Le retour des mobilisations sociales

14/09/2004
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Les mobilisations massives en défense du gaz et des hydrocarbures effectuées ces derniers jours par les mouvements sociaux de Bolivie ont reçu une réponse immédiate : la reconstitution de la « méga-coalition » de l'ex-président Gonzalo Sánchez de Lozada [1] qui soutient maintenant le gouvernement de Carlos Mesa Gisbert, ainsi que la « réapparition » de l'ambassadeur étasunien dans ce pays, David Greenlee. Le 25 août, la Coordination du gaz a convoqué une mobilisation qui a reçu une réponse positive dans quatre villes : El Alto, Cochabamba, La Paz et Oruro ; tandis que le 30 du même mois, le Mouvement vers le socialisme (MAS), démontrant son pouvoir, a mobilisé des milliers de personnes à Cochabamba, La Paz, Santa Cruz, Potosí, Sucre et Oruro. La consigne de ces secteurs populaires, auxquels d'autres se rallient, est la même : la nationalisation et l'industrialisation des hydrocarbures avant l'exportation vers les marchés du Mexique et des Etats-Unis. Le député national et chef du MAS, Evo Morales Ayma, a déclaré : « Face à l'arrogance et aux railleries du président Mesa qui n'obéit qu'à l'ambassade étasunienne et aux transnationales, les pauvres de ce pays, qui sont la majorité, nous n'avons qu'une alternative : Nous unir à nouveau ». Dans les jours passés, Oscar Olivera, porte-parole de la Coordination du gaz, a affirmé que pour approuver la nouvelle loi des hydrocarbures [2], le gouvernement devait écouter les mouvements sociaux, et pas seulement ladite classe politique ; dans le cas contraire, on recourra aux mesures de pression. Devant les mobilisations, le gouvernement a donné des instructions à l'armée et la police pour qu'elles protègent les points considérés stratégiques, mais il garde un silence sépulcral à propos des demandes populaires. Aux mobilisations populaires doivent s'en rallier d'autres de secteurs plus réactionnaires et conservateurs, comme les transporteurs qui ont paralysé le siège du gouvernement de Bolivie pendant 48 heures ou les mouvements civiques qui annoncent des mesures de pression. Toutefois, le chef de l'État, après avoir menacé de ne promulguer aucune loi si les parlementaires n'approuvaient pas son projet de loi d'exécution et d'application du référendum [3], a invité l'ancienne coalition gouvernementale de Sánchez de Lozada à soutenir sa politique sur les hydrocarbures. La méga-coalition de gouvernement est composée des partis d'idéologie néo-libérale comme le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), le Mouvement de gauche révolutionnaire (MIR), l'Unité civique solidarité (UCS) et l'Action démocratique nationaliste (ADN), mais la Nouvelle force républicaine (NFR) de l'ex-capitaine d'armée Manfred Reyes Villa n'est pas encore revenue à ce schéma, bien que son appui aux gouvernements en place ait toujours été conditionnel, et que l'on n'exclue pas sa rapide participation. Bien que les mouvements sociaux soient encore divisés [4] - c'est le produit du référendum du 18 juillet dernier - on espère que lors des futures actions dans les rues, sur les places et les routes, ils uniront leurs forces. Le référendum piège En accord avec les résultats officiels de la Cour nationale électorale (CNE), plus de 90 pour cent des Boliviens et des Boliviennes qui ont pris part au référendum obligatoire ont approuvé que l'actuel gouvernement du président Carlos Mesa, récupère la propriété de tous les hydrocarbures à la sortie des puits pour l'État bolivien. Un nombre semblable de citoyens a exigé d'abolir la loi 1689 - loi des hydrocarbures de l'ex-président Sánchez de Lozada - en annulant les 78 contrats de risque partagé avec les entreprises transnationales. Le gouvernement actuel n'inclut pas ces demandes dans son projet de loi d'exécution et d'application du référendum, mais, selon différents analystes économiques, c'est une réplique de la loi de Sánchez de Lozada (Goni). Toutefois, la Commission de Développement économique de la Chambre des députés a approuvé la nouvelle loi qui établit la récupération de la propriété des hydrocarbures pour l'État bolivien ; cette proposition doit être traitée en séance plénière à la Chambre. L'ambassadeur étasunien a indiqué que la nouvelle Loi des hydrocarbures devait profiter de manière égale au pays et aux investissements étrangers. « Tout dépend de la façon dont les conversations et la nouvelle loi se présenteront, c'est maintenant un processus interne, je ne peux pas émettre un avis, pourvu qu'il bénéficie au peuple bolivien mais aussi qu'il encourage la possibilité de davantage d'investissement ». Selon Morales Ayma, la cause des mobilisations réside dans le fait que le gouvernement ne répond pas au mandat du référendum et ne respecte pas la volonté du peuple, mais qu'il est au service des transnationales et aux ordres de l'ambassade américaine. Bien que les réponses au référendum obligatoire aient été très claires, le gouvernement prétend les manipuler. La première question : « Êtes-vous d'accord avec la modification de la loi des hydrocarbures 1689 telle que promulguée par Gonzalo Sanchez de Lozada ? » a reçu de 86,6 pour cent de oui contre 13,4 pour cent de non. On n'a pas encore abrogé cette loi, et l'on prétend seulement la réformer. La question 2 : « Êtes-vous d'accord avec la récupération de la propriété de tous les hydrocarbures à la sortie des puits, par l'État bolivien ? » est celle qui a reçu le plus grand soutien avec 92,1 pour cent pour le oui ; par contre, le non n'est arrivé qu'à 7,9 pour cent. Le gouvernement refuse de récupérer la propriété des hydrocarbures, arguant que cette mesure pourrait provoquer la fuite des investissements étrangers. La troisième question : « Êtes-vous d'accord avec la refondation de Yacimiento Petroliferos Fiscales Bolivianos [5], récupérant ainsi la propriété publique des actions des Boliviennes et des Boliviens dans les entreprises pétrolières au capital ouvert, de manière à ce que cette dernière puisse participer dans tous les segments de production des hydrocarbures ? » a été soutenue par 87,1 pour cent de oui contre 12,9 de non. On n'a pas proposé encore de stratégie sérieuse pour former une entreprise publique d'hydrocarbures. La question 4 : « Êtes-vous d'accord avec la politique du Président Carlos Mesa d'utiliser le gaz comme ressource stratégique afin de récupérer un accès souverain à l'Océan Pacifique ? [6] » s'est heurtée à la plus grande résistance. 57,5 pour cent ont voté oui et 42,5 pour cent ont voté non. Le président bolivien s'est déjà réuni avec son homologue du Pérou pour étudier cette possibilité, les secteurs populaires exigeant d'abord la nouvelle loi avant l'exportation des hydrocarbures. La cinquième question : « Êtes-vous d'accord pour que la Bolivie exporte le gaz naturel dans le cadre d'une politique nationale qui : couvre la consommation de gaz des Boliviennes et des Boliviens, stimule l'industrialisation du gaz en territoire national, perçoive impôts et royautés aux entreprises pétrolières jusqu'à 50% de la valeur de production du gaz et du pétrole ; destine les ressources de l'exportation et de l'industrialisation du gaz principalement en faveur de l'éducation, la santé, infrastructures routières et la création d'emplois ? » a elle-aussi été débattue. 64,8 pour cent ont voté oui et 35,2 pour cent ont préféré le non. Vu la complexité de cette question, les réponses offertes jusqu'à présent par le gouvernement à la population sont très ambiguës. Selon le porte-parole de la Coordination du gaz, « la lutte pour la nationalisation des hydrocarbures vient de commencer et, en marge des résultats du référendum piège, le peuple bolivien sortira dans les rues pour se faire entendre ». Procès contre « Goni » Toutefois, non seulement c'est l'exigence centrale de la nationalisation des hydrocarbures qui unit les partis néo- libéraux et mobilise les secteurs populaires, mais aussi la demande d'un procès en responsabilité contre l'ex-président Sánchez de Lozada. En octobre 2003, avant que Goni soit expulsé du gouvernement par la force exemplaire de ce peuple, plus de 80 Bolivien-n-e- s ont été assassiné-e-s et plus de 400 ont été blessé-e-s par balle. A cet égard, les organisations populaires exigent des instances judiciaires qu'elles entament le procès en responsabilité qui implique non seulement l'ex-président mais aussi plusieurs de ses ministres qui appartiennent précisément au MNR, au MIR et à la NFR, les partis de l'ancienne méga- coalition. Tandis que les anciens dirigeants jouissent de l'impunité, le gouvernement a ordonné la détention de dirigeants syndicaux du Mouvement sans terre (MST), comme Gabriel Pinto, accusé d'avoir participé au meurtre de l'ancien maire d'Ayo Ayo [7], une localité de l'Altiplano, de même que se poursuivent les procédures entamées contre plusieurs dirigeants des producteurs de coca du Tropique de Cochabamba présumés liés à des actions « narco-terroristes ». Les organisations populaires s'unissent autour de ces exigences, et d'autres exigences comme le rejet du Traité de libre-échange (TLC) andin, l'opposition à l'augmentation du prix des hydrocarbures et la convocation de l'Assemblée populaire constituante, tandis que les partis néo-libéraux s'unissent pour freiner les changements substantiels dans la Loi des hydrocarbures, pour que le procès contre Sánchez de Lozada n'ait pas de suites et pour que les exigences populaires ne soient pas satisfaites. Un peu plus d'un an après la « guerre du gaz », on peut s'apercevoir que le futur est incertain en Bolivie, ce pays situé au coeur du continent américain... NOTES: [1] Ex-président de la République bolivienne qui a fui son pays suite au soulèvement de la population bolivienne en octobre 2003. L'actuel président Carlos Mesa lui a succédé. (ndlr) Consultez le dossier sur la « guerre du gaz » sur RISAL : http://risal.collectifs.net/article.... [2] la Ley de hidrocarburos 1689 a été promulguées lors du premier gouvernement de Gonzalo Sanchez de Lozada en 1996. Le référendum de juillet dernier a donné au gouvernement le mandat de modifier cette loi controversée. La réforme, contestée, est en cours. (ndlr) [3] C'est la révolte populaire d'octobre 2003, qui a eu raison du président Gonzalo Sanchez de Lozada, qui est à l'origine du référendum sur l'exploitation des ressources gazières qui a lieu le 18 juillet 2004. Pour une analyse détaillée de ce referendum : Louis-F. Gaudet, La Bolivie de l'après référendum : Vers un nouveau cycle de contestations ?, septembre 2004.(ndlr) [4] « Lors de la campagne référendaire, l'opposition unifiée qui avait permis d'exercer une pression telle sur la Présidence de Sanchez de Lozada qu'il fut forcé de démissionner, s'est retrouvée divisée en deux camps. D'un côté, les militants radicaux issus du mouvement ouvrier et les partisans de la branche de la Confédération syndicale des travailleurs paysans bolivien associé au Mallku Felipe Quispe, la Centrale Ouvrière Bolivienne et la Coordination pour la défense du Gaz, ont prôné le boycott du référendum, demandant à la population de s'abstenir, de voter en blanc ou d'inscrire le mot « nationalisation » sur leur bulletin de vote. De l'autre, l'opposition incarnée par Evo Morales et le Movimiento al Socialismo (MAS), s'est démontrée de plus en plus encline à jouer son rôle d'opposition des urnes plutôt que de la rue. Autrefois figure de proue de l'opposition radicale, Evo Morales a cette fois adopté une position plus conciliante, cherchant (une fois de plus) à élargir ses appuis au-delà des couches les plus marginalisées de la population. Ce dernier a appelé les Boliviennes et les Boliviens à participer au référendum en votant « oui » aux trois premières questions et « non » aux deux dernières. » Extrait de Louis-F. Gaudet, La Bolivie de l'après référendum : Vers un nouveau cycle de contestations ?, septembre 2004. (ndlr) [5] Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos est le nom de la société énergétique publique qui est entré dans un processus de privatisation à partir de 1996, avec l'adoption sous le premier gouvernement de « Goni » de la Ley de Capitalización 1564. (ndlr) [6] La Bolivie a perdu « son » accès à l'Océan pacifique suite à sa défaite face au Chili dans la guerre du Pacifique en 1879. De puis lors, les relations avec ce pays voisin sont teintées d'une forte animosité. (ndlr) [7] Le 15 juin 2004, le maire de la communauté d'Ayo Ayo, Benjamín Altamirano, a été exécuté. Il était accusé par ses concitoyens d'être corrompu. (ndlr) Traduction : Hapifil, pour RISAL.
https://www.alainet.org/fr/active/7025
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