La course vers l’abîme de Jean-Bertrand Aristide

05/12/2013
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Revenir sur des événements politiques récents n’est jamais un exercice facile, surtout quand les acteurs sont encore présents et que leurs propos continuent à faire écho dans le débat public. Il y a 10 ans l’Université d’Etat d’Haïti et d’autres secteurs de la société civile s’étaient mis d’accord pour renverser l’administration Aristide/Neptune. Le 5 décembre 2003, une dernière goutte d’eau a renversé le vase. Celle-ci a coûté à Jean-Bertrand Aristide sa fonction de Président de la République. Aujourd’hui, cet événement [1] est presque tombé dans l’oubli, même dans l’esprit de certains acteurs car ces derniers sont souvent rattrapés par le quotidien. Ceux qui refusent l’amnésie collective ont alors le devoir de le rappeler aux consciences afin d’empêcher que cela ne se reproduise. Par ailleurs, il est opportun de revenir sur le contexte qui a précédé à ces événements.
 
On doit se rappeler que Jean-Bertrand Aristide a retrouvé son fauteuil de Président suite au mandat de son dauphin, René Préval, le 7 Février 2001. Cette accession au pouvoir a été marquée par trois faits : 1) Des élections législatives et municipales contestées du 21 Mai 2000 au cours desquelles le parti présidentiel gagne 99% des sièges ; 2) L’élection présidentielle contestée de Jean-Bertrand Aristide du 26 Novembre 2000 ; 3) Une crise socio-économique poussée à son paroxysme.
 
Nul besoin non plus de rappeler que toute tentative de réunion ou manifestation publique qui n’était pas issue du camp présidentiel était réprimée car le parti Fanmi Lavalas avait mainmise sur toutes les sphères de l’État.
 
Les nostalgiques du pouvoir ne cessent de dire avec le recul que les étudiants ont été payés par l’opposition regroupée au sein de la « convergence démocratique » de l’époque mais il est incorrect d’oublier corrélativement que le 29 Février 2004 aurait pu être autrement si le 5 Décembre n’avait pas été la journée noire de l’Université d’État d’Haïti. Les partisans des thèses de la causalité en histoire diront qu’il n’y a aucun lien entre ces deux jours. A ce stade, on oublierait qu’une manifestation du vendredi précédent celui du 5 Décembre avait été réprimée par les partisans de Jean-Bertrand Aristide. Ces derniers se sentant en position de force avaient décidé ce jour « j » de pénétrer dans l’enceinte de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).
 
Les étudiants de cette faculté ont essayé une journée durant de résister aux sbires du pouvoir. Mais que pouvaient-ils face à des gens qui ont eu l’appui de la police pour lancer l’assaut contre l’Université ? Face à la détérioration de la situation, on a dû faire appel au Recteur de l’UEH de l’époque, Pierre-Marie Paquiot. Même le plus haut dignitaire de l’Université ne bénéficia du respect des partisans de Jean-Bertrand Aristide, ainsi que ce dernier l’avait déjà prouvé en été 2002 en remplaçant le conseil exécutif élu de l’UEH par un conseil nommé par le Ministère de l’Éducation Nationale.
 
Lors de cette fameuse journée du 5 Décembre, le Recteur Paquiot a eu ses deux jambes fracturées. Les premières photos de la journée nous montrent des étudiants blessés et des individus transportant le recteur comme le dernier des voyous. Comment Aristide pouvait-il s’attendre à une position tendre de la part de l’Université ? Qu’importe la réponse. Ce n’était pas notre préoccupation. Il était plus pressant de se débarrasser de ce pouvoir que de le pardonner. Dans la foulée, on ne pouvait pas attendre la journée porte ouverte annoncée par les membres du Conseil de l’Université d’État d’Haïti (CUEH). Encore moins, on ne pouvait pas attendre la soirée de Vendredi Littéraire promise par Lyonel Trouillot en solidarité aux étudiants victimes lors de cette journée car Aristide avait déjà franchi le Rubicon. Ce jour du 5 Décembre, Aristide est entré dans une course vers l’abîme. Et, c’était déjà le début de GNB [2].
 
……….
 
- Panel Lindor est Étudiant à l’École de Droit de la Sorbonne.
 
[1] Nous reviendrons sur le déroulement de cet événement qui a gardé le pays en état d’ébullition pendant trois mois (5 Décembre 2003-29 Février 2004).
 
[2] Rappelons que l’expression était couramment utilisée en Haïti bien avant ces événements politiques pour désigner une situation qui appelle à prendre des risques. Elle est prononcée pour la première fois dans ce cadre-là, le Mercredi de la semaine suivant le 5 Décembre 2003, par une foule d’étudiants de l’UEH sortant de la Faculté de Droit après une réunion de concertation. Alors qu’ils ne pouvaient pas sortir car les partisans de Jean-Bertrand Aristide- appelés à l’époque les « chimères »- étaient massés autour de cette faculté, ils décidèrent de ne pas se laisser intimider en lançant « ‘Grenn Nan Bouda’, de toute façon on sortira dans la rue ». Désormais, ce slogan constitue à la fois le symbole de la résistance au pouvoir en place et désigne le nom de cette période.
 
 
Source: AlterPresse
 
https://www.alainet.org/fr/active/69732
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