Equateur : Elections générales et débat ouvert

14/02/2013
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A

Six ans après sa victoire électorale de novembre 2006, l'actuel président Rafael Correa espère renouveler son mandat lors des élections présidentielles de ce dimanche 17 février. Depuis son élection jusqu'à aujourd'hui, des transformations institutionnelles sont intervenues dans ce pays sud-américain: une nouvelle Constitution, une première confirmation de Correa par les urnes en avril 2009 ainsi que le début de ce que l'on appelle la "Révolution citoyenne". Aussi des avancées économiques et sociales notables. Néanmoins, en parallèle, de fortes tensions sont apparues entre le gouvernement et une partie des mouvements sociaux qui ne se reconnaissent pas dans le processus. Ceci a pour conséquence d'attiser le débat au sein de l’espace progressiste équatorien.

 
Bilan favorable
 
Les différents sondages pré-électoraux prévoient pour ce troisième dimanche de février une confortable victoire de l'Alliance PAIS (Patrie Altière et Souveraine) conduite par Correa. En plus de l'exécutif, 137 membres de l'Assemblée nationale et cinq représentants au Parlement andin seront élus. Le président actuel affronte sept autres candidats, représentants de la *gauche*, du centre et de la droite conservatrice.
 
"Même les sondages publiés par la droite prévoient la victoire de Correa au premier tour" affirme Pedro Páez Pérez, ex-ministre de Politique économique et, depuis septembre 2012, super-intendant du Contrôle du pouvoir du marché, nouvel organisme de contrôle des monopoles, indépendant de l'exécutif.
 
Au-delà du triomphe possible de l'Alliance PAIS, ce qui est en question est "le processus de transformation vécu par l'Equateur qui se reflète dans les changements positifs intervenus durant les trente dernières années de la nation".
 
Selon Páez, ce courant rénovateur se reflète dans de nombreuses sphères: nouveaux critères de redistribution des recettes, augmentation et nouvelles priorités dans l'investissement public – celui-ci a passé d'environ 4% du PIB durant les trois décades néolibérales à près de 14% en 2008 et de 16,6% en 2012 – avec un accent mis sur l'infrastructure, améliorations significatives dans la politique sociale de l'Etat, y compris la santé et l'éducation. Selon les chiffres officiels, le budget de la santé publique a triplé entre 2006 et 2012. Dans le même temps, l'investissement dans le domaine de l'éducation a passé de 2,5% du PIB à 5,5%.
 
Un autre point positif pour Páez est l'apport actif du pays au renforcement de la coopération et de l'unité latino-américaine.
 
Le gouvernement équatorien a conclu de multiples accords avec les gouvernements progressistes de la région. Il a intégré l'Alliance Bolivarienne pour les Peuples de l'Amérique (ALBA) avec le Vénézuela, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua et quelques états des Caraïbes. L'Equateur fait également partie de la UNASUR ( Unión de las Naciones Sudamericanas) et de la CELAC ( Comunidad de Estados Latinoamericanos y Caribeños). Il a de plus renégocié intelligemment la réduction et le paiement de la dette qui avait atteint en 2005 le 40% du budget national.
 
"Ce qui se construit en Amérique latine aujourd'hui est porteur d'espérance et d'innovation. Nous espérons que ceci pourra s'intensifier pour atteindre une intégration plus irréversible et soutenue" affirme Páez.
 
Toutefois, "le problème de nos pays est qu'ils se confrontent à tant de vulnérabilité structurelle et historique qu'il reste un long chemin à parcourir, malgré l'avance considérable de ces six dernières années", déclare Páez. "L'évolution de la crise mondiale exige des transformations structurelles bien plus profondes", ajoute-t-il, y compris la transformation de la production et une forte régulation qui soit en mesure d'améliorer la dynamique de l'emploi et les marchés internes en réduisant la dépendance vers l'extérieur.
 
Pedro Páez Pérez reconnaît la nécessité de "créer un climat de dialogue entre le gouvernement et les organisations sociales, ainsi que de construire un solide tissu social. Il faut dépasser le manque d'espaces de mobilisation de la société civile comme durant la lutte contre l'extrême néolibéralisme.
 
 
Critique de la gauche
 
Malgré les progrès de ces six dernières années, "il est paradoxal de voir que la nouvelle Constitution promue par l'Alliance PAIS n'est pas réellement appliquée à l'heure actuelle. Elle tombe dans une variante de la gestion du pouvoir "caudilliste et autoritaire" qui viole les principes même de cette Constitution", souligne Alberto Acosta. Ce dernier est l'ex-président de l'Assemblée Constituante. Il a quitté l'alliance du gouvernement et se présente maintenant comme candidat à la présidence de la république pour la Unidad Plurinacional de las Izquierdas (Unité plurinationale des partis de gauche). Il s'agit d'une coalition qui regroupe une dizaine d'organisations sociales, des indigènes et des partis de gauche.
 
Avec le temps, le ton de ses critiques frontales envers Correa s'est durci. Il a traité par exemple le président de "mauvais conducteur de bus... de ceux qui mettent le clignotant à gauche quand en réalité ils tournent à droite". Il réfute le fait que le gouvernement actuel soit de gauche ou révolutionnaire.
 
Sa critique est politique et programmatique: il existe des thèmes prioritaires qui n'ont pas progressé ces dernières années, comme la réforme agraire ou la distribution d'eau. Il affirme que les paysans, par exemple, représentent le 86% des usagers de l'eau d'arrosage et en contrôlent à peine le 13%. Pendant que les propriétaires terriens – qui constituent moins du 1% des unités productrices agricoles – contrôlent le 64% de ces eaux d'irrigation.
 
Acosta soutient que le droit au travail a été violé par le décret présidentiel 813 qui a provoqué le licenciement de milliers de fonctionnaires publics. Correa a mis son veto à la Loi du commerçant au détail qui assurait des droits et des bénéfices à cet important secteur. On continue d'ailleurs de poursuivre les travailleurs informels de la rue en confisquant leurs produits.
 
Encore plus grave, insiste Acosta: "on criminalise les personnes qui défendent les droits humains" et qui sont à l'origine de la mobilisation. "Il existe plus de 200 leaders sociaux avec des dossiers ouverts à leur encontre pour sabotage et terrorisme, dans un pays où nous savons tous qu'il n'existe aucun groupe armé...", déplore-t-il.
 
Pour le candidat de l'Unité Plurinationale des partis de gauche, le programme de son gouvernement sera essentiellement "le respect et l'application de la Constitution actuelle qui permettra de mettre en œuvre la réforme agraire, d'imposer une nouvelle logique de la distribution d'eau et le respect des droits humains et environnementaux.  Même si Correa parle aujourd'hui de "Bien Vivre", sa gestion nous conduit vers le "Mal Vivre". Ce gouvernement n'est ni de gauche, ni révolutionnaire, ni en faveur de la population", précise Acosta.
 
 
Perspectives
 
Rafael Correa a présenté durant sa campagne un programme en dix points pour la période 2013-2017. Trois d'entre eux ont trait à la culture, à la technologie et à la réforme urbaine. Les sept autres proposent d'approfondir la dénommée "Révolution citoyenne" qui est le projet politique de l'Alliance PAIS de participation sociale pour un changement radical, profond et rapide de la société équatorienne.
 
Cela inclut également la transformation constitutionnelle-démocratique, économico-productive, éthique, environnementale, sociale, de la justice ainsi que la "révolution latino-américaine". Selon sa vision, le changement social est la condition pour un autre concept de développement qui doit propulser l'Amérique latine vers le "Bien Vivre", c'est-à-dire la relation harmonieuse entre économie, participation citoyenne et équilibre environnemental.
 
Cette campagne électorale équatorienne ouvre un espace à une discussion interne non moins fondamentale: le modèle de futur pays et le cadre politico-institutionnel qui doit l'encadrer. (Traducción Rosemarie Fournier)

 

https://www.alainet.org/fr/active/61641?language=es
S'abonner à America Latina en Movimiento - RSS