Interview d'Alirio Uribe, défenseur des droits humains

Le risque d'une réélection de Alvaro Uribe

28/04/2004
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Alirio Uribe
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 « Il s'agit d'un gouvernement perdu, perdu pour la paix, pour une solution politique. C'est un gouvernement qui n'a pas de politique des droits humains » , affirme le défenseur des droits humains Alirio Uribe, membre du Collectif d'avocats José Alvear Restrepo, qui ajoute qu'actuellement « le risque existe que le président se fasse réélire avec l'aide des médias ».

 

Dans cette interview, le défenseur des droits humains, qui, il y a peu, était l'un des vice-présidents de la Fédération internationale des droits humains (FIDH), fait un bilan de la politique de « sécurité démocratique » et révèle quelques-uns des mécanismes de la « guerre antiterroriste » de Alvaro Uribe.Celle-ci se traduit, entre autres, par des assassinats et le discrédit portés sur des défenseurs de droits humains, la légalisation du paramilitarisme, des délations et des détentions massives de personnes qui n'ont rien à voir avec les mouvements rebelles.

 

 Quel est votre bilan de la situation des droits humains en Colombie depuis que le président Uribe a mis en oeuvre sa politique de « sécurité démocratique » ?

 

Le gouvernement antérieur proposait une négociation politique. Le gouvernement de Andrés Pastrana a échoué parce qu'il n'existait pas de volonté politique suffisante de la part des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ni de la part du gouvernement pour entrer dans un processus de négociation. Cela a eu pour conséquence, face à la lassitude que la guerre provoque en Colombie, que le président Alvaro Uribe, qui proposait une politique autoritaire, une solution militaire au conflit et une guerre totale à la guérilla, soit élu. Cela a conduit à une dynamique centrant toute la politique publique sur le fait de gagner la guerre et cela a conduit à ce que son Plan national de développement, ou à ce que lui appelle sa politique de « sécurité démocratique », soit entièrement dédié à gagner la guerre. Cela s'est traduit par sa tentative de prendre des mesures concernant l' « état d'exception » (réduction temporaire de garanties constitutionnelles pour le citoyen et octroi de pouvoirs extraordinaires aux forces de sécurité, N.d.T.) qui ont été cassées par la Cour constitutionnelle. Dès lors, le président et son ministre se sont dit que la Constitution ne leur était pas utile parce qu'elle ne leur permettait pas d'en finir avec la guérilla. Ils ont donc commencé à la détricoter. Ils ont déjà fait une réforme constitutionnelle qui a affecté les droits constitutionnels. Ils veulent à présent procéder à d'autres réformes. Non pas dans le but d'adapter la politique du gouvernement à la Constitution mais bien dans le but d'adapter la Constitution à la politique gouvernementale. On assiste à un recul en matière de droits et de libertés. Ils veulent démonter la Cour constitutionnelle, annuler son action de tutelle et lui retirer des compétences. Une autre phase de régression se profile ici. Elle consiste en une plus grande militarisation du pays, un plus grand nombre de bataillons, une armée plus nombreuse, un approfondissement du Plan Colombie. L'aide octroyée (essentiellement militaire et provenant des Etats-Unis, N.d.T.) l'était au début pour combattre le trafic de drogues, aujourd'hui elle est destinée à combattre le terrorisme. Dans ce contexte, différents éléments sont particulièrement graves. Premièrement, le fait que pour le président il n'y a pas de conflit armé en Colombie. Selon lui, il s'agit d'un état légitime attaqué par quelques terroristes. Dans cette logique, il n'y a aucune négociation possible parce qu'il s'agit de criminels, d'assassins, d'ennemis de la société dans son ensemble. L'unique voie, c'est le combat. Cela ferme toutes possibilités de dialogue. Si on ne reconnaît pas l'existence d'un conflit armé, on peut encore moins reconnaître la possibilité d'une négociation politique. L'autre élément fort c'est que, dans cette même logique, tous les Colombiens doivent être contre le terrorisme et donc avec l'Etat. Celui qui n'est pas avec l'Etat est un terroriste.

 

C'est la même politique que Bush.

 

 Oui. Quand les gens sont allés voté contre les propositions de son referendum (novembre 2003, N.d.T.), la télévision diffusait des images de propagande montrant les attentats des FARC, la destruction des oléoducs, les populations attaquées, etc. ... On désignait comme des terroristes ceux qui n'étaient pas d'accord avec la politique du gouvernement. Il implique par conséquent toute la population dans le conflit et il le fait de différentes manières. Déjà plus de 5 % de la population fait partie du réseau d'informateurs, c'est-à-dire que plus de 2 millions de personnes sont payées par l'Etat pour donner des informations aux autorités, pour qu'ils soient des espions.

 

 Combien sont payés ces informateurs ?

 

Le salaire tourne autour du salaire minimum légal et cela dans un pays pauvre qui a un haut taux de chômage. Mais il y a aussi des paiements par information. On peut voir à la télévision le spectacle grotesque d'un type masqué recevoir un peu d'argent pour avoir collaborer avec le gouvernement. Et cela dans un contexte de guerre de tranchées qui se traduit par des actes arbitraires impressionnants parce que beaucoup de ces témoins en quête d'argent finissent par accuser des personnes innocentes d'être des auxiliaires de la guérilla ou d'appartenir aux FARC ou de n'importe quoi d'autre. Une autre manière d'impliquer la population est la formation de soldats paysans. Cela revient à créer des brigades d'autodéfense dans lesquelles on dit au soldat : « Vous allez être soldat mais vous restez là où vous êtes ». Ce que fait l'Etat c'est donc de dire à l'épouse, aux enfants, aux grands-parents, aux voisins, aux amis : « Regardez, si vous ne voulez pas que l'on tue vos proches : aidez, collaborez ! ». La famille est impliquée. D'un autre côté, on a renforcé la force publique, les bases militaires, etc. ... Il s'agit donc de dire aux gens qu'ici il n'y a pas de distinction, qu'ici nous sommes tous des anti-terroristes ou alors nous sommes des terroristes ou des terroristes présumés.

 

Y-a-t-il aussi des détentions massives ?

 

 Bien sûr. Ce gouvernement ne mène pas une politique de paix, il a donc adopté une stratégie de délation. Il a fait voter le décret 128 en 2003 qui stipule que tout guérillero ou paramilitaire peut se présenter devant n'importe quel bataillon ou commissariat, avec ou sans son arme, pour se rendre et être réincorporé dans l'Etat. Dès lors, ils établissent une liste et on leur octroie une aide économique. On les loge, on les nourrit, on leur donne la sécurité sociale et des primes les incitant à collaborer avec l'Etat, pour qu'ils se transforment en « délateurs ». Cela, ce n'est pas une politique de paix, c'est une politique de guerre, c'est une stratégie de la délation. Ils parcourent ainsi le pays en distribuant des prospectus qui disent que si vous êtes guérillero, vous devez vous rendre et on vous donnera je ne sais pas combien pour votre fusil. Cette stratégie a conduit beaucoup de gens à quitter les FARC ou les rangs des paramilitaires et à commencer à donner des informations. Mais cela a aussi conduit beaucoup de gens, sans emploi ou qui ont faim, à se présenter comme guérillero sans l'être et comme ils sont aux abois, ils se transforment en informateurs du Parquet. Pour 1000 ou 2000 dollars, ces personnes commencent à dénoncer : à dire que le boucher vend de la viande à la guérilla, que le coiffeur coupe les cheveux des guérilleros, que l'infirmier soigne des guérilleros dans l'hôpital, ... Cela se termine par des opérations au cours desquelles 20, 50 ,80, 100, jusqu'à deux mille personnes comme cela a été le cas en Arauca, sont arrêtées parce qu'elles sont suspectées d'être des auxiliaires de la guérilla. Au sein de la politique gouvernementale, un des axes consiste en une politique d'isolement de la guérilla. On assiste ainsi à des détentions d'un nombre impressionnant de personnes qui n'ont absolument rien à voir avec la guérilla. Il s'agit en quelque sorte de punir la société pour ne pas être des donneurs, des informateurs ou que sais-je encore ... De cette façon on punit le non-engagement dans le conflit. Les personnes « réincorporées » finissent souvent assassinées .... ou mentent aux bataillons. Ces mensonges sont ensuite légalisés dans les rapports des services de sécurité et conduisent à des perquisitions illégales, des détentions sans ordre de capture. Il s'agit donc d'une politique absolument arbitraire et répressive. Concernant les défenseurs des droits humains et les dirigeants sociaux, quelle a été la politique de Alvaro Uribe ? La même. Concrètement, l'année passée en Colombie, ils ont tué 13 défenseurs des droits humains, la guerre sale continue, les assassinats se poursuivent et on assiste à un processus de légalisation du paramilitarisme, son institutionnalisation étant assurée grâce à la figure des soldats paysans, du réseau d'informateurs, des délations. Il existe une proposition d' « alternative pénale » pour légaliser les biens du trafic de drogues administrés par les paramilitaires, etc. ... Etant donné que nous dénonçons tout cela, le gouvernement a même osé dire que nous sommes les porte-parole, des auxiliaires du terrorisme. Ils ont une attitude très agressive. Envers les mouvements sociaux, c'est la même chose : il existe une disqualification totale, un déni du droit d'association, des formes d'organisation. On continue également à prendre des mesures régressives en matière sociale, de santé et d'éducation. Il s'agit donc d'un gouvernement perdu, perdu pour la paix, pour une solution politique. C'est un gouvernement qui n'a pas de politique des droits humains et nous courrons le risque que le président se fasse réélire puisqu'il propose une modification de la Constitution pour se faire réélire. Malheureusement, les médias ne jouent pas un bon rôle et le président jouit d'une grande popularité.

 

Cette popularité est estimée à.... ?

 

Certains parlent de 70% voire plus. Moi je prends l'exemple de Fujimori. Il jouissait aussi d'une très grande popularité et il a été réélu mais nous savons tous comment cela s'est terminé…

 

En dépit du fait qu'on lui attribue une grande popularité, le président Uribe a perdu le referendum. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

 

Le président a perdu le referendum parce qu'il a réussi à unir toute la société contre ses politiques répressives et cela a fait que les gens n'ont pas voté le referendum. Mais concernant les mesures de sécurité et de répression, les gens restent indifférents. Les gens qui vivent en ville n'ont pas grand chose à faire de ce qui se passe dans les campagnes. En matière de sécurité le gouvernement est très soutenu. Du côté de la guérilla, les dénonciations de violations du droit international humanitaire (DIH) ne cessent de croître. Il est évident qu'en Colombie, la guérilla a commis des actes à l'encontre de la population civile, c'est indiscutable. Elle a commis des infractions très graves au droit international humanitaire. C'est tout le problème des prises d'otages, de certains massacres. La guérilla a aussi contribué au déplacement forcé de communautés. Ce que nous avons toujours dit c'est que si la guérilla veut avoir une légitimité sociale, elle doit respecter le DIH. Nous avons également fait des propositions au gouvernement et à la guérilla concernant la nécessité de souscrire à des accords humanitaires qui respectent la société civile. En ce sens, je pense que la guérilla a une motivation politique et je pense que le conflit armé colombien doit trouver une solution qui soit politique.

 

Comment évaluez-vous la réintégration à la vie légale des paramilitaires ?

 

La proposition d' « alternative pénale » consiste en une légalisation du paramilitarisme. Le pouvoir politique et économique veut ainsi payer sa dette envers les paramilitaires qui ont, pendant des années, protégé ses biens et sa vie. Il ne veut donc pas les mettre en prison et désir qu'ils s'intègrent. Par exemple à Medellín, un grand nombre des démobilisés du Bloque Cacique Nutibara (paramilitaires) étaient réellement des miliciens urbains et ils travaillent actuellement pour Metro Seguridad. C'est comme prendre tous ces réseaux et les légitimer, les légaliser et les maintenir en activité pour le conflit.

 

Uribe est-il également en train d'impliquer d'autres pays dans sa lutte antiterroriste ?

 

Il agit selon la même logique que Bush. C'est le seul président à demander que l'on envahisse son pays ! Alors que Hussein et le monde entier condamnait l'invasion de l'Irak, Uribe demandait que l'on nous envahisse. Et cela, il le demande depuis l'époque où il était gouverneur. De cette manière, oui, il veut montrer à Bush qu'il a une politique antiterroriste et d'une certaine façon il régionalise le conflit : il veut que les troupes prennent position aux frontières du Venezuela, de l'Equateur et de Panama pour former une espèce d'anneau de sécurité. Malheureusement cette politique a eu un certain écho en Equateur mais pas au Venezuela, c'est pour cela que les gringos veulent faire tomber Chávez. J'espère que l'Equateur ne va pas aider à cela.

 

Source : ALAI, América Latina en Movimiento, 17-03-04.

 

Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL.

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/109922
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