Vers un agenda social de la communication
27/01/2002
- Opinión
La nouvelle spirale de violence et de mensonges qui a déferlé sur le monde entier après
les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, a brusquement installé un cadre
dévaforable aux luttes démocratiques. Face à cette adversité, celles-ci doivent redoubler
d'efforts pour la paix et la justice, mais aussi pour la vérité. Ceci implique de pointer non
seulement les « excès » de la manipulation et de la distorsion de l'information, mais surtout
les fondements et les conditions qui les rendent possibles, c'est-à-dire ce qui, depuis des
décennies, nourrit la lutte pour la démocratisation des communications et des médias.
Le Forum Social Mondial, en tant que processus structurant, se présente comme l'espace
idoine et légitime pour canaliser les énergies et permettre l'émergence d'un mouvement
social sous la bannière de la démocratisation de la communication. Partant de là, nous
proposons pour la conférence de focaliser l'attention sur l'ébauche d'un Agenda social de la
communication. S'agissant d'un thème transversal qui touche à toute relation humaine,
l'important est d'identifier les points centraux qui contribuent à la définition de stratégies et
d'objectifs nécessaires à l'articulation et à l'impulsion de ce mouvement social.
La démocratisation de la communication est, avant tout, une question de citoyenneté et de
justice sociale, qui fait partie du droit humain à l'information et à la communication. Autant
dire qu'elle est consubstantielle à la vie démocratique de la société même, dont la vitalité
dépend d'une citoyenneté dûment informée et délibérante qui puisse participer et être
coresponsable des prises de décisions dans les affaires publiques.
Cependant, ces derniers temps, cette aspiration démocratique s'est vue sérieusement
contrainte par l'hégémonie néolibérale qui, en plaçant le marché au centre de l'ordre
mondial, prétend confisquer les démocraties en vidant de son sens la citoyenneté. Et
d'autant plus lorsque la communication est devenue la clé de voûte de cette dynamique.
C'est si vrai que, en prenant appui sur le développement accéléré des technologies et des
techniques de ce domaine, les pouvoirs établis visent à la convertir en paradigme du futur,
que ce soit sous la formule de la « société de l'information » ou sous toute autre
équivalente.
Il est important de préciser que le développement des technologies de l'information et de la
communication repose sur deux éléments centraux. L'un est la numérisation, qui permet
de transcrire tout type d'information –données, texte, son, image, vidéo, codes,
programmes informatiques– dans le langage informatique avec un système de codification
basé sur une séquence binaire de bits (binary digit). L'autre est lié à l'extraordinaire progrès
des composants électriques : semi-conducteurs, circuits intégrés, transistors et
microprocesseurs.
A partir de ce langage commun, il est devenu possible de créer des protocoles qui
permettent de partager l'information entre ordinateurs et qui, complétés par les systèmes
de télécommunication (qui disposent maintenant de satellites puissants et intégrés) et la
technologie des réseaux, rendent possible la transmission de tous les types de messages
par un même canal, formant ainsi la base des nouvelles technologies de la communication
et de l'information. Cette intégration de technologies est ce qui fonde la logique de
convergence technologique, qui est une caractéristique fondamentale des NTIC.
Autrement dit, il s'agit d'une technologie polyvalente en termes d'infrastructure et de
canaux, ce qui lui confère son caractère flexible. Elle se décline aussi dans le secteur des
services.
La forme la plus visible de ces avancées technologiques pour le commun des mortels est,
sans doute possible, l'Internet. Et ce n'est pas un hasard si elle offre le meilleur visage pour
vendre la globalisation économique.
De ce fait, la communication non seulement a fait l'objet d'évolutions internes
substantielles (subordination de la parole à l'image, transmissions en direct et en temps
réel, multimédia, etc.), mais elle est également devenue l'un des secteurs les plus
dynamiques, avec de profondes répercussions dans tous les domaines de la vie sociale.
Concentration du pouvoir
La communication apparaît maintenant comme un secteur économique en pointe, tant par
sa rentabilité que parce qu'on y cherche les clés du renforcement de ladite « nouvelle
économie ». C'est pourquoi –à la faveur de la mondialisation économique– c'est là que
s'est déchaîné avec la plus forte virulence la dynamique de concentration d'entreprises et
de transnationalisation, qui s'est traduit par l'apparition de véritables « magnats », avec des
ramifications dans tous les coins du monde.
C'est-à-dire que des mégacorporations se sont formées par la fusion de groupes de
presse écrite, de chaînes de télévision, de télévisions câblées, de cinémas, de software,
de télécommunications, de divertissement, de tourisme, entre autres. De telle façon que
les produits et les services de leurs entreprises donnent lieu à une promotion mutuelle
entre les différentes branches dans une recherche d'extension de leurs « niches » de
marché respectives. Actuellement, les corporations qui dominent le marché mondial de la
communication sont au nombre de sept (Disney, Time Warner-Aol, Sony, News
Corporation, Viacom et Bertelsmann) ; si aucune restriction n'est apportée à cette logique
oligopolistique, demain elles seront encore moins nombreuses.
S'agissant d'un projet global, ce processus a été accompagné par la mise en place de
politiques de libéralisation et de déréglementation (surtout en matière de
télécommunications, pour éliminer toute régulation ou tout espace étatiques qui puissent
faire obstacle à l'expansion transnationale), mais aussi de réglementations (comme c'est
le cas de la nouvelle interprétation du droit de la propriété intellectuelle) destinées à
sauvegarder leurs intérêts et à obtenir une fois pour toutes que l'information et la
production culturelle soient considérées comme de simples marchandises.
Sous couvert du dogme néolibéral, ce qui s'est développé c'est une industrie médiatique et
culturelle hautement concentrée et régie par des principes exclusivement commerciaux,
où les critères de rentabilité l'emportent sur ceux de l'intérêt général, la notion de
consommateur(trice) sur celle de citoyen(ne). Rien d'étonnant alors à ce que le futur se
dessine avec une abondance d'informations gratuites, mais banales –quoique rendues
spectaculaires par les médias–, et un accès à l'information de qualité réservé à ceux qui
auront les moyens de payer.
La force de cette attaque est telle qu'elle a pratiquement détruit sur son passage les
médias de caractère public, en les privatisant pour la plupart ou en les obligeant pour les
autres à se commercialiser en réduisant les espaces destinés à alimenter un débat large,
pluriel et ouvert sur les différents points de vue, idées et expressions culturelles de la
société.
En dépit de cela, les médias sont aussi devenus un point crucial de l'espace public et de la
citoyenneté elle-même –nous disons crucial pour signaler qu'il ne s'agit pas d'un
phénomène nouveau, mais intensifié et substantiel–, aussi bien par la capacité qu'ils ont
maintenant de peser sur la définition des agendas publics que de légitimer tel ou tel débat.
La prédominance des médias de communication par rapport à d'autres instances de
médiation sociale –partis, syndicats, églises, établissements éducatifs, etc.– est telle que
ces dernières, pour s'imposer, ont régulièrement recours à ces mêmes médias.
Intérêt général hors jeu
Dans ce contexte, le risque de voir la « dictature du marché » se consolider à partir du
pouvoir énorme qui s'est concentré dans le monde de la communication, pour gagner « les
esprits et les coeurs » des gens, n'est pas une simple chimère.
En effet, à mesure que le monopole de la transmission des idées, des informations et de la
culture s'étend, il s'avère que la pluralité et la diversité dans les médias comptent toujours
moins du fait du rétrécissement systématique de la game des points de vue qui s'y opère.
C'est que cet « avantage comparatif » qui résulte de la concentration de tels moyens, s'est
transformé en pilier stratégique pour l'offensive idéologique de la globalisation néolibérale.
Bien que sur toute la planète les pressions sur les pays pour qu'ils ouvrent leurs marchés
(celui de la communication en premier lieu) aient été constantes, l'avancée de la
globalisation sur ce plan a sans doute été moindre que celle obtenue sur le plan
idéologique où la « pensée unique », selon Ramonet, a fait des ravages. D'où la force avec
laquelle s'est propagée la prémisse néolibérale de ce que le marché est la seule entité
capable d'organiser la répartition des ressources, raison pour laquelle aucune intervention
ou régula tion de l'Etat que ce soit n'a lieu d'être. C'est-à-dire un monde où la
« liberté » se mesure par l'absence d'obstacles pour les acteurs du marché.
Dans ce cadre, le discours sur la « liberté de la presse » a regagné de l'espace, mué en
« liberté d'entreprendre ». Il convient de rappeler que les pères de la pensée libérale
associèrent la liberté de la presse à la préservation de la vie publique au-delà de l'Etat,
faisant l'hypothèse que la liberté d'opinion devait être garantie par une presse
indépendante, moyen principal de l'expression de la diversité des points de vue et de la
formation d'une opinion publique informée et vigilante face aux abus du pouvoir étatique.
Dans cette ligne de pensée, ils donnèrent pour acquis que la liberté d'entreprendre était le
fondement de la liberté d'expression, considérant que le laissez faire économique était la
contrepartie naturelle de la liberté individuelle d'opinion et d'expression.
Leur préoccupation pour la liberté d'expression, dans un contexte historique marqué par
des gouvernements absolutistes, se référait à la menace que l'Etat faisait peser sur
l'espace public. D'où il résulte qu'il est particulièrement malhonnête ou trompeur de
s'abriter derrière cette prémisse pour tenter de masquer la principale menace qui pèse
aujourd'hui sur la liberté d'expression : la formation de monopoles médiatiques à caractère
commercial. C'est que les médias commerciaux mesurent leurs succès en termes de
bénéfices réalisés à double titre, ceux qui résultent de la vente de produits aux
auditeurs/spectateurs/lecteurs et ceux de la vente d'audience aux annonceurs, toutes
choses qui n'ont rien à voir avec l'intérêt général.
De fait, dans ce double jeu de la recherche du profit, le chiffre d'affaires réalisé avec les
annonceurs arrive en tête, au point que la publicité est devenue le facteur déterminant des
grilles de programme et des indicateurs de succès de l'ensemble des médias. La
globalisation des médias impose donc la diffusion de messages consuméristes qui
subordonnent les différences culturelles au style de vie basé sur la consommation qui
caractérise les métropoles du Nord. Un univers qui ne laisse pratiquement aucun espace à
l'intérêt général puisque les programmes de ce type, peu ou pas « vendeurs », ne sont pas
du goût des annonceurs.
Dégradation culturelle
Dans cette situation, le journalisme compte au nombre des sinistrés puisque ce métier –
avec la concentration du secteur– a évolué selon la logique du divertissement réglée par le
« light » et la frivolité. C'est si vrai que, maintenant, tout est dicté par la formule
« gagnante » des 3 « s » : sexe, sensation, sang. Sous ces nouveaux auspices, la
recherche de la vérité, tant vantée par la presse occidentale, en reste au stade de la bonne
intention qui s'efface devant les impératifs du marché à l'horizon duquel les citoyen(ne)s
sont absents et où seuls comptent les consommateurs(trices). Pour les toucher, la priorité
a été donnée aux programmes standardisés pour tous publics, par delà les couches
sociales, les pays ou les cultures. Les affaires étant les affaires, cette priorité s'est étendue
également au domaine de l'information. Il s'ensuit que la quantité de données et de
propagande commerciale et politique que nous proposent les médias devient, chaque jour
qui passe, plus sidérante, alors que dans le même temps l'information diminue et se
dégrade.
Plus grave encore, cette tendance, désignée maintenant par ce qu'il est convenu d'appeler
« industrie du divertissement » et « services récréatifs », représente une menace sérieuse
pour la diversité culturelle de la planète, tant son expansion transnationale érode les
cultures locales et traditionnelles dans la mesure où, basiquement, elle promeut, de
manière asservissante, le style de vie et les valeurs culturelles des puissances
économiquement et politiquement dominantes, des Etas-Unis en particulier.
Vue à travers le prisme du marché global, on prétend maintenant que la « diversité
culturelle » se réduit à l'offre d'une gamme de produits et de services destinée à satisfaire
amplement le « goût » des consommateurs, qui –par ailleurs– sont systématiquement
sondés (y compris avec des méthodes qui ressortent de l'espionnage) par des
spécialistes en « niches de marché ».
Si nous avons pris conscience du risque que représente la dégradation de la biodiversité, il
est temps de le faire pour ce qui concerne le risque que représentent les grands
conglomérats de la communication dans le domaine de la diversité culturelle. C'est dire
que la protection de l'environnement informatif et culturel, au même titre que celle de
l'environnement physique, est devenue un impératif et une garantie pour le futur.
Initiatives citoyennes
Le cours de cette tendance ne pourra être freiné et modifié que par une action citoyenne
forte, soutenue et source de propositions. Des voies sont ouvertes par des initiatives
multiples sur différents plans. Collectifs engagés pour garantir l'accès universel et
l'appropriation effective des nouvelles technologies de l'information et de la
communication ; réseaux d'échange pour développer les logiciels libres ; espaces de
concertation pour défendre dans les instances de décision le droit à l'information et à la
communication ; organismes engagés dans la veille et la mise en place d'actions critiques
par rapport aux contenus sexistes, racistes, excluants, etc. véhiculés par les médias ;
programmes d'éducation pour développer une attitude critique vis-à-vis des médias (media
literacy) ; associations d'usagers pour influer sur la programmation des médias ; médias
indépendants, communautaires, alternatifs, etc. engagés dans la démocratisation de la
communication ; réseaux citoyens et d'échange d'information reliés par Internet ;
chercheurs qui contribuent à déchiffrer les clés du système régnant et qui indiquent des
issues possibles ; organisations sociales qui entrent avec force dans la bataille de la
communication ; associations de journalistes qui arborent la bannière de l'éthique et de
l'indépendance ; collectifs de femmes qui participent à des réseaux pour que la question du
genre avance dans la communication ; mouvements culturels qui refusent de se laisser
enterrer dans l'oubli ; réseaux d'éducation populaire ; observatoires pour la liberté
d'information ; associations anti monopoles ; mouvements de défense des médias à
caractère politique ; etc. etc.
Il s'agit des embryons d'une résistance citoyenne, encore dispersée, qui a besoin de se
multiplier et de se transformer en un grand mouvement de mouvements sociaux organisé
dans la lutte pour la démocratisation de la communication, secteur où se joue actuellement
le futur de la démocratie elle-même. En conséquence, ce n'est pas un sujet réservé à ceux
qui sont liés, directement ou indirectement, au secteur de la communication : il interpelle
l'ensemble des acteurs sociaux. Le FSM peut être cet espace de rencontre nécessaire et
urgent.
Propositions alternatives
Des divers événements qui ont eu lieu sur le thème de la démocratisation de la
communication et des médias, nous avons repris les points de repère suivants comme
données de base pour avancer dans la formulation d'un agenda commun.
? Le Droit à la Communication se présente maintenant comme une aspiration qui
s'inscrit dans le devenir historique qui commença par la reconnaissance de droits aux
propriétaires des médias d'information, puis à ceux qui y travaillaient avec un lien de
subordination, et, finalement, à toutes les personnes puisque la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme, dans son article 19, les inscrivit comme le droit à l'information
et à la liberté d'expression et d'opinion. Le Droit à la Communication part d'une
conception plus englobante de tous les droits reconnus et revendiqués autour de la
communication, et incorpore en particulier les nouveaux droits en relation avec le cadre
changeant de la communication, avec une optique plus interactive dans laquelle les
acteurs sociaux sont sujets de la production de l'information et non pas simplement
récepteurs passifs de l'information. De même, il tient compte du fait que sa
reconnaissance est nécessaire à l'exercice des autres droits humains et qu'il constitue
un élément fondamental de la vigueur de la démocracie. L'intégration de ce droit dans
les agendas des mouvements sociaux et la définition de stratégies pour sa mise en
oeuvre concrète, représentent un objectif clé pour l'élaboration d'alternatives.
? L'établissement de politiques publiques portées par des mécanismes démocratiques
de contrôle social, pour limiter la puissance des intérêts en jeu dans la logique du
marché, avec des normes qui permettent leur régulation, leur réglementation et leur
contrôle, et qui rejettent les dispositions discutables telle que la censure, est considéré
comme une priorité. Le sujet couvre une large gamme d'aspects différents, y compris,
d'une part, les tentatives actuelles de dérégulation du secteur et de législations
imposées relatives à la propriété intellectuelle, promues par l'OMC, le FMI et consorts,
et dont le propos est de faciliter le processus de mondialisation et de concentration des
médias et des systèmes de communication et, d'autre part, la nécessité d'établir des
politiques qui garantissent la pluralité et l'indépendance des sources, la souveraineté et
la diversité culturelles, l'accès démocratique aux technologies, entre autres choses. A
cet égard, les luttes de résistance en cours incluent la démocratisation de l'espace
hertzien (face aux tentatives de privatisation), la défense des droits des utilisateurs
d'Internet (en relation avec les projets d'écoute électronique, de censure, etc.), la mise
en place d'instances de régulation indépendantes à travers desquelles la société civile
puisse participer, entre autre, à la définition de politiques.
? En lien avec les politiques publiques, on remarque la proposition de soutien et d'appui à
la création de médias de communication publics à caractère citoyen. Il s'agit de médias
de la sphère publique (pas nécessairement étatique), mais qui soient sous le contrôle
de la société civile et financés selon le principe de l'économie solidaire (c'est-à-dire
avec des fonds publics et/ou privés).
? De même, les actions développées dans les différents contextes nationaux et
internationaux pour freiner le processus monopolistique des médias et des systèmes
de communication, ainsi que la marchandisation de l'information, acquièrent une
importance particulière.
? Une autre priorité concerne le développement d'une information diversifiée, plurielle et
soucieuse de la question du genre. Les actions qui s'y rapportent vont de la critique et
de la pression sur les médias de masses à l'appui au développement et à la survivance
de médias alternatifs et indépendants qui appliquent les mêmes principes dans leur
pratique.
? Les journalistes, particulièrement par le biais de leurs syndicats, représentent un
secteur prioritaire à engager dans ce mouvement. Non seulement parce que leurs
propres intérêts professionnels se trouvent menacés par la marchandisation de
l'information, mais aussi parce qu'il est essentiel de créer des alliances avec ce
secteur autour du caractère de service public de la communication.
? Un autre secteur avec lequel il est important de nouer des alliances est celui des
mouvements de consommateurs, afin de développer des mouvements de pression
vers les médias et les systèmes de communication qui traitent leurs
« consommateurs » de façon individuelle, ne leur laissant que le pouvoir d'acheter ou
de ne pas acheter, d'allumer ou d'éteindre. Ce pouvoir serait plus fort s'il était exercé
collectivement.
? Construire une société civile informée requiert la capacité de lecture critique des
médias de communication. C'est ce que cherchent à développer les programmes
« d'alphabétisation médiatique » (media literacy), pour que la société civile puisse
mieux comprendre la nature socialement construite des médias.
? Les recherches, qui permettent d'envisager de nouveaux terrains et de nouvelles
formes d'action, sont un élément fondamental pour accompagner ce processus. Une
relation plus étroite entre les mouvements pour la démocratisation de la
communication et les chercheurs s'impose ; de même que l'élaboration de documents
de vulgarisation des recherches et les échanges entre la théorie et la pratique.
? Une des propositions sociales centrales sur la communication formulées dans le cadre
du premier FSM a été celle de l'urgence d'ouvrir un large débat public sur l'impact et les
conséquences de la concentration monopolistique dans le domaine de la
communication et sur les priorités du développement des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Un tel débat permettra d'ouvrir la réflexion
nécessaire, mais toujours remise à plus tard, sur la relation entre les médias et la
démocratie, leur fonction sociale et l'imposition d'un modèle basé sur des
considérations strictement commerciales.
Etapes nécessaires
La lutte pour la démocratisation de la communication n'est pas, et ne sera pas, facile. Le
pouvoir acquis par les mégacorporations qui dominent ce secteur est énorme, aussi bien
en termes de moyens que par le pouvoir discrétionnaire dont elles disposent d'accorder la
visibilité publique selon leur convenance, question cruciale pour ceux qui gravitent ou
voudraient graviter autour des instances de décision politiques. Il serait naïf d'attendre
qu'un changement se produise de l'intérieur du système : nous ne pouvons que parier sur
une grande mobilisation citoyenne pour changer le cours des événements.
Que cela nous plaise ou non, au cours des dernières décennies, des tranformations
profondes se sont produites, marquées au sceau du néolibéralisme, et face auquelles
nous ne devons penser qu'en termes d'avenir. Non pas pour rechercher un quelconque
accommodement ou mendier quelque avantage, mais pour donner à cet avenir le sens de
l'humanité. Dans cette perspective, une première étape fondamentale consiste à retrouver
le sens de l'intérêt général, et donc à réinventer les espaces et les mécanismes ad hoc.
Ce qui, pour la question qui nous occupe, implique de lutter pour l'établissement d'un cadre
institutionnel qui garantisse et promeuve l'existence d'une pluralité de médias de
communication indépendants.
Pour que cela se concrétise, il est impératif de mettre un terme au processus de
concentration monopolistique de l'industrie des médias, par des dispositions légales qui
non seulement limitent ce processus (taxation des bénéfices, des ventes d'actions, des
mouvements de capitaux, de la publicité, par exemple), mais également qui établissent les
conditions nécessaires au florissement de médias indépendants et à la création et au
renforcement d'instances protectrices de l'intérêt général (par exemple les médiateurs).
Ceci implique d'exiger des gouvernements et des blocs régionaux qu'ils assument leurs
responsabilités, mais aussi de situer la problématique au niveau international.
Mais ceci n'est pas suffisant, il est également important de démocratiser la nouvelle
dimension publique créée par le développement de la communication médiatique dans le
domaine de la visibilité. Ce qui, plus qu'à des questions de relations publiques, renvoit à la
capacité des mouvements sociaux et citoyens de conquérir cet espace.
C'est dans cette perspective que se situe la pression pour l'ouverture d'un véritable débat
public sur le rôle de la communication et des médias dans nos sociétés. Alors que le
discours officiel ne cesse de répéter que les NTIC vont transformer profondément notre
vie, il est paradoxal de constater qu'aucun mécanisme et aucun espace n'ont été mis en
place pour que la société se prononce sur ce sujet. Cette carence ne doit rien à
l'inattention ou à la négligence. Elle résulte des impératifs des logiques de pouvoir qui, à ce
qu'il semble, ont trouvé dans l'Internet et les nouvelles technologies de communication un
vecteur sympathique pour vendre la globalisation économique, étant donné que pour de
larges secteurs de la population mondiale, le seul lien avec la globalisation est de nature
symbolique ou médiatique. D'où le « mélange de réalité et de fiction » qui caractérise de
tels discours.
Le Sommet Mondial sur la Société de l'Information, sous le patronage de l'ONU, qui se
tiendra à Genève en décembre 2003, se présente, malgré les litimes dans lesquelles il a
été conçu, comme une occasion et un défi pour ouvrir le débat, coordonner les forces et
faire entendre la voix de la société. C'est dans cette optique que se situe la Campagne
pour le « Droit de la Communication dans la Société de l'Information » à l'initiative d'un
ensemble de réseaux et d'organisations citoyennes.
Contribution préparatoire à la Conférence « Démocratisation des communications et des médias »,
tenue le 3 février 2002 au cours du 2ème Forum Social Mondial.
* Osvaldo León, communicologue équatorien, est coordinateur de ALAI.
https://www.alainet.org/fr/articulo/108212?language=en
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