La Cour Internationale de Justice, le Pérou, le Chili et quelques questions de forme

30/01/2014
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La Cour Internationale de Justcie (CIJ) a rendu son verdict, fort attendu du reste, entre le Pérou et le Chili ce Lundi 27 janvier, relatif  à la délimitation maritime (voir texte officiel). Sollicitée par le Pérou en janvier 2008, la CIJ a procédé à lire et à écouter attentivement les deux Etats pendant 6 ans, durée anormalement longue pour ce type de contentieux, étant donné qu’aucun Etat n’a procédé à user des procédures incidentes. En outre, il doit s’agir du délibéré le plus long de l’histoire de la CIJ: 13 mois exactement si l’on considère que la "fabrication" des arrêts de la CIJ - pour faire usage de l’expression du Président Mohammed Bedjaoui (Note 1) – débute quelques jours après la fin des plaidoiries orales, qui se sont tenues début décembre 2012 dans cette affaire. Dans son article, qui reste une référence sur le sujet,  le juge Bedjaoui indique que le délibéré le plus long de toute l’histoire de la CIJ fut celui de l’arrêt sur le fond rendu entre le Nicaragua et les Etats-Unis du 27 juin 1986, long de plus de 1100 pages dans l’édition bilingue officielle (Note 2). Chiliens et péruviens auront nonobstant attendu davantage. 
 
La ligne retenue par la CIJ (reproduite  dans sa décision à la page 66) tente de faire la part des choses (et des arguments) entre les deux Etats: un premier segment de frontiere maritime “convenue”, puis une ligne équidistante tracée sans circonstances spéciales ou situation qui résulterait en un resultat inéquitable. S’agissant d’une décision de 69 pages seulement (édition dans une seule des langues officielles de la CIJ), on croirait se trouver en présence d’une décision qui, au premier abord, ne semble pas soulever de difficulté majeure au plan juridique. On est alors en droit de se demander ce qui a bien pu mener la CIJ à prendre autant de temps pour se décider sur des choses aussi simples en apparence. La myriade d’opinions individuelles, dissidentes, certaines écrites à titre individuel, d’autres à titre collectif, semble indiquer que le consensus n’a pas été vraiment de mise dans les débats internes: sur 17 juges, 12 se sont senti presque obligés de faire savoir leurs appréciations personnelles sur la décision finalmente adoptée. Cet aspect des choses peut indiquer un Président de la CIJ peu enclin à parvenir avec ses collegues à un accord sur un texte de base, un Comité de Rédaction dans lequel la cohésion est loin de voir le jour, ou encore, une capacité inusitée des juges ad hoc en vue de persuader les autres juges titulaires du bien fondé de leur position. On lit à la fin de la décision de la CIJ que: " MM. les juges TOMKA, président, et SEPÚLVEDA-AMOR, vice-président, joignent des déclarations à l’arrêt ; M. le juge OWADA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge SKOTNIKOV joint une déclaration à l’arrêt ; Mme la juge XUE, MM. les juges GAJA et BHANDARI ainsi que M. le juge ad hoc ORREGO VICUÑA joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; Mme la juge DONOGHUE et M. le juge GAJA joignent des déclarations à l’arrêt ; Mme la juge SEBUTINDE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc GUILLAUME joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc ORREGO VICUÑA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente ". 
 
On rappellera que pour cette affaire le Pérou avait désigné comme juge ad hoc l’ancien juge et Président français de la CIJ, Gilbert GUILLAUME, tandis que le Chili avait désigné le juriste chilien Francisco ORREGO VICUÑA. Sur la pratique (et l’éthique) des juges ad hoc à la CIJ, la plume fine et pénétrante d’un juriste sollicité à plusieurs reprises par les Etats pour siéger comme juge ad hoc, Nicolas Valticos, permet d’éclairer le lecteur sur les avatars, les joies, et les débats intimes de tout ordre d’un juge ad hoc lors de son séjour à La Haye (Note 3). Dans un modeste article récemment publié, nous avions eu l’occasion de faire part du grand soin que doivent avoir les Etats lors de la désignation de leur juge ad hoc (voir article en espagnol).
 
Qu’on le veuille ou non, exhiber de cette façon le débat interne de la CIJ (pour une décision n’atteignant pas les 70 pages)  n’aide malheureusement pas toujours celle-ci à asseoir son autorité, s’agissant notamment de questions de délimitation toujours délicates du point de vue politique, en Amérique Latine notamment: le Pérou et le Chili avaient quelques semaines auparavant souffert quelque peu les effets d’une attente anxieuse  (Note 4).
 
- Nicolas Boeglin, Professeur de Droit International Public, Facultad de Derecho, Universidad de Costa Rica.
 
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Note 1: Cf. BEDJAOUI M., "La "fabrication" des arrêts de la Cour Internationale de Justice", Mélanges Michel Virally, Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991, pp. 86-107. 
 
Note 2: Ibidem, p. 105 
 
Note 3: Cf. VALTICOS N, "La pratique et l’éthique d’un juge ad hoc à la Cour Internationale de Justice", Liber amicorum Judge Shigeru Oda, disponible ici
 
Note 4: Cf notre modeste article BOEGLIN N., “Innecesario nerviosismo entre Peru y Chile ante lectura del fallo de la CIJ”, TribuGolgal. Disponible ici

 

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