C’est encore loin la Commune ?

31/10/2013
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Il y a José, qui a conduit 17 heures jusqu’à Guasdualito; Milangela, qui a pris les photos; Ángel, le “filmeur”; Miguel Ángel, l’assistant de production; et Christian, le script : ce sont quelques uns des membres de l’équipe qui filme la chronique de la naissance des communes au Venezuela depuis que le sociologue Iturizza a été nommé ministre par Nicolas Maduro. C’est encore loin, la Commune ? Quand nous lirons “C.C. El Valle” et nous ne penserons plus à un Centre Commercial mais à un Conseil Comunal, nous aurons déjà pas mal avancé…
 
A 10 h. 55 du matin le vendredi 4 octobre nous étions proches d’une station d’essence à Guasdualito. Nous étions arrivés à l’aube. Nous sommes passés par San Fernando.
 
Jesús Aragoza est de Guasdualito et il a 22 ans. Il est “chargé par le ministère des Communes de coordonner les politiques avec le pouvoir citoyen”. “Combien gagnes-tu ?”. “Le salaire minimum” (rires). Á côté de nous un homme vend du café et du jus de canne. “Nous allons à la Commune Ezequiel Zamora, sur le grand domaine Los Blancos, une des premières créées dans la municipalité Páez”. Je lui demande: “Pourquoi une file aussi longue pour l’essence ?”. Réponse sans détours: “Contrebande. La contrebande est totale ici. C’est un commerce très puissat, acheter l’essence la moins chère du monde au Venezuela pour la revendre en Colombie… et non seulement l’essence, n’importe quoi. Un rouleau de papier toilette, vaut mieux le revendre dans l’Arauca (département colombien, NdT) qu’ici à Guasdualito”.
 
Ainsi, les ressemblances entre Apure et Caracas vont au-delà des deux mairies. Les spéculateurs du dollar sont aussi des contrebandiers. La maxime du capitalisme – tirer le plus grand bénéfice possible du moindre effort – resurgit à chaque pas.
 
Ici on parle du chip pour contrôler combien de fois on remplit le réservoir. Je m’approche et j’en vois un, collé sur un pare-brise, une étiquette avec un code-barre. C’est le chip.
 
Une heure plus tard nous sommes au domaine Los Blancos, un système de production mixte de 5.731 hectares selon l’unique document. Il y a un réservoir peint en jaune avec les visages, peints aussi, de Chávez, Bolívar, Simón Rodríguez, Fidel et le Che. Il a cessé de pleuvoir. Un temps et nous sommes envahis par la tranquilité des grandes plaines. Les gens nous reçoivent cordialement. Un garçon se sert d’un ballon de foot comme tambour. Une douzaine de types se réunissent. Les gars du ministère leur racontent pourquoi ils sont venus et ils écoutent attentivement. La plupart usent de bottes de vachers ou de caoutchouc. Un seul porte des sandales. L’idée est d’enregistrer une vidéo pour expliquer ce qu’est une commune de l’État d’Apure. Ils commencent par le commencement: “D’abord nous avons pris la terre…”.
 
comuna 2
 
Une jeune fille observe depuis la maisonnette voisine. Elle s’appelle Eglis, elle est de l’État de Guarico, de Tucupido. Elle est venue pour sa mère. Voix douce, légère. Elle porte un enfant de trois mois, qu’elle a eu avec Franklin, qui est, lui, de l’État d’Apure. Le garçon qui joue au foot, et qui est ausi le percussioniste du ballon, a cinq ans. Il s’appelle Kelvin. “Qui connais-tu pour jouer au foot ?” “Et ton joueur favori ?”, je lui demande. “Mon cousin”. “Quel âge a-t-il ?”. “Il m’arrive ici” me répond-il en alignant sa main au-dessus de sa tête. Un enfant heureux, qui s’assied pour écouter les adultes raconter leur histoire avant de se lever pour jouer au ballon. Il y a plusieurs tracteurs, et, tout près, un porcelet attaché qui tente de s’échapper quand je m’approche.
 
Essai pour le son. Quand on tend le micro à Esteban Martínez, parlementaire de la commune, Franklin dit : “C’est du courant que vous allez lui mettre, mon Dieu !”. Esteban n’a pas peur et compte d’abord de un à dix, arrive à huit, c’est bon pour le son; ensuite il se lance dans le récit de la prise de terres, sans regarder la caméra : “Nous sommes dans la municipalité Páez, secteur Guasdualito, Commune Ezequiel Zamora, Conseil Comunal Jorge Eliécer Nieves. Baptisée ainsi à la mémoire d’un compagnon décédé das les premiers jours de la lutte. On l’a assassiné”.
 
« Beaucoup d’entre nous disions que la femme ne faisait rien, hein ? simplement parce qu’elle était à la maison. »
 
Tant de sang versé pour obtenir ce que nous avons et il y a encore des vénézuéliens qui se moquent avec leur “oui mais” lorsqu’on leur parle d’avoir enfin une Patrie. Exser Araujo s’est approché de nous. Il est responsable de Fundacomunal, municipalité Páez et il est membre de la Commune Bolivarienne Socialiste Periquera. Sept Conseils Communaux la composent, pour 9.020 habitants. Il m’explique que dans le temps Guasdualito s’appelait Periquera (la “perrucherie” NdT), pour des raisons évidentes, et fut rebaptisée à cause d’un arbre qui s’appelle la guasda, une sorte de bambou. Il me dit qu’ils sont révolutionnaires, qu’ils n’ont pas peur de faire des aller-retours pour participer aux manifs. Je lui dis que certains affirment qu’ils sont payés pour aller manifester. “Non, vous voyez, cela me gêne de le dire, mais parfois on n’a rien à se mettre sous la dent là-bas, c’est dur. Nous devons faire le travail qui nous incombe : quand on voit un vieillard qui a donné toute sa vie pour construire ce pays, parfois avec une pelle, parfois une machette, travaillant pour le capitaliste et parfois sans salaire; et qu’aujourd’hui le gouvernement le prend en compte, pour nous c’est une satisfaction. Parce que tout ce que ces capitalistes leur ont pris, en les exploitant, jusqu’à les jeter quand ils étaient trop vieux, cette immense dette sociale qui leur est due, le gouvernemet la paie aujourd’hui. C’est comme la Mission “Mères de Quartier” (Madres del Barrio), beaucoup d’entre nous disions que la femme ne faisait rien, hein ? simplement parce qu’elle était à la maison. Mais c’est le travail le plus digne qu’on puisse avoir dans la vie”. Exser a 47 ans.
 
Toutes les histoires parlent de l’appel à travailler dur à partir de la prise des terres. Des personnes qui ont envie de s’organiser, fatiguées des injustices, des mauvais traitements. Jesús Contreras va nus pieds. Il s’en fiche. Il foule l’urine de vache, monte à cheval, fait tous les travaux de la terre ainsi. Il a 58 ans, taiseux. Les gars du ministère ont eu du mal à lui tirer des mots. Il a étudié jusqu’en deuxième primaire. “Hé Jesús, tu es chaviste ?”.Ça oui, je suis révolutionaire, très. Parce que je suis né avec la révolution dans le ventre, et c’est bon ce qui se passe. Beaucoup ont leur terre aujourd’hui et travaillent pour eux-mêmes. Ils ne sont plus les esclaves d’autrui”.
 
On a fait du café, on a continué à converser. Est arrivée l’heure du déjeuner.
 
Amparo
 
Je suis seule. Je n‘ai pas de mari et à Caracas beaucoup me connaissent”. “Pourquoi ?” je lui demande. “Peut-être parce que je suis une bonne personne ! Je ne perds pas une manif”. Elle est venue de Colombie il y a 36 ans, quand elle en avait 30. Madame Amparo nous a cuisiné de la viande, du manioc, des bananes vertes, du riz. Assiettes d’étain, pour verres de pots de mayonaise. “Pourquoi êtes-vous venue ?”. Un bref silence. “Problèmes dans la vie” me répond-elle. Tout fut délicieux, abondant. Nous sommes dans sa parcelle cultivée. Elle parle de “palos”. Ceux d’Amparo portent des avocats (une cinquantaine), des goyaves, des citrons (une vingtaine). Nos “palos” à nous désignent des quantités d’argent (“Combien coûte ce portable ?” et on te répond: “Trois palos, quatre palos, trois mille, quatre mille”). Quelle différence. Esteban, dès qu’il a fini de manger, se met à courtiser Amparo. Ouvertement. Nous avons mangé tous les quinze et le ventre plein, nous nous amusons des tentatives d’Esteban. Par chance, je n’ai pas dû faire la vaisselle.
 
Esssayons de décrire l’espace : toit de paille, sol de terre. Foyer. Papayes, noix de coco, bananes, citrons, avocats, mangues. Les piliers de la maison sont des troncs où courent les fourmis. Un transistor à piles pend d’une clôture. Une palette ! Cela faisait longtemps que je n’en voyais pas. Elle sert à tamiser. Des poules, des chiens, des chats, du bétail. Ciel, vert, terre, tranquilité. Grande plaine ouverte. Silence. Ils n’ont pas encore l’énergie électrique.
 
Luis Molina est de Barinas. Venu ici à cause des “circonstances de la vie. Je suis tombé amoureux”. Lors d’un match de foot on lui a parlé de la prise de terres. Il y a trois ans qu’il vit au sein de “cette belle famille que j’ai autour de moi. Vous dire que tout fut merveille serait mentir. Nous avons eu nos embûches, mais nous les avons surmontées. Chaque jour on apprend à se tolérer un peu plus. Une commune c’est une grande famille”. Luis mâche sa chique de tabac, une très grosse chique et continue l’histoire de l’alimentation pour les cachamas (poissons d’élevage, NdT), on n’en trouve pas: “On ne trouve pas d’aliments. Quand ils arrivent, on le donne aux gros producteurs, que les petits se fassent foutre. Alors il faut s’associer à un capitaliste pour pouvoir en acheter. Puis le bénéfice, c’est ce qu’on distribue. Supposons qu’on arrive à vendre 2.000 kilos à 50 bolívares. Le capitaliste vient avec ses factures de frais: carburant, alimentation… ça fait 60.000. Donne-moi ma part. Et de ce qui reste, fifty-fifty. Donc en six, sept mois de travail tu gagnes 20.000 bolívars. Le capitaliste ne s’intéresse qu’aux billets. Souvent toute la production part pour la Colombie. Bien sûr, là-bas c’est plus cher, on leur en donne un meilleur prix. Eux ne s’intéressent pas à la nourriture des gens d’ici, seuls les bénéfices les intéressent. En Colombie on t’offre jusqu’à 100 bolívars le kilo, ici il n’atteint pas 50. Les problèmes ? Les poissons guabinas, les caïmans, oxygéner l’eau. Il faut courir chercher des gens pour entrer dans l’étang et remuer l’eau”. Reprise de chique de tabac.
 
Le quotidien est exotique: regarder comment on alimente les cachamas. Dans l’étang d’Amparo il y en a  2.000. Il faut faire attention au caïman. Je l’ai vu. Avec tous ces caraquègnes faisant du tapage, les cachamas n’osaient pas venir manger, jusqu’à ce que nous nous taisions et elles ont mangé. Auparavant, la photographe s’est baignée dans l’étang. Le caïman ne lui a rien fait et elle ne lui a rien fait non plus.
 
Samedi et dimanche
 
Le samedi les communards ont joué au football. Avant d’aller les regarder, sur la place Bolívar de Guasdualito j’ai bu la meilleure chicha du Venezuela : “Chicha La Caraquègne”. Yohender est de San Cristóbal, il se trouve à Guasdualito et a appris à faire la chicha à Caracas.
 
Le dimanche nous sommes allés à Barinas. Dans la rivière La Acequia, nous nous sommes offerts une baignade. Á Barinas, j’appelle “le chien” José Roberto Duque. Il débarque et nous offre une seule tournée de bières. Je lui raconte : “Je viens de voir une commune dans l’état d’Apure. Hier ça a fait sept mois qu’est mort le Commandant abattu et aimé. Comment terminer cette chronique ?” pendant que je bois un verre. Et “le chien” qui n’a encore rien bu, de me répondre: “Non, bon, ce qu’il faut c’est la commencer. Si tu cherches des conmunes par ici, tu verras que tout est en germe. Et les gens ont l’intuition suffisante pour savoir par où commencer. En outre il y a beaucoup de communautés qui font des communes depuis longtemps sans le savoir. Le Venezuela est plein de communautés de ce type. En Apure, d’oú tu viens, il y en a une qui s’appelle El Zancudo, c’est celle dont je suis tombé amoureux. C’est une commune en formation et ils se sont rendus compte que ça s’appelle comme ça. Il y a des gens qui se sont d’abord informés par des lectures, par le discours de Chávez, sur ce qu’est une commune et ensuite ils ont commencé à la faire. Il y a des gens qui ont commencé à l’envers. Ils ont fait les choses avec leur corps et ensuite se sont rendus compte qu’ils faisaient la révolution, sans le savoir”.
 
Texte original (espagnol): Gustavo Mérida http://www.ciudadccs.info/?p=493031
Photographies Milángela Galea
 
Traduction: Thierry Deronne
https://www.alainet.org/fr/active/68672

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