtout en Amérique du Nord de dépistage des comportements à risque des enfants des quartiers défavorisés dès le plus jeune âge et même, plus récemment, de l’identification des gènes à risque. Serait-ce un retour vers des mécanismes de contrôle social plus contraignants, vers le paradigme de l’Hôpital dirigé cette fois de façon plus sélective? En tous les cas, comme nous l’avons vu, il existe dans la tradition historique des institutions occidentales, une certaine propension à répondre à la pauvreté par des pratiques répressives

b) Pauvreté, un concept relatif

Si on revient sur la notion même de pauvreté, on constate qu’elle est généralement présentée comme une réalité fondée sur des données empiriques irréfutables, comme un phénomène objectif que l’on parvient à appréhender et à rendre compte simplement à travers une série de mesures exprimées sous forme de statistiques. C’est ainsi que d’aucuns parlent de seuil de pauvreté et de pourcentage de la population vivant avec moins de 1$US par jour. Est-ce vraiment suffisant?

Dans la Grèce Antique (Socrate et Platon), on considérait la pauvreté davantage comme une notion subjective intimement liée au désir, à la perception de n’avoir pas satisfait ses besoins de telle sorte qu’une personne possédant très peu de biens mais qui croyait avoir satisfait ses besoins, ne pouvait pas être tenue pour pauvre tandis qu’une autre personne possédant davantage de biens mais toujours insatisfaite pouvait l’être. Ainsi, Platon préconisait la frugalité pour tous les citoyens de sa République idéale[3]. (Sassier 1990 :15-26)

Cela rejoint en partie l’idée formulée par Marshall Sahlins (1968) selon laquelle on peut satisfaire tous nos besoins en produisant plus ou en désirant moins. C’est dans cette seconde perspective qu’il a décrit les sociétés de chasseurs-cueilleurs du paléolithique[4] comme les premières sociétés d’abondance. Il faut préciser que, jusqu’à ce jour, on décrivait ces sociétés du début de l’humanité surtout comme des univers archaïques, dénudées de presque tout, où les gens vivaient dans des conditions pénibles, où la vie était difficile et où la production de nourriture était insuffisante, engendrant une menace permanente de famine. Or, malgré les limites évidentes d’une telle comparaison, l’observation systématique, durant la seconde moitié du XXe siècle, de populations de chasseurs-cueilleurs nous a fourni de précieux renseignements sur ce type de sociétés. Par exemple, les Boschimans Kung du désert du Kalahari (Afrique du Sud), observés au début des années 60, vivaient sans aucun doute dans des conditions apparemment hostiles voire rebutantes d’un point de vue occidental. Par contre, si on regarde de plus près les données de terrain, on se rend compte que leur situation n’était pas aussi pénible qu’elle pouvait le sembler à une personne observatrice provenant d’Europe ou d’Amérique du Nord, amenant avec elle ses préjugés et ses stéréotypes. Ainsi, ils parvenaient facilement à répondre à leurs besoins alimentaires et dédiaient beaucoup de leur temps aux loisirs. En moyenne, il n’avaient besoin que de 2,5 jours (25 heures) de travail aisé par semaine pour satisfaire leurs besoins alimentaires, produisant 2140 calories par personne par jour, c’est-à-dire un production excédentaire par rapport au calcul de leur besoin énergétique qui était de 1975 calories. Cela leur laissait donc une grande disponibilité pour les activités ludiques.

Ailleurs, dans d’autres sociétés de chasseurs-cueilleurs vivant dans des conditions plus favorables, la situation d’abondance est encore plus évidente, comme par exemple les Indiens Cuiva d’Amazonie jouissant d’un écosystème très riche et diversifié (Arcand 1976) ainsi que les Indiens de la côte nord-ouest de l’Amérique et les peuples du sud-est sibérien profitant de la présence de diverses espèces de saumon (Testart 1981). [5]

Sahlins en est ainsi arrivé à remettre en question l’apriorisme selon lequel la vie dans les sociétés traditionnelles était caractérisée par la pauvreté et la misère. Qui plus est, il a avancé l’idée que la somme de travail par personne nécessaire à la survie ainsi que l’importance de la faim et des famines se seraient accrues avec le soi-disant progrès culturel (avènement de l’agriculture puis de la société industrielle).

Dans ces conditions, l’idée de définir la pauvreté de façon absolue, uniquement en fonction d’un seuil monétaire ou de la quantité de biens possédés, apparaît discutable, aussi bien dans son fondement épistémologique que dans ses prétentions universalistes[6]. Comme l’a suggéré Sahlins, la situation de pauvreté tient en grande partie à un rapport entre les êtres humains (rapport social), à une invention de la civilisation.

De façon générale, on pourrait dire que la pauvreté constitue un phénomène doublement relatif. D’une part, elle dépend de la perception individuelle et collective, culturellement construite, que l’on a des besoins essentiels. À ce chapitre, il ne faudrait pas perdre de vue que le concept dominant de pauvreté, qui est essentiellement fondé sur la quantité de biens possédés ou de revenus mesurés en valeur monétaire, s’est largement abreuvé à l’idéologie du progrès et de la consommation dont la genèse a été intimement liée à l’émergence et la consolidation du capitalisme, de la société de consommation de masse et de l’idée d’accumulation, ceci dans un très petit nombre de pays (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Japon). Dans un tel schéma, ce sont non seulement les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, mais aussi l’ensemble des populations paysannes dites « traditionnelles » du passé et du présent qui entrent dans la catégorie de pauvre, la seule façon d’y échapper étant de se « moderniser » et d’accéder au rang de consommateur au-delà du seuil statistique définissant la pauvreté. Or, comme nous l’avons vu, si on envisage le problème sous l’angle de l’effort nécessaire pour répondre aux besoins de base et de la quantité de temps libre disponible, certaines sociétés, considérées pauvres et même misérables en termes monétaires deviennent de véritables sociétés d’abondance.

D’autre part, la pauvreté n’existe pas en soi, de façon absolue, elle s’incarne toujours dans un rapport avec son contraire sémantique, la richesse. Dit autrement, il ne peut y avoir de pauvres s’il n’y a pas de riches, c’est-à-dire s’il n’y a pas de mécanismes d’accumulation de la richesse fondant un rapport inégalitaire, socialement construit, entre riches et pauvres (classes, strates, couches, régions, etc.). Ainsi, il n’existe aucune société dans laquelle il y a une catégorie sociale de pauvres sans qu’il y ait aussi une catégorie de riches de même que des mécanismes d’accumulation permettant une telle richesse, ce qui implique généralement que cette société produise un surplus pouvant être accaparé. Dans les sociétés qui ne produisent pas de surplus important, comme c’est le cas de nombreuses sociétés de chasseurs-cueilleurs[7] et de certaines sociétés agraires sans État, ces catégories ne sont pas pertinentes car tous les membres ont un accès plus ou moins égal aux biens de subsistance assurant leur reproduction; sinon l’accumulation hypothéquerait les conditions objectives de reproduction de la collectivité qui serait alors vouée à l’extinction. S’il y a des inégalités, elles concernent généralement les biens de prestige (colliers, bracelets, ornements, etc.) dont la valeur, essentiellement symbolique et non convertible en biens de subsistance, confère aux personnes qui les contrôlent un pouvoir limité au sein du groupe, pouvoir le plus souvent lié à des processus rituels (rites de passage, mariages, etc.). Il appert donc que la pauvreté est inhérente aux sociétés inégalitaires, aux sociétés socialement très stratifiées, spécialement celles où il existe une division en classes sociales et un État.

Comme nous l’avons vu à travers l’exemple des chasseurs-cueilleurs, l’idée qu’une société soit entièrement pauvre, par elle-même, est rare et relève davantage des préjugés que de la réalité. S’il en est ainsi, c’est en général qu’il s’agit d’une société conquise et c’est effectivement ce qu’a souvent produit le colonialisme, le néocolonialisme et, en général, les différentes formes de subjugation des peuples du Sud. Pour comprendre la pauvreté qui sévit alors dans une telle société, il faut étudier sa relation avec l’autre société, celle qui la domine et l’exploite. Le rapport riche/pauvre ne se retrouve alors pas à l’intérieur d’une même société mais entre deux sociétés. Enfin, dans la plupart des sociétés du Sud, ce rapport s’exprime doublement, par sa stratification interne et par sa dépendance externe. Fait important, le rapport entre riches et pauvres est un rapport socialement construit qui ne peut être compris sans se référer au processus historique qui l’a engendré.

L’exemple des sociétés paysannes andines est fort révélateur de la complexité des situations de pauvreté. J’ai eu l’occasion il y a quelques années d’étudier des communautés du nord des Andes équatoriennes (Cliche 1995). Or, il est évident que ces communautés possèdent une étonnante capacité d’autosubsistance en-dehors du marché, fondée sur l’agriculture et l’élevage à l’échelle familiale de même que sur une série de liens traditionnels d’entraide et de réciprocité interfamiliaux et communautaires, incluant plusieurs mécanismes de péréquation limitant l’enrichissement des familles et permettant aux plus pauvres de survivre décemment. C’est ainsi que certaines familles qui n’ont pas de terre ou qui perdent complètement leur récolte parviennent à se nourrir grâce à la culture partagée[8], à une forme ouverte de glanage[9], aux dons et au salaire en nature qui sont toutes des formes économiques non monétarisées. En même temps, il appert que certaines familles s’enrichissent plus que d’autres, réussissant même parfois à tirer profit des mécanismes traditionnels pour exploiter les familles plus pauvres. En outre, les familles paysannes sont intégrées au marché à travers la vente d’une partie de leur récolte, l’achat d’intrants agricoles et de produits de consommation de même que la vente de leur propre force de travail (travail salarié), ce qui laisse place à une certaine forme d’exploitation et favorise l’augmentation des inégalités sociales au sein des communautés. Bref, les communautés sont sous certains aspects autonomes, sous d’autres dépendantes et elles sont traversées par des tendances contradictoires favorisant tantôt la concentration et l’extraction de richesses, tantôt la péréquation et la redistribution. (ibid. : 95-138)

Somme toute, les deux idées que nous venons de développer mettent en évidence la double relativité du concept de pauvreté. Puisque la pauvreté diffère selon les critères utilisés pour la définir, lesquels se situent au coeur même de son champ sémantique, elle est intrinsèquement relative. En outre, puisqu’elle n’a d’existence concrète que dans son rapport avec la richesse, son contraire sémantique, qui tout à la fois lui permet d’être et la conditionne, elle est extrinsèquement relative.

c) Pauvreté, un concept à préciser

La pauvreté constitue donc un phénomène complexe et multiforme dont on ne peut rendre compte par une simple série statistique. Les calculs de seuil de pauvreté et d’autres données quantitatives telles que l’espérance de vie ou la mortalité infantile de même que des indices complexes comme celui du niveau de développement humain sont certes utiles pour montrer et démontrer l’ampleur de la pauvreté mais ils demeurent une approximation partielle et déformante de ce phénomène. L’analyse de la situation des chasseurs-cueilleurs nous indique qu’il est trompeur de juger de l’état de pauvreté uniquement en fonction des revenus monétaires et qu’il est essentiel de tenir compte de l’ensemble des conditions de vie. Or, une telle distorsion est susceptible de survenir non seulement dans les communautés très isolées mais aussi dans de larges couches de la population, notamment la paysannerie dont une portion importante de l’économie n’est pas monétarisée (autosubsistance, mécanismes de réciprocité et d’entraide, dons, troc, etc.) et est donc exclue de la majorité des données statistiques sur la pauvreté.

En outre, si on considère le phénomène de la pauvreté de façon isolée, il est impossible d’en comprendre la genèse, se cantonnant alors à des explications relevant de la pensée magique comme celle du châtiment de Dieu ou encore à des explications débouchant sur le mépris social comme celle liant la pauvreté à la paresse ou à une intelligence inférieure. On peut aussi se replier sur des explications fondées sur des signes ou des symptômes comme le manque d’éducation ou d’opportunités. Dans tous ces cas, on ne fait que constater ou déplorer synchroniquement l’existence du phénomène sans en comprendre ni la dynamique, ni le processus qui a conditionné sa genèse. Pour y parvenir, il apparaît essentiel de considérer la catégorie des pauvres dans son rapport avec celle des riches, de préciser quels sont les sujets sociaux (classes et couches sociales, ethnies, genre, etc.) constituant chacune de ces deux catégories, de tenir compte de la dynamique socioculturelle dans laquelle elle s’inscrit et d’expliquer les processus socio-historique qui ont permis l’accumulation de la richesse.

À défaut d’amener de telles précisions, on risque fort soit de réduire la pauvreté à un simple niveau de revenus monétaires ou d’en faire un concept métaphorique évoquant un état sans le définir. Il serait alors aisé d’en faire porter le blâme sur les personnes pauvres elles-mêmes ou de proposer comme seule voie de solution possible leur intégration au marché, excluant tant les avenues hors du marché que l’introduction de mesures de péréquation et de redistribution. C’est certainement commode pour les agents ou acteurs sociaux appartenant aux classes et couches sociales qui concentrent la richesse, mais pour les personnes pauvres, cela a le double effet objectivement de limiter leurs possibilités de s’en sortir et subjectivement de les culpabiliser de leur sort.

De surcroît, sans une appréhension en profondeur de la condition de pauvre, celle-ci risque fort d’être perçue ou montrée, surtout à travers certaines de ses conséquences –telles que la violence, les familles disfonctionnelles, l’alcoolisme, etc. comme une menace à endiguer ou à contrôler par des mesures répressives. Certaines pourraient être de nature coercitive, faisant appel aux corps policiers, à des gardes privés ou même à l’armée. D’autres, tels que le dépistage, le fichage, la surveillance et la délation, auraient plutôt un caractère administratif. Or, la voie répressive a d’autant plus de chances d’être favorisée que l’on considère les personnes pauvres coupables de leur condition.

En conclusion, le concept de pauvreté se réfère inévitablement à un manque ou une insuffisance de moyens mais il n’a de sens que s’il est considéré dans son contexte culturel et il n’existe que dans des sociétés où il y a une certaine concentration de la richesse, exigeant de ce fait une analyse des rapports sociaux qui le fondent. Bref, pour être cohérent avec toute l’analyse que nous avons faite de la pauvreté, celle-ci devrait toujours être considérée comme le résultat de rapports sociaux historiquement construits mettant parfois en péril la subsistance et la reproduction d’une population déterminée mais reflétant plus fondamentalement un rapport d’inégalité, pouvant certes être décelée par certains indicateurs statistiques qui cependant ne constituent que des indices et conséquemment ne peuvent prétendre ni la décrire fidèlement ni en épuiser le sens.

2. Le concept de développement

Si on considère maintenant le concept de développement, pour comprendre le sens qu’il a pris dans le champ de la coopération internationale, il est utile de se demander comment il a fait irruption dans les domaines de l’interprétation des sociétés humaines et de l’intervention internationale.

On peut identifier trois sources sémantiques à ce concept.

a) Il provient du paradigme évolutionniste occidental

Le concept de développement est utilisé depuis fort longtemps. Par exemple, Aristote l’utilisait pour expliquer la nature comme la genèse des choses qui se développent. Le concept a surtout été utilisé dans les sciences de la nature où l’on parle du développement, de la croissance d’une plante ou d’un organisme comme quelque chose de naturel et de nécessaire.

C’est au XIXe siècle que fut introduite la théorie de l’évolution des espèces par Charles Darwin. On a ensuite appliqué un schéma similaire aux sociétés humaines que l’on pourrait appeler « évolutionnisme social ». En quelques mots, on disait qu’il y avait eu une évolution ou un développement des sociétés humaines depuis des formes simples et primitives vers des formes plus évoluées et complexes, que toutes les sociétés étaient passées par les mêmes stades et que par conséquent elles pouvaient être classifiées selon le stade ou l’état auquel elles étaient parvenues. Derrière cette explication, on retrouve donc l’idée du progrès, d’une évolution dans le sens d’un progrès cumulatif et unilinéaire.

À titre d’exemple, l’anthropologue étasunien Lewis Morgan avait proposé une théorie générale de l’évolution culturelle présentée comme une progression en trois stades successifs : la sauvagerie, la barbarie (caractérisée par la domestication des animaux et des plantes) et la civilisation (débutant avec l’invention de l’écriture). Dans cette optique, les « sauvages » observés par les premiers anthropologues auraient ainsi été “(...) nos ancêtres contemporains” (Rist 2001 : 72). C’est ce même schéma qui a été repris par Friedrich Engels dans son ouvrage L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Voilà donc un exemple de « (…) transposition métaphorique à l’organisme économique et social d’une conception évolutionniste empruntée à la biologie. » (Latouche 19988 : 47)

Somme toute, dans une perspective évolutionniste, le concept de développement appliqué aux sociétés humaines est, tout comme dans le cas des plantes et des espèces vivantes, quelque chose d’immanent et de nécessaire.

b) Il a pris un sens interventionniste

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le développement était considéré dans un sens intransitif, c’est-à-dire quelque chose survenant de lui-même, sur lequel on n’agit pas. Ainsi, une société était vue comme se développant par elle-même et que par conséquent on ne développe pas. C’est dans ce sens que le concept a été utilisé par Lénine (Le développement du capitalisme en Russie, 1974 [1899]) et par Schumpeter (Théorie du développement économique, 1911).

De façon similaire, l’Article 22 du Pacte de la Société des Nations créée après la I Guerre mondiale (1919) définissait le mandat de certains pays face à leurs colonies; il parlait du développement de ces peuples et établissait une distinction entre différents niveaux de développement atteints par ceux-ci selon leur degré de civilisation.

Dans aucun de ces exemples on ne mentionnait le fait de développer une société ou un peuple. Le saut sémantique s’est effectué après la Seconde Guerre mondiale, lorsque fut introduite la notion de « sous-développé », terme qui était utilisé depuis longtemps en biologie, en psychologie et en photographie. La première utilisation de ce terme appliqué aux sociétés humaines qui a eu une certaine résonance publique est survenue le 20 janvier 1949 dans le discours d’investiture du président étasunien Harry Truman, plus précisément dans le fameux Point IV de son discours dans lequel il proposait de « (…) lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. » (Cité par Rist 2001: 118)

C’est donc avec le concept de sous-développement qu’est née l’idée de provoquer le développement d’une région sous-développée, c’est-à-dire de la développer dans le sens transitif (ibid. : 121-122). C’est ce qui a été à l’origine d’une grande variété de programmes de développement, surtout d’assistance technique, dont l’idée sous-jacente était que, tout comme dans les sciences naturelles, la science économique peut appréhender la réalité du sous-développement de manière universelle (Escobar 1995 : 36 et 93).

Dans cette nouvelle dichotomie entre développement et sous-développement, le sous-développement n’est pas l’opposé du développement mais sa forme élémentaire ou embryonnaire. La solution ou la réponse qui émerge alors, c’est une accélération de la croissance pour remplir la brèche, croissance mesurée en termes de PNB ou de PIB. On a ainsi pu classifier les pays et les régions du monde sur la base d’un indicateur quantitatif, ce qui représente une rupture méthodologique par rapport à l’ancien mode de classification en fonction des niveaux ou stades de civilisation. « Et les sauvages d’hier étant les sous-développés d’aujourd’hui, ceux qui, hier les civilisaient, aujourd’hui les développent. » (Partant 1982 : 25)

En fait, il faut préciser que, comme le souligne Latouche (1988 : 56), l’opposition développé/sous-développé prend racines dans une « (…) série d’oppositions symboliques successives dans la représentation des dominants et des dominés : civilisé/sauvage, chrétien/païen (…) ». Ce sont là différentes façons de nommer l’autre allant dans le sens de la « séculaire dévalorisation de l’étranger ».

Dans ce nouveau sens qui a été donné au développement, celui-ci consiste donc en une intervention pour provoquer un changement d’un état inférieur de sous-développement vers un état supérieur de développement. Il conserve donc sa connotation originelle de type évolutionniste mais il devient transitif et mesurable.

c) Il s’est inscrit dans une stratégie anti-insurrectionnelle

Le développement, tel qu’il fut conçu après la Deuxième Guerre mondiale, correspondait à une réponse des puissances capitalistes face aux avancées du dénommé « camp socialiste ». Il y a eu d’abord la révolution chinoise (1949) puis la révolution cubaine (1958). Dans les deux cas (contrairement à la révolution bolchevique), la paysannerie avait constitué un acteur social fondamental. Donc, face aux pressions sociales provenant des campagnes et afin d’éviter la multiplication des insurrections et des révolutions qui menaçaient l’ordre établi, on a introduit des programmes de réforme agraire et de développement rural.

Deux exemples illustrent bien ce fait. D’abord, la première vague de modernisation à déferler sur l’Amérique latine débuta après la révolution cubaine, surtout à partir de 1961, suite à la réunion de Punta del Este en Argentine où fut adopté le document d’entente de « l’Alliance pour le progrès » dont la stratégie principale était de fomenter une croissance accélérée et de procéder à certaines réformes afin de diminuer les risques de rébellions paysannes, définissant à cet effet le cadre de la dénommée « révolution verte » et proposant la réalisation de réformes agraires limitées onze pays latino-américains ont d’ailleurs adopté une loi de réforme agraire entre 1960 et 1964 (Lowenthal 1970 : 495 et Guerrero 1984 : 91-92). Plus tard, en 1973, Robert McNamara, ex-secrétaire à la défense des Etats-Unis alors président de la Banque mondiale, lança à l’occasion d’une réunion tenue à Nairobi la stratégie de développement rural intégré (DRI), proposition venant quelques mois après le retrait militaire étasunien du Vietnam, là où précisément la paysannerie avait joué un rôle clé (Galli 1978 : 83).

Un auteur qui a exercé une énorme influence sur les schémas dominants du développement est Walt Whitman Rostow avec son ouvrage Les étapes de la croissance économique dont le sous-titre, fort révélateur par ailleurs de son option idéologique, est « Un manifeste non communiste ». Pour lui, le processus de développement de tous les pays obéit à un même schéma évolutif comprenant cinq grands stades: la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage, le décollage, le chemin de la maturité et l'ère de la consommation de masse (Rostow [1960] 1971: 4). Il s'agit là d'une conception unilinéaire de l'évolution conçue exclusivement en termes de développement économique capitaliste. Le point le plus bas de l'échelle, la société traditionnelle, fut le lot des pays occidentaux dans un passé révolu, mais était toujours présente à différents degrés dans les zones rurales des pays « sous-développés ». Quant au niveau le plus avancé, le stade suprême du développement, il était calqué sur l’exemple de la société de consommation qui régnait aux États-Unis.

Pour cet auteur, l'histoire du développement de l'humanité se confond avec celle de l'Europe de l'Ouest et des États-Unis, c'est-à-dire qu'il « (…) attribue une histoire aux pays développés tout en niant que les pays sous-développés en aient possédé une ». (Frank 1970: 39) Il faut préciser que jusqu’à ce jour, on a très rarement utilisé le verbe « sous-développer » dans un sens transitif (par exemple, sous-développer une région donnée), tendant de la sorte à parler d’un phénomène sans histoire, qui existe sans avoir été provoqué et par conséquent à présenter le sous-développement comme un état naturel existant sans causes apparentes (Rist 2001 : 122). Puisque le « sous-développement » n’a point d’histoire et que le « développement », lui, en a une seule, celle des pays occidentaux, la voie est donc tracée…

Bref, la pensée de Rostow tend à légitimer le modèle de développement occidental face au reste du monde et aussi aux yeux des Occidentaux eux-mêmes. Ce faisant, il attribue un caractère normatif et universel à un schéma unilinéaire d'évolution dégagé de l'histoire des quelques pays qui ont connu la plus grande croissance sur le plan économique. Étant donné que la vaste majorité des pays n'ont pas emprunté un tel schéma, il est donc peu représentatif de l'histoire mondiale, ce qui dénote une vision ethnocentriste débouchant sur le mimétisme comme forme de développement, mimétisme inhérent à la plupart des stratégies de modernisation.

Dans cette perspective, les cultures des pays « sous-développés », en particulier les cultures paysannes et autochtones, sont considérées comme un frein au progrès et ce, en autant qu'elles s'écartent de la culture de consommation considérée comme le stade ultime d'achèvement du genre humain. L'acculturation ou la transculturation (Herskovits 1967 : 219-223), c’est-à-dire l’extirpation de certains traits culturels propres (déculturation) jugés nuisibles et l’introduction de nouveaux traits (néoculturation) cohérents avec le modèle de société que l’on veut « développer », devient ainsi un moyen de rompre les barrières culturelles empêchant la modernisation et le développement économique des populations les plus archaïques, répondant de la sorte aux besoins de la croissance économique par le marché présentée comme une variable indépendante. C'est ce que des anthropologues comme Métraux (1960) et Herskovits (1967: 313-329) ont prôné d'ailleurs assez ouvertement. L'«image du bien limité» de Foster (1965) de même que le «syndrome de l'encogido » d'Erasmus (1968) peuvent également être interprétés dans ce sens, car ces deux auteurs voyaient la tradition culturelle des communautés paysannes essentiellement comme une entrave à leur développement. Un certain courant d'anthropologie appliquée, qui se concevait comme la «science de l'action manipulatrice des hommes» (Bastide 1971: 230), en arriva même à proposer une manière détournée pour surmonter cet obstacle et imposer le "progrès":

(…) pour qu'une communauté choisisse le progrès (ou ce que les Occidentaux désignent de ce nom), il ne faut pas l'introduire du dehors, mais il faut que le choix se fasse du dedans, et que ce choix, avant d'être collectif, ait d'abord été le choix de certains individus, ceux qui exercent ou peuvent exercer une influence sur les décisions de la masse, ceux qui détiennent ou sont susceptibles de prendre les commandes. (Bastide 1971: 67-68)

Face aux conséquences d’une telle stratégie, il n’est pas surprenant de constater que Majid Rahnema (1997), un intellectuel d’origine iranienne très impliqué dans les milieux de la coopération internationale[10], en arrive à affirmer que le développement constitue une forme de « colonialisme de l’intérieur » qui agit un peu comme le SIDA, comme un « ennemi intime ». De par son internalisation au sein même des sociétés à travers le système scolaire, la dépendance à de nouveaux besoins et la dévalorisation des savoir-faire indigènes , il s’incruste et attaque le système immunitaire des pays hôtes, rendant difficile toute résistance.

Donc, l’introduction de programmes de développement a historiquement correspondu à une stratégie interventionniste conservatrice pour éviter des changements majeurs et adapter les sociétés aux besoins de la croissance capitaliste.

Pour terminer, le cas particulier de la Lettre encyclique de Paul VI, Populorum Progressio (1967) est intéressant. Bien sûr, elle décriait le « péril d’une collectivisation intégrale » et était teintée d’une vision anticommuniste et anti-insurrectionnelle.

(…) la tentation se fait plus violente qui risque d'entraîner vers les messianismes prometteurs, mais bâtisseurs d'illusions. Qui ne voit les dangers qui en résultent, de réactions populaires violentes, de troubles insurrectionnels et de glissement vers les idéologies totalitaires? Telles sont les données du problème, dont la gravité n'échappe à personne. (Vatican 1967)

En même temps, elle proposait une conception large du développement qui était critique du « libéralisme sans frein » conduisant à « l’impérialisme international de l’argent » et qui allait au-delà de la croissance économique. « Il ne suffit pas d’accroître la richesse commune pour qu’elle se répartisse équitablement. ». Elle proposait ainsi un développement de type humaniste orienté vers la justice sociale qui était fortement influencé par les idées du Père Louis-Joseph Lebret (Latouche 1988: 55), ce qui a inspiré nombre d’actions émancipatrices. Tout cela démontre bien la nature complexe des positions sur le développement, des pratiques qu’elles ont encouragées et des impacts réels qu’elles ont eus.

d) Qu’est-il arrivé dans la réalité du développement?

On pourrait discourir longuement sur la réalité du développement. Les intentions et les discours dominants sont une chose, les dynamiques socioculturelles concrètes autour du développement et de ses programmes en sont une autre. Voyons, de façon très brève, ce qu’on pourrait dire du point de vue de l’analyse socio-historique et de celui de l’analyse critique des programmes de développement.

Du point de vue de l’analyse socio-historique

On peut d’abord affirmer, à l’instar d’Immanuel Wallerstein (1987), qu’il n’y a aucune évidence que pour la majorité des êtres humains de la planète, le monde d’aujourd’hui soit meilleur que celui d’il y a mille ou deux mille ans, ni en termes de conditions matérielles d’existence, ni en termes de justice, ni en termes de fraternité. C’est ce que suggèrent de nombreuses comparaisons avec les paysans européens du Moyen-Âge qui jouissaient de plus d’une centaine de jour fériés ou encore avec les populations de chasseurs-cueilleurs du paléolithique qui, comme nous l’avons vu, nécessitaient généralement que de deux ou trois jours de travail pour reproduire leurs conditions matérielles (la principale étant la nourriture), ce qui leur laissait beaucoup de temps pour les loisirs[11]. En citant ces deux exemples, il n’est pas question d’idéaliser ces sociétés mais plutôt de relativiser et questionner l’idée dominante selon laquelle le capitalisme historique représenterait un progrès absolu dans l’histoire humaine, voire coïnciderait avec la « fin de l’histoire ». L’analyse socio-historique suggère plutôt que rien n’est moins sûr que cela.

Ceci étant dit, il est également certain que les effets de la mondialisation et des politiques de développement qui s’y rattachent ne sont pas monolithiques. Ainsi, une politique de décentralisation peut avoir des effets contradictoires. Dans certains cas, elle peut miner la souveraineté nationale, par exemple lorsqu’une grosse entreprise transnationale négocie l’accès à une ressource stratégique avec une petite municipalité. Dans d’autres cas ou sous d’autres aspects, des groupes anciennement tenus à l’écart de tous les processus de prise décisions –comme par exemple les autochtones peuvent acquérir une certaine autonomie territoriale et des citoyennes et citoyens réussissent parfois à exercer une plus grande emprise sur les décisions qui les concernent.

Du point de vue de l’analyse critique des programmes de développement

Premièrement, il appert que certains programmes de développement, influencés par une approche politique « alternative », ont favorisé de véritables processus d’émancipation sociale (paysans, autochtones, femmes), souvent en-dehors du schème dominant de croissance capitaliste. Ce sont là autant d’expressions de résistance. On peut distinguer plusieurs situations : programmes officiels conçus avec une certaine sensibilité sociale ou réalisés par des promoteurs avec une vision alternative, communautés réussissant à s’organiser et à défendre leurs intérêts, programmes pensés ou exécutés en-dehors du schéma dominant, etc. Il y a eu notamment une diversité de points de vue et de pratiques sur le rapport entre culture et développement parfois au sein même des institutions officielles qui a quelque fois favorisé les intérêts des communautés impliquées dans les programmes (Escobar 1997).

Deuxièmement, de façon globale, les programmes de développement ont certainement réussi à générer la croissance dans plusieurs cas (par exemple la révolution verte) mais ils n’ont jamais réussi à combler l’écart séparant les régions dites « sous-développées » des régions « développées ». Qui plus est, l’écart n’a jamais été aussi grand et le modèle de société qui existe dans les pays du centre du système mondial n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète, ce qui signifie qu’il n’est pas viable.

La conclusion logique est qu’il existe un abîme entre les prétentions du discours dominant du développement depuis l’après-guerre et ses résultats dans la réalité. Un telle contradiction ou un tel manque apparent d’efficacité peut surprendre mais cela ne fait que confirmer deux principes importants. D’abord, le fait que la réalité ne soit pas déterminée par un discours, fut-ce celui qui, tout au cours de l’histoire, occupe une position dominante. Ensuite, qu’une portion du discours dominant sur le développement corresponde à une doctrine dont l’utilité, pour les groupes d’intérêts exerçant le plus d’influence au sein des institutions de développement les plus influentes, n’est précisément pas d’objectiver le plus fidèlement possible la réalité mais plutôt d’affirmer des stratégies compatibles avec ce que ces groupes perçoivent subjectivement comme étant leurs intérêts.

3. Pauvreté globale, un concept lié au développement

Quant à la globalisation de la pauvreté, elle est apparue après la Seconde Guerre mondiale, au même moment où émergeait le concept interventionniste de développement :

Presque par décret, les deux tiers des habitants du monde se convertirent en des sujets de la pauvreté en 1948, alors que la Banque mondiale définit comme pauvres les pays ayant un revenu annuel per capita inférieur à 100 dollars. Et si le problème en était un d’insuffisance de revenu, la solution était évidemment la croissance économique. (Escobar 1995 : 23-24)

Il y a donc eu une convergence entre la pauvreté appréhendée à l’échelle globale et le déploiement de programmes de développement au Sud axés sur la croissance par le marché, ouvertement présentés comme une forme de lutte, voire de guerre à la pauvreté. Je caricature à peine si je dis que les Boschimans et tous les chasseurs-cueilleurs et autres membres de « sociétés traditionnelles » de la planète devinrent ainsi des pauvres qu’il fallait sauver d’une pauvreté dont eux mêmes n’avaient souvent pas conscience, ceci en les intégrant à la croissance, c’est-à-dire au marché. Cette stratégie globale de modernisation a constitué un cadre général prédéfini sur lequel les populations à développer n’ont eu que très peu d’influence, si ce n’est que celle du refus et de la résistance. Il y a certainement eu de nombreuses consultations mais elles ont porté la plupart du temps sur des aspects secondaires. Il est en effet très rare qu’on ait demandé aux populations quelles étaient leurs aspirations profondes, quels genres de sociétés elles voulaient, ce qui leur aurait pourtant permis de trouver leur propre voie de développement. On leur enlevait ainsi leur autonomie. Et, comme l’a dit Ivan Illich (1971 :156), “Plus on dresse un citoyen à la consommation des biens et des services si parfaitement conditionnés, moins il semble capable de dominer le milieu où il vit (…) »

Dans la plupart de ces programmes de développement, surtout les programmes de la coopération officielle multilatérale et bilatérale, il y a quelque chose de symptomatique. Même s’ils ont souvent inclus dans leurs diagnostics des descriptions valides des conditions de la pauvreté et même des constats de l’ampleur des inégalités, les solutions mises de l’avant par les plans effectivement exécutés ont minimisé les mesures de péréquation et de redistribution qui auraient affecté les intérêts des classes et couches sociales qui concentraient la richesse. On s’est largement cantonné autour de l’idée de favoriser la croissance économique des pays concernés et la modernisation des communautés traditionnelles, misant grandement sur les retombées de la croissance pour attaquer la pauvreté.

Or, après plusieurs décennies de programmes de développement, à l’heur et au malheur de la mondialisation, la pauvreté globale est toujours massive selon la Banque mondiale : (…) des millions de gens vivent encore dans les ténèbres, écrasés par la pauvreté(cité par Mestrum 2002 : 70). Alors, pour que la lumière fût, on propose de nouveau leur intégration au marché : “Il suffit de créer des opportunités (éliminer les entraves au marché) et de développer les capacités (éducation, soins de santé et planning familial) pour que ceux qui, aujourd’hui encore, « végètent dans la misère la plus extrême » deviennent des partenaires(ibid.: 77). Ici, devenir partenaire signifie s’intégrer au marché. Les personnes ayant des chances d’accéder au marché sont des pauvres viables tandis que celles qui n’ont pas les conditions pour le faire deviennent des pauvres non-viables susceptibles uniquement d’être bénéficiaires de programmes humanitaires. Cette distinction par le marché ne va pas sans rappeler une autre distinction, par l’état physique, que nous avons déjà évoqué et qui prévalait au XVIIIe siècle entre les pauvres valides et malades. Au-delà de leur différence, ces deux types de distinction se fondent sur la même idée sous-jacente d’utilité économique.

C’est donc dans cette optique que les stratégies de réduction de la pauvreté mises de l’avant par le FMI et la Banque mondiale, qui incluent parfois des actions pertinentes dans les domaines de la santé et de l’éducation, reposent néanmoins essentiellement sur une stratégie de croissance accélérée par le marché (Vanbrugghe 2004), c’est-à-dire sur une stratégie qui est intimement liée à l’émergence et à l’augmentation des inégalités sociales. Qui plus est, il s’agit le plus souvent d’une stratégie de libéralisation et d’ouverture économique favorisant la croissance des exportations vers le Nord plutôt que la production pour le marché interne et misant sur le maintien d’une main d’œuvre à bon marché présentée comme le principal avantage comparatif des pays du Sud. Or, contrairement à l’expansion du marché interne qui implique un accroissement du niveau de vie des masses pour qu’elles puissent se procurer les biens produits, dans le modèle exportateur, c’est plutôt la pauvreté qui est profitable à la compétitivité puisque les acheteurs sont situés ailleurs, dans les pays du Nord.

Quant aux consultations avec la société civile qui sont effectivement exigées dans le processus d’élaboration des stratégies de réduction de la pauvreté, elles excluent les politiques macro-économiques qui sous-tendent la stratégie de croissance. Même lorsque la Banque mondiale prétend adapter les politiques proposées aux pays du Sud par des études d’impact, elle ne remet pas en cause cette stratégie, s’agissant alors surtout de la rendre plus acceptable pour la population (Banque mondiale 2002 et 2003). Dans ce contexte, il n’y a pas de véritable choix quant au modèle de développement. L’économie capitaliste est en quelque sorte naturalisée et présentée comme une variable indépendante ou une réalité extérieure qu’il faut respecter au même titre que l’environnement (Mestrum ibid. : 72-74). Il y aurait donc une nécessité immanente à toutes les sociétés de s’intégrer au système capitaliste mondial. Ceci correspond à une vision un peu courte de l’histoire humaine qui n’est cependant pas surprenante. C’est là, comme nous l’avons vu, une connotation présente dans l’origine même du concept de développement, de par ses racines évolutionnistes. Ce faisant, on offre aux classes et couches sociales contrôlant la richesse le privilège de continuer à le faire et surtout on se refuse le droit de penser autrement, de créer des sociétés plus équitables et conviviales.

4. Conclusion

Il peut sembler paradoxal de constater que, malgré toutes ses contradictions et tous ses avatars, les politiques dominantes de développement suivent toujours explicitement la même ligne de la croissance accélérée par le marché. Certes, comme nous l’avons évoqué précédemment, le discours dominant sur le développement relève en partie de la croyance doctrinaire. Plus précisément, de par la transposition depuis les sciences de la nature dont il est issu, le concept de développement correspond à une métaphore, à une croyance métaphorique qui, historiquement, a précédé un nouveau type d’intervention dans la réalité des pays du Sud, lui fournissant un cadre légitime susceptible de fonder un ensemble de pratiques instituées balisées à travers des programmes financés par les États les plus riches. Or, ces pratiques instituées sont à l’origine des institutions qui ont structuré le champ du développement. Elles en constituent l’héritage conditionnant les pratiques qui ont cours actuellement. C’est ce qui explique, théoriquement, la tendance observée à une certaine continuité.

Cependant, cette tendance à la reproduction de pratiques semblables a des limites certaines; elle n’est jamais totale et l’emprise qu’elle exerce à partir des institutions ne se fait pas directement sur les nouvelles pratiques. Elle est toujours médiatisée par les agents individuels et collectifs de ces pratiques, plus particulièrement par ce que Bourdieu (1980 : 87-109) a appelé l’habitus, c’est-à-dire la propension, héritée de l’histoire passée, à penser et à agir d’une certaine manière dans une situation déterminée. De telles dispositions, intériorisées par des agents sociaux individuels et collectifs, conditionnent les pratiques qui sont à l’origine des structures et des institutions sociales mais elles ne les déterminent pas. Il y a toujours une part de création et d’invention dans l’action des agents sociaux. Voilà pourquoi, parallèlement à la force de reproduction des institutions et des structures, il y a la capacité génératrice des agents sociaux.

Si on se place maintenant spécifiquement du point de vue des populations du Sud qui reçoivent les programmes de développement, la possibilité pour celles-ci de reformuler les demandes en provenance des institutions de développement est indéniable. Elles peuvent le faire en tant qu’agents sociaux incontournables dans les processus de développement, d’autant plus que celui-ci ne s’impose pas simplement par la force, mais exige une certaine collaboration et un fort degré d’intériorisation, surtout dans ses aspects culturels. Dans ce cas, les schémas proposés, même si on essaie de les imposer, sont nécessairement réinterprétés au sein des cultures réceptrices, ce qui peut laisser place à de nombreuses déformations créatrices (Herskovits 1967 : 248-253).

Or, ce qui est vrai des pratiques concrètes du développement l’est également des pratiques symboliques, incluant autant la théorisation que la proposition de doctrines et de symboles. Il est vrai que les idées dominantes du développement, en particulier l'image du progrès et le déterminisme économique, ont marqué de nombreux courants de pensée, incluant certaines perspectives de pensée critique. En même temps, il est aussi certain que les idées remettant en question des aspects importants de la pensée dominante du développement ont été largement diffusées et discutées. Le courant tiers-mondiste, celui du post développement ainsi que les théories de la dépendance et du système mondial en sont la manifestation évidente, tout comme également de nombreuses propositions émanant des ONGs.[12]

En ce qui concerne les pratiques de développement entourant la pauvreté, il y a trois pré-requis essentiels pour engendrer un autre type de développement. D’abord, la réintégration du sujet dans le sens fort du terme, débouchant sur le « contrôle culturel » par les populations pauvres organisées des processus de développement, c’est-à-dire sur la reconnaissance effective de leur droit de décider quelles options seront choisies, endogènes ou exogènes, et dans ce dernier cas de les modifier pour se les approprier au sein de leur propre culture (Bonfil Batalla 1987). Ici, le point crucial est l’influence déterminante des organisations dans les prises de décisions concernant non seulement les modalités des programmes de développement mais, plus fondamental encore, du type de société qui en émergera. L’organisation est alors vue comme l’expression de la subjectivité sur un plan collectif et comme le principal moyen pour exercer un pouvoir d’influence. Ensuite, pour éclairer de telles prises de décisions, il est indispensable de disposer d’analyses sociales et culturelles profondes des situations de pauvreté qui englobent les aspects économiques. Il s’agit à la fois d’approfondir les connaissances et d’intégrer la dimension économique au sein d’une vision socioculturelle plus large. Enfin, du point de vue culturel, il faut que les pratiques de développement adoptent dans leur ensemble une perspective interculturelle (Cliche et García 1995 : 179-188) qui, tout en favorisant la revalorisation de la culture propre et en étant porteuse de pluralisme et de tolérance, favorise le dialogue entre les cultures et la transvalorisation (Todorov 1986 : 17), c’est-à-dire le regard critique vers sa propre culture.

Pour terminer, être cohérent avec la pensée critique que nous venons de présenter a ses exigences, surtout si nous voulons réellement affirmer un point de vue alternatif du développement. En voici quelques unes qui ressortent des analyses que nous avons effectuées :

1. Concevoir le développement dans une perspective historique qui rende compte de la genèse des situations observées.

2. Ne pas se centrer sur la croissance et mettre les objectifs économiques au service des objectifs sociaux et politiques de justice, d’équité et de respect de l’environnement.

3. Faire de la redistribution un axe fondamental du développement.

4. Mettre les agents sociaux concernés par les programmes de développement au centre de toutes les décisions, ce qui signifie dans le cas de stratégies visant réellement la réduction de la pauvreté, les pauvres organisés.

5. Enlever la connotation interventionniste du concept de développement et insister plutôt sur les souverainetés, le contrôle culturel et la prise de décisions à la base.

6. Refuser tout schéma évolutionniste en mettant de l’avant une vision non déterministe des processus de changement social ainsi que le pluralisme des formes de développement.

Ouvrages cités

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  • Immanuel WALLERSTEIN Le capitalisme historique. Paris : Éditions la Découverte; 1987.


TABLE DES MATIÈRES

Réflexion sur les concepts de « pauvreté » et de « développement ». 1

1. Le concept de pauvreté. 3

a) Le rapport à la pauvreté dans les pays du Nord. 3

b) Pauvreté, un concept relatif 6

c) Pauvreté, un concept à préciser 9

2. Le concept de développement 10

a) Il provient du paradigme évolutionniste occidental 11

b) Il a pris un sens interventionniste. 11

c) Il s’est inscrit dans une stratégie anti-insurrectionnelle. 12

d) Qu’est-il arrivé dans la réalité du développement?. 15

3. Pauvreté globale, un concept lié au développement 16

4. Conclusion. 18

Ouvrages cités. 20

Table des matières. 23



[1] Ceci par l’« Édit du Roi portant établissement de l’Hôpital général pour le Renfermement des pauvres mendiants de la ville et Faux-bourgs de Paris » (cité par Foucault 1972 :668-671).

[2] « Déclaration du Roi, pour l’établissement d’un Hôpital général en toutes les villes et gros-bourgs du royaume suivant les ordonnances des Rois Charles IX et Henry III » (citée par Foucault 1972 :671).

[3] Bien sûr, la catégorie de citoyen excluait la classe majoritaire et dominée, c’est-à-dire les esclaves.

[4] Ces populations vivaient essentiellement de la chasse, de la cueillette et de la pêche et ne pratiquaient pas l’agriculture et l’élevage de façon significative.

[5] Il faut préciser que la catégorie de « chasseur-cueilleur » implique nombre de distinctions comme le montre la typologie de Testart (1981), la pertinence de la catégorie elle-même, en tant que forme de classification des sociétés humaines, ayant aussi été remise en question par Arcand (1988). Mais toutes ces nuances d’ordre épistémologique n’enlèvent rien à la validité de l’analyse de Sahlins sur les Bochimans Kung.

[6] Nous reviendrons sur cet aspect en traitant de la pauvreté globale.

[7] Toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs ne sont pas égalitaires ni exemptes de surplus, certaines sont même parvenues à générer un excédent très significatif, comme par exemple les Indiens de la Californie et de la côte nord-ouest de l’Amérique (Testart 1981).

[8] Il s’agit d’une forme précapitaliste de production, la culture al partir, qui se pratique très fréquemment entre familles paysannes. Deux familles s’unissent pour cultiver ensemble un champ appartenant à l’une d’elle, les deux familles travaillant également mais celle qui est propriétaire percevant en général une rente équivalente à 10% de la récolte.

[9] Je me réfère ici au chugchi qui est une forme de glanage remplissant une fonction redistributive, selon laquelle pratiquement n’importe quelle personne peut ramasser les restes d’une récolte dès que celle-ci est terminée.

[10] Notamment, il a été ministre de la Science et de l’Éducation supérieure en Iran où il a fondé l’Institut d’étude du développement endogène, il a ensuite œuvré auprès du PNUD et de l’UNESCO et il a enseigné à l’Université de Californie à Berkeley, au Claremont College et à l’Université Américaine de Paris.

[11] Voir les analyses que nous avons faites du concept de pauvreté dans la première section.

[12] À titre d’exemple, Développement et Paix s’était inspirée des courants de pensée critique dans sa publication « Principes de base et orientations » (1982). Plus récemment, voici le concept de développement proposé par les participants à la Rencontre latino-américaine de Développement et Paix de Santa Cruz, Bolivie (Desarrollo y Paz 2004 : 20-21) :

« Un développement conçu en fonction de la vie et la reproduction de tous les êtres, qui fournisse des conditions de vie dignes pour toutes les personnes et collectivités et qui considère tout à la fois les dimensions économique, sociale, politique et éthico culturelle. »

https://www.alainet.org/fr/articulo/112038
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