50 ans du massacre du 26 avril 1963
Sommes-nous moins que des animaux ?
25/04/2013
- Opinión
« Si Haïti ne reconnaît pas de crimes contre l’humanité, nous sommes moins que les animaux, moins que les végétaux », lance l’historien et journaliste Michel Soukar, lors d’une conférence marquant les 50 ans du massacre du 26 avril 1963, orchestré par le régime du dictateur François Duvalier.
La conférence a eu lieu à la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), qui a également organisé une exposition de photos des victimes de cette grande opération répressive.
Danièle Magloire, présidente du Collectif contre l’Impunité, qui regroupe les victimes du régime, a également pris part à la conférence, en présence notamment de la Protectrice du Citoyen, Florence Élie, des parents et proches de victimes et de nombreux jeunes.
Retraçant le parcours sanglant du régime dictatorial de Duvalier, Soukar a catégoriquement réfuté la thèse de ceux qui évoquent « la prescription » pour tenter de soustraire Jean-Claude Duvalier, successeur de son père en tant que président à vie, de la justice.
Avis partagé par Danièle Magloire, qui, en même temps, part en guerre contre le négationnisme.
« Par éthique, Duvalier à droit à une défense », reconnaît-elle.
Mais « nier les crimes qui se sont produits est inacceptable », s’insurge la défenseure des droits humains.
Ainsi, ajoute-t-elle, si les avocats peuvent défendre leur client, ne sauraient-ils, en aucun cas, « injurier les victimes (comme le font les défenseurs de Duvalier) et méconnaître les faits ».
Dans l’affaire Duvalier, poursuivi en justice pour crime contre l’humanité et détournement de fonds, les avocats ont eux-mêmes aussi un « devoir d’éthique ».
Le 26 avril 1963 rappelle le massacre de plusieurs familles notamment de militaires, soupçonnés d’implication dans une tentative d’enlèvement de Jean-Claude Duvalier.
Lors de ce vaste carnage, des maisons avaient été incendiées avec leurs occupants, des enfants enlevés, des familles entières arrêtées, torturées, tuées et disparues.
Duvalier se noie dans le crime
A propos du contexte de l’époque, Soukar explique que 1963 est une « année qui s’annonçait très mouvementée », au cours de laquelle Duvalier tente d’établir définitivement son régime autoritaire.
Il se sert bien de problèmes avec Clément Barbot, un chef militaire emprisonné, remis en liberté, mis en résidence surveillée, qui s’est échappé et qui déclenche une guérilla urbaine.
En pleine guerre froide, alors que Duvalier reçoit des pressions d’une aile de l’establishment américain et est mal vu du voisin dominicain, le 26 avril « il fonce » et « tire sur tout ce qui bouge ».
À partir de ce moment, raconte l’historien, Duvalier se noie dans le crime au point de reconnaître lui-même « qu’il ne sortira du palais que pour aller au cimetière ».
Récidive en 1964 à Jérémie (Sud-Ouest), où à nouveau, « il arrive (comme le 26 avril 1963) à assassiner des bébés ».
Parallèlement, une répression sauvage sévit en milieu paysan, particulièrement dans l’Artibonite (Nord), ou les terres des agriculteurs sont systématiquement confisquées. La répression syndicale bat aussi son plein. Les syndicats sont noyautés et des syndicalistes assassinés.
Le régime, qui promeut le noirisme et prétend défendre les intérêts des classes moyennes, bénéficie en fait d’une « alliance avec la grande bourgeoisie contre les ouvriers et paysans », relève l’historien.
« Cette grande bourgeoisie mettait ses contacts diplomatiques au service de Duvalier », précise-t-il, et la communauté internationale a joué la carte de la « complicité » en hissant et soutenant au pouvoir « un prédateur ».
Un régime issu de nulle part ?
« Duvalier et le duvalierisme ne sont pas tombés du ciel. Ils sont le produit de cette société » : telle est la thèse de Michel Soukar. Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire d’Haïti, il y a eu des massacres... « Mais le pic est atteint avec Duvalier ».
C’est d’ailleurs « dans le sang » qu’il prend le pouvoir, lors des premières élections au suffrage universel direct en 1957, dans un contexte de crise économique.
Les élections truquées ont lieu suite à la répression sauvage, par l’armée, des partisans de Daniel Fignolé (rival de Duvalier) dans les faubourgs de Port-au-Prince, où, selon des témoignages, des victimes sont enterrées sans avoir été achevées (« Y al mouri anba »).
Dans le contexte de la guerre froide, de la croisade anti-communiste et de la violence organisée un peu partout en Amérique Latine, les Américains appuient Duvalier, « habité par la mégalomane, la paranoïa et la folie suicidaire ».
Il crée sa milice, les Volontaires de la Sécurité Nationale, appelés encore les « Tontons macoutes ».
« Vous êtes sauvages, je vous aime sauvages », leur répète Duvalier, seul maître reconnu par ce corps qui « rivalise avec les services secrets et supplante l’armée ».
Après le massacre de 1963, « le macoutisme devient le banditisme officialisé » et s’installe alors « un système de répression permanente » en Haïti, jusqu’à la révolte populaire de 1986, qui a mis fin au régime sanguinaire de Duvalier père et fils.
Après la chute de la dictature, le 26 avril 1986, les Forces Armées d’Haïti (Fadh) massacreront des manifestants devant le Fort-Dimanche (une prison politique sous le régime), symbole de l’ère Duvalier, non loin du bord de mer de la capitale.
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