Un si doux sommeil

15/12/2013
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Les récentes mesures juridiques de la République Dominicaine concernant le déni de nationalité à des citoyens dominicains d’origine haitienne a suscité avec raison, des réactions de protestation indignées. Celles institutionnelles et véhémentes d’organisations régionales dont nous sommes membres. Celles non moins véhémentes et non moins indignées elles aussi de quelques voix en Haiti. Voix hélas éparses. Eparses à en pleurer si les circonstances n’appelaient pas à une exigence de sursaut. Voix à peine audibles pour ne pas entraver la bonne marche des affaires des uns, pour ne pas déranger le sommeil durement conquis de citoyens paisibles dans un pays où il est déjà difficile de se tenir à hauteur d’homme ou de femme. Ou voix tout simplement timorées pour se soustraire à l’inévitable raillerie de ceux pour qui les questions de fond n’intéressent que ceux qui ont le tort d’y croire, les naifs et les rêveurs (moun k ap pale franse). Or cet éparpillement, cet abattement et ce cynisme sont tout simplement le signe ou mieux le symptôme de ce que nous sommes. De ce que nous sommes devenus. Des individus incapables de formuler une réponse nationale, cohérente et surtout virile (les féministes me pardonneront cet adjectif), tous secteurs confondus.
 
Des images de maltraitance d’haitiens en République Dominicaine sur le réseau social Facebook ont fait pousser de grands cris d’indignation à certains de nos compatriotes et ont même été l’occasion pour de hauts dignitaires de se répandre sur les ondes de stations de radio en diatribes enflammées et lyriques. Et après ai-je envie de dire ?
 
Avant de s’offusquer face au traitement barbare infligé à un voleur de bananes haitien en République dominicaine, nous devrions commencer par vider nos prisons de ces mêmes voleurs de bananes qui souvent après avoir été battus jusqu’au sang ou mutilés, croupissent derrière des barreaux de longs mois, voire des années sans voir leur juge naturel, tandis que les grands malfrats ont pignon sur rue, se pavanent et obligeraient presque les honnêtes gens à raser les murs…Une société vaut aussi par sa justice. Dans le mot droit on trouve verticalité et surtout direction. Sur quel socle sommes-nous debout et où allons-nous ?
 
Parce que les cris indignés et les diatribes enflammées n’auraient-ils pas pour unique fonction que de dresser un rideau de fumée pour nous faire oublier que l’origine des problèmes d’Haiti avec la République Dominicaine se trouve en Haiti. Comment s’attendre à un traitement humain et respectueux de nos compatriotes en République Dominicaine quand nous n’avons pas été en mesure jusque là de garantir en Haiti même l’état civil à tous. Quand nous ne sommes pas en mesure de leur assurer de quoi rester chez eux. Entre une disgrâce locale sans issue et une disgrâce ailleurs avec une petite lucarne si étroite soit-elle, le choix est évident. Il suffit de longer la rue où loge le Consulat Dominicain pour constater la longue file de ceux qui se battent encore aujourd’hui pour se rendre en République voisine. La honte a donc de beaux jours devant elle car rien n’empêchera un être humain normalement constitué d’aller voir ailleurs si la vie lui sourit. Le défi à relever est nous le savons énorme et les moyens, budget y compris, pour le relever, dérisoires. Si le chemin s’avère si long et si difficile autant décider donc de l’entamer au plus vite. En commençant au moins par nous assurer une posture digne pour des accords de migration. Non pas en nous cachant derrière la position de nos partenaires mais en nous en servant. Parce que la politique étrangère c’est comme la guerre. Soft dans le cas de pays amis mais guerre quand même. La Cour constitutionnelle dominicaine a de manière perverse et rétrograde travesti un problème de discrimination raciste structurante chez elle en une question migratoire avant tout haitienne. Ce qui, soit dit en passant, ne devrait en rien nous faire oublier la courageuse dénonciation par des centaines de Dominicains de cette mesure par ailleurs inconstitutionnelle. Cette solidarité là est, elle aussi, essentielle pour la mise en mouvement d’une sortie honorable et juste.
 
Le tremblement de terre du 12 janvier devait semble-t-il provoquer un réveil. Le réveil dont il est question ici dépasse évidemment le simple asphaltage des rues, ou l’érection de ponts. Toutes choses qui nous ont longtemps fait défaut et il est évidemment bon et utile qu’elles existent. Mais l’Afrique du Sud de l’apartheid, celle d’avant Mandela, (l’actualité nous rattrape toujours) avait construit bien des ponts et bien des routes. Le régime n’a pourtant pas tenu. Parce que l’homme même soutenu par une propagande à fortes doses, ne vit pas que de ponts ou de routes. Il est un être social, politique qui réclame du lien, de la considération et de ses élites de la hauteur de vue.
 
Mais trêve de pale franse. Noel approche. Les élections clignotent à l’horizon. La chasse aux postes et aux nouvelles opportunités sera bientôt relancée. Un peu de pragmatisme voyons ! La vie est belle. Qui dit mieux ? Et notre sommeil si doux. Si doux…..
 
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- Yanick Lahens est Auteure
 
Source AlterPresse
 
https://www.alainet.org/fr/active/69927?language=es

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