Les défis actuels de la gauche brésilienne

26/09/2004
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La société brésilienne vit une période très particulière pour diverses raisons. L'une d'entre elles est la longue période de crise du modèle économique. Chaque fois qu'il y a crise, il y a instabilité qui se caractérise en même temps par son aspect transitoire même si nous ne savons pas jusqu'où nous allons. Cela dépendra de la corrélation des forces sociales. Après 50 ans du modèle d'industrialisation appelé « dépendant » -d'après la définition de Florestan Fernandez-, dans les années 80, ce modèle est entré en crise en tant qu'idéal d'accumulation du capital. Durant la décennie suivante, la classe dominante brésilienne a accepté un rôle de subalterne du capital international et s'est mise à appliquer les politiques néolibérales, avec "l'illusion" qu'elle construirait un nouveau modèle de développement de l'économie nationale. Les politiques néolibérales ont privatisé notre économie, elles ont affaibli le pouvoir de l'Etat et elles ont donné la liberté totale au capital international. Mais cette subordination n'a pas entraîné un nouveau cycle de développement. Le capitalisme international était entré dans une phase de complète hégémonie du capital financier auquel s'ajoutent les grands groupes monopolistiques qui dominent dans le commerce, l'industrie et les services. Aujourd'hui, la principale forme d'accumulation se trouve dans la sphère financière. On l'accumule par le biais des intérêts et du profit dans l'achat d'actions des entreprises de l'Etat ou nationales déjà installées ; et on donne l'entière liberté à l'envoi de « remesas » [L'argent que les immigrés envoient dans leur pays d'origine, ndlr] à l'extérieur. Rien de tout cela ne produit de la richesse nationale, ni de l'emploi, ni du travail, ni de la distribution de revenu. En douze ans de ces politiques, l'économie, comme tout, continue à être instable. Indépendamment du fait que le produit intérieur brut (PIB) croisse, reste instable ou décroisse, les grandes transnationales et le capital financier gagnent toujours. Autrement dit, le modèle ne profite pas aux nations, il ne permet pas aux populations d'améliorer leur vie, mais profite aux oligopoles et au capital financier. Changements et paradoxes Avec des résultats sociaux chaque fois pires, le peuple a compris la signification de ces politiques et, aux élections de 2002, il a voté contre le modèle. On ne savait pas, néanmoins, ce qui devait être mis en place, à cause même du bas niveau du débat politique de la campagne de 2002. Dans le désespoir de la menace de la crise argentine, une partie de l'élite brésilienne a accepté la possibilité de changement et a fait une alliance avec l'alternative Lula. De ce côté-là, du côté du Parti des travailleurs (PT) et des forces sociales qui ont appuyé Lula, cette possibilité était perçue comme une alliance tactique entre la classe ouvrière et des secteurs de la bourgeoisie industrielle, pour affronter le capital financier, national et international. Mais du côté de l'élite, l'interprétation n'en fut pas ainsi. Elle a fait une alliance pour ne pas perdre la main et pour que le néolibéralisme continue à influencer les politiques publiques. La moitié du mandat s'étant écoulé, le résultat est là. On continue avec une politique économique néolibérale, toute puissante grâce aux secteurs de la classe dominante brésilienne qui contrôlent l'ensemble de l'aire économique du gouvernement, de la Banque centrale au ministère de l'Agriculture. La nature et les conséquences de cette politique nous les connaissons depuis douze ans. Ces secteurs de la classe dominante représentent l'hégémonie du capital financier qui se sert des politiques publiques pour assurer leurs taux de profits, à travers des intérêts, le pouvoir d'oligopoles et la totale liberté d'action. Quel est le paradoxe qui finit par nous aider ? C'est que cet ensemble de politiques d'allure néolibérale ne s'est pas construit sur un modèle solide d'accumulation du capital et de re-dynamisation d'un processus de développement national. Nous pourrions avoir une croissance économique mais qui serait dominée par le capital financier, par le secteur oligopole de l'économie et par les exportations des entreprises transnationales qui utilisent le libre échange pour augmenter leurs taux de profits. Dans ces politiques il n'y a pas de place pour la distribution du revenu, pour la réforme agraire, pour le marché interne, pour l'accroissement de la consommation de masse et encore moins pour les politiques sociales. Sans faire de catastrophisme, avec cette option, les problèmes sociaux ne pourront que s'aggraver. Ici, en Chine ou partout ailleurs où elles sont appliquées. C'est ça le défi de l'ordre économique. Il n'y a pas de solution pour le peuple avec les politiques économiques néolibérales. Elles n'intéressent que le grand capital. En ne conservant que ces politiques économiques, les problèmes du peuple s'aggraveront, malgré un PIB croissant et quelques secteurs qui augmentent le nombre d'emplois, en particulier ceux qui ont un lien avec le commerce extérieur. Le défi de la gauche sociale Comment affronter cette réalité ? Il existe une tendance naturelle des forces sociales et politiques à prendre seulement comme référence ce que fait le gouvernement. Cependant, comme nous disons entre nous, "le trou est plus bas" ["el agujero está más abajo"]. La société brésilienne précise qu'elle débat et construit un nouveau projet de développement, en pensant qu'un modèle peut, aujourd'hui, organiser la production et l'économie en ayant pour objectif de trouver une solution aux problèmes de la population, et plus simplement à l'accumulation du capital. Il faut un véritable effort social qui mène ce débat à tous les espaces sociaux, aux écoles, collèges, universités, syndicats, églises et mouvements sociaux. Et cela va au-delà de la tendance simpliste à seulement parler mal du gouvernement ou à le défendre. Le deuxième défi. Dans la lutte des classes, tout se résout par la corrélation des forces. Il a beau être combatif, un exercice de rhétorique ne suffit pas. Qui n'a pas de peuple organisé, n'a pas de force pour défendre ses idées. Qui n'a que de bonnes idées et ne s'inquiète pas pour organiser les travailleurs et les pauvres tombe facilement dans le sectarisme, dans le gauchisme ou dans le syndicalisme « jaune ». La corrélation de forces sociales actuelle est défavorable à la classe ouvrière, à cause de la longue période historique de reflux du mouvement de masses. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de luttes sociales. Mais il n'existe pas un mouvement croissant et massif qui construise organiquement une unité populaire autour d'un projet unifié de changements. Il faut stimuler les luttes sociales et la construction d'un ample mouvement de masses unitaire qui parvienne à s'opposer à l'hégémonie du capital financier qui s'exprime dans les sphères les plus diverses de la société et, parfois même dans le mouvement syndical. Une réflexion autocritique de nous tous prend ici toute sa place. Pour stimuler et organiser les luttes sociales il faut faire un travail de base, c'est-à-dire, pour les militants sociaux, prévoir en priorité de faire un travail de conviction et d'organisation en noyaux du peuple. Placer précisément nos énergies là où le peuple vit, travaille, et l'organiser. Il faut amener nos idées, notre matériel, faire de petites réunions, regrouper peu à peu, construire une force sociale organisée. Malheureusement, une partie du militantisme ne perçoit pas que sans organiser le peuple nous n'allons nulle part, et bien souvent nous évitons la question avec des réunions au sommet interminables ou avec de simples discours d'évaluation de la conjoncture. Combat idéologique Le troisième défi que la gauche sociale doit relever se joue sur le terrain du combat idéologique. Nous voulons organiser le combat de l'hégémonie dans la société, comme l'indique Gramsci. Pas seulement faire des luttes économiques, corporatives qui peuvent s'avérer être de petites victoires sociales pour le groupe social, mais qui n'organisent pas le groupe pour des transformations substantielles et qui ne débattent pas de projets dans la société. Sur ce terrain idéologique, nous avons plusieurs fronts et tâches à accomplir. Nous avons le travail de formation politique des militants, de nos cadres, actuellement très peu fréquent. Nous avons le devoir de construire nos propres moyens de communication sociale : des radios communautaires, des chaînes de télévision communautaires et publiques, des journaux et de l'information. Jusqu'à quand allons-nous être bercés d'illusions avec la conquête de petits espaces télévisés, journalistiques et des radios de la bourgeoisie ? Ils seront toujours au service des intérêts de leur classe, la classe dominante, comme nous le disait ce cher Perseu Abramo. Nous devons aussi utiliser les formes les plus diverses d'expression culturelle. Le théâtre, la musique, la danse, les arts plastiques et les fêtes populaires représentent une excellente forme de communication sociale et d'idées avec notre peuple. Comme vous le voyez, nous avons beaucoup de travail pour l'avenir si nous voulons sortir de cette crise économique et idéologique que la société brésilienne vit. Les gauches affirment faire une bonne autocritique et commencer à travailler en regardant à long terme. Traduction : Isabelle Lopez Garcia, pour RISAL (http://risal.collectifs.net).
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