Hydrocarbures : Tentation et eaux troubles

01/02/2013
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Après le tollé provoqué par les permis d’exploitation accordés par le gouvernement haïtien à des compagnies minières étrangères - tollé qui a culminé, le 22 janvier 2013, par une audition au sénat du directeur du bureau des mines et de l’énergie(Bme), Ludner Remarais, et de son ministre de tutelle, Jacques Rousseau titulaire ddes travaux publics, transports et communications / Mtptc -, une question demeure : celle des hydrocarbures, relève l’agence en ligne AlterPresse.
 
Passée quasiment inaperçue, cette question est bien apparue lors de l’audition.
 
C’est le directeur du bureau des mines lui-même qui y a fait référence, juste après avoir craqué. Des sanglots dans la voix, le directeur du Bme tentait alors de se justifier devant la commission sénatoriale.
 
Mais, au terme de sa présentation, plus calme, il affirme avoir donné plusieurs permis, depuis son arrivée aux commandes de l’institution publique en 2012.
 
« J’ai aussi donné 6 permis, totalisant trois mille kilomètres carrés, à une société, qui s’appelle Petro Gaz, pour la recherche des hydrocarbures », a déclaré Remarais d’une voix claire.
 
De quel permis s’agit-il, sachant qu’avant d’octroyer un permis de recherche la loi minière haïtienne de 1976 oblige l’État à signer une convention avec la compagnie intéressée (article 21) ?
 
S’il s’agit de permis de prospections pétrolières, est-ce que ces opérations ont commencé sur le territoire haïtien ? Dans quel département ?
 
Après les larmes, la langue de bois
 
Le directeur du bureau des mines ne répond pas à ces questions, pas plus qu’il ne fournit des précisions. Trop préoccupés, sans doute, d’avoir été mis sur la touche dans l’affaire des permis d’exploitation minière, les sénateurs n’ont rien diti.
 
Contacté par la rédaction d’AlterPresse, Ludner Remarais brandit sa méfiance vis-à-vis des journalistes, d’éventuelles « passions » autour du dossier… et se tait.
 
« Je ne suis pas en mesure de vous parler. Je ne me sens pas confortable pour vous répondre, parce qu’il y a trop de passions autour de cette affaire », avance t-il, promettant d’être plus ouvert « dans deux semaines ».
 
Dans une interview accordée à AlterPresse, l’ingénieur-agronome Dimitri Norris, expert du bureau des mines, qui dit connaitre mieux la question minière, parle d’une affaire « complexe ».
 
Selon lui, il n’y a encore aucune entente entre l’État et des compagnies pétrolières, même si certaines sont intéressées.
 
« On sait qu’il y a des gens qui sont intéressés à prospecter le pétrole. On ne sait rien d’autre », tranche Norris, sur un ton catégorique qui ne veut visiblement pas laisser place au doute.
 
« On est vraiment aux tous premiers balbutiements (…) C’est vraiment le tout début. C’est difficile de se prononcer sur ce genre de situation qui n’est pas la même que celle des mines », ajoute t-il prudent.
 
Une prudence qui, au seuil du doute, vient animer la contradiction.
 
Une équipe d’universitaires et de journalistes s’étaient heurtés à ce même ton , lors d’une investigation menée autour des mines.
 
La question des permis
 
Selon la loi minière haïtienne, il existe deux étapes majeures à franchir avant de pouvoir exploiter les ressources du sous-sol du pays.
 
Il s’agit d’abord de la prospection, puis de la recherche.
 
Toutes deux doivent être sanctionnées par un permis du Bme. Un permis est un titre et non un contrat.
 
Toutefois, la recherche doit être précédée par la signature d’une entente entre les compagnies et l’État, puis suivie d’une étude de faisabilité.
 
« On entend par « recherches », l’ensemble des travaux superficiels et profonds, exécutés en vue d’établir les conditions d’exploitation et d’utilisation commerciale et industrielle », selon l’article 12-a de la loi minière.
 
La recherche diffère ainsi, selon la loi de la prospection qui concerne « des investigations superficielles en vue de la découverte d’indices de ressources minérales et énergétiques » réalisées, « à l’exclusion de tous travaux miniers et de tout sondage systématique en profondeur » (partie b du même article).
 
En ce qui concerne les hydrocarbures, cependant, prospection et recherches se ressemblent dans la quantité de surface qui peut être accordée.
 
Ainsi, dans les deux cas, la compagnie ne saurait-elle pas obtenir un permis pour plus de 500 kilomètres carrés.
 
Remarais a bien évoqué 6 permis, couvrant 3 mille kilomètres carrés, pour la recherche d’hydrocarbures. Cela suppose que les étapes de la prospection et de signature d’une convention ont donc été franchies.
 
Des premiers balbutiements…
 
L’idée de la présence de pétrole, dans le sous-sol haïtien, a particulièrement été agitée au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010.
 
Présidant un colloque du groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn) à Montréal, en mars 2010, le premier ministre de l’époque, Joseph Jean-Max Bellerive, a confirmé ce qui préoccupait plus d’un esprit :
 
« Les informations que j’ai à mon niveau (…) pour le pétrole et les raffineries en particulier (…) les contrats ne sont pas encore signés, mais il y a des démarches qui sont faites pour installer des raffineries en Haïti. Il y a plusieurs offres qui existent actuellement ».
 
Deux ans plus tard, en mars 2012, un article du Nouvelliste repris sur internet parle de relance de l’exploration pétrolière (encore appelée prospection).
 
Lors d’une rencontre, une compagnie, Petro Gaz-Haïti SA, déclare que son « offre a été acceptée » par le bureau des mines et montre, aux journalistes présents, des roches trouvées au cours de « recherches préliminaires » et qui seraient des « indices de l’existence du pétrole » dans ces zones : l’île de la Tortue (Nord-Ouest), le Plateau Central, la plaine du Cul-de-Sac, le Golfe de la Gonâve, l’île de la Gonâve (Ouest) et la plaine des Cayes (Sud).
 
Cependant, Dieuseul Anglade, directeur du Bme à l’époque, affirme à AlterPresse : « Pendant mon passage au bureau des mines, je n’ai donné aucun permis ».
 
Il reconnait, cependant, que des discussions étaient en cours pour l’octroi de permis de prospections pétrolières.
 
…aux grands soucis
 
Si les discours contradictoires, autour du dossier des hydrocarbures, peuvent sembler étonnants, les inquiétudes ne sont pas soulevées pour l’instant.
 
Or, l’exploitation du sous-sol haïtien concerne des domaines environnementaux et légaux sensibles.
 
La loi minière haïtienne « aborde la question de la protection de l’environnement d’une manière très générale en demandant aux bénéficiaires de titres miniers (détenteurs de permis de prospection, de recherches, d’exploitations et concessions) de prendre, en fonction des normes internationales de génie, des mesures de redressement nécessaires lors de la cessation ou de l’exécution des travaux si ceux-ci perturbent gravement l’environnement », selon une étude réalisée en 1996 (p.23-24).
 
En dépit des promesses, en mai 2012, du premier ministre Laurent Salvador Lamothe de la faire réviser, cette loi minière est toujours en vigueur, avec ses « lacunes ».
 
Pour les hydrocarbures, sans des dispositions fermes de l’Etat, les impacts sur l’environnement pourraient être encore plus grands. Car les compagnies utilisent des techniques très complexes (notamment les techniques sismiques ) couteuses, et surtout polluantes.
 
« Les activités de l’industrie extractive et la consommation d’hydrocarbures ont un impact déterminant sur l’environnement. Les installations de pompage, les pipelines, les raffineries et les infrastructures de commercialisation se traduisent trop souvent par des déforestations, des déplacements forcés de populations, des pollutions et d’autres atteintes graves à l’environnement », écrit le professeur Gilles Carbonnier en 2007 dans l’annuaire suisse de politique de développement.
 
L’auteur relève particulièrement : « La plupart des études récentes montrent que l’exploitation d’hydrocarbures tend à fragiliser le tissu économique, la cohésion sociale et les institutions politiques des pays producteurs. De manière paradoxale, l’exploitation des richesses du sous-sol est souvent associée à la misère des populations locales, à la mauvaise gouvernance et à la dégradation de l’environnement (…) ».
 
Suivant cette analyse, au-delà de la question des hydrocarbures, le point fondamental est de savoir si le gouvernement actuel - en accordant ces permis de recherche de pétrole - a pensé ou non à éviter à Haïti « la malédiction des ressources naturelles ».
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/61428?language=es
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