Obama II

14/10/2012
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Trois élections décisives ont lieu les prochaines semaines dont le résultat dessinera le nouveau visage du monde. La première, le 7 octobre, est celle du Venezuela. Si – comme les sondages le prévoient – Hugo Chavez l’emporte, ce sera une grande victoire pour l’ensemble du camp progressiste d’Amérique latine, et la garantie que les changements en cours vont se poursuivre.
 
La deuxième, le 8 novembre, se tient dans le cadre du XVIIIe Congrès du parti communiste chinois. Très certainement, Xi Ping sera élu nouveau Secrétaire général du parti à la place de Hu Jintao, première étape de sa probable élection, dans quelques mois, à la présidence de la Chine. Xi Ping deviendra alors le dirigeant de la principale puissance émergente du monde, de la deuxième économie planétaire et du grand rival stratégique de Washington.
 
La troisième élection, le 6 novembre, déterminera si le candidat démocrate Barack Obama reste président des Etats-Unis pour encore quatre ans ou s’il sera remplacé par le candidat républicain Mitt Romney. Il est, certes, avéré qu’un changement de président aux Etats-Unis n’inquiète pas excessivement le pouvoir financier (qui décide en dernière instance), ni ne modifie les options stratégiques fondamentales de la puissance américaine. Toutefois, dans le contexte actuel de crise internationale, cette élection n’en demeure pas moins fort importante.
 
A priori, Barack Obama avait peu de chances de renouveler son mandat. Mais l’assassinat de l’ambassadeur américain en Libye et les attaques contre l’ambassade des Etats-Unis en Egypte - survenus le 11 septembre dernier, onze ans jour pour jour après les attentats de 2001 -, ont fait soudain entrer les questions de politique étrangère, jusqu’alors absentes, au sein de la campagne électorale. Et indiscutablement cela ne l’a pas desservi.
 
Certes, aucun candidat n’a jamais gagné une élection (ou réélection) présidentielle aux Etats-Unis sur la base d’un projet ou d’un bilan de politique étrangère. On peut affirmer cependant que ces récents événements tragiques ont profité à Obama dans la mesure où, par contraste, son rival républicain Mitt Romney est apparu, à cette occasion, superficiel et irresponsable. Bien éloigné en tout cas, de l’image que l’opinion publique se fait d’un véritable homme d’Etat.
 
Si l’on ajoute l’effet désastreux qu’a provoqué, quelques jours plus tard, la diffusion d’une vidéo dans laquelle Romney déclare avec mépris qu’une moitié du pays - les électeurs d’Obama - se compose de "victimes", de « perdants  » et d’« assistés  », on peut dire que le président sortant, à quelques semaines de l’élection, retrouve quelques chances de l’emporter.
 
Ce n’était pas évident. Ayant beaucoup promis pendant sa campagne de 2008, Barack Obama a aussi beaucoup déçu. Il a lui-même admis avoir vendu trop de rêves et d’illusions. Sa popularité était donc tombée de très haut. Tellement, qu’on se demande comment un homme qui avait réussi à attirer environ deux millions de personnes lors de son investiture en janvier 2009, et qui a plus de dix-neuf millions d’abonnés sur son compte Twitter, a-t-il pu dégringoler ainsi ?
 
Intellectuellement brillant, le premier président Noir des Etats-Unis, n’est pas parvenu pas à transformer l’Amérique. L’argent domine toujours la vie politique, les institutions demeurent paralysées par les blocages du Congrès, l’économie ne parvient pas à démarrer, et l’hégémonie planétaire de Washington est plus contestée que jamais.
 
Il est vrai que, en arrivant à la Maison-Blanche en janvier 2009, le nouveau président a été d’emblée confronté à une crise économique, financière et industrielle d’une gravité comparable à celle de la Grande Dépression. Le pays avait perdu huit millions d’emplois… Mais Obama a donné l’impression de ne pas s’en apercevoir, et a poursuivi son rôle électoral de Grand Enchanteur. Il n’a pas mesuré la gravité du naufrage. Et a raté son début de mandat.
 
Il aurait dû - tout de suite - s’appuyer sur sa grande popularité pour s’attaquer – immédiatement - aux excès irrationnels de la finance et de la banque. Et rétablir la priorité de la politique sur l’économie. Il ne l’a pas fait. Aussi, sa présidence a démarré sur une base erronée.
 
Barack Obama aurait dû également se servir du soutien de la nation pour cogner sur le Parti républicain et élargir sans tarder l’éventail des réformes. Il aurait dû s’adresser directement au peuple américain pour faire pression sur le Congrès. Et contraindre celui-ci à voter les lois fiscales et sociales qui auraient permis à l’Amérique de reconstruire l’Etat-providence. Là encore, Obama a choisi de jouer la prudence. Ce fut une erreur.
 
Nul doute que ses réformes de la santé et des règles de Wall Street ont été importantes. Mais il les a obtenus au forceps et au rabais. La réforme de la santé a été élaborée sur un mode conservateur, ce qui a poussé des millions d’Américains vers les marchés privés de l’assurance santé. La réforme des régulations du marché financier n’a pas eu, non plus, de portée suffisante pour juguler les pires pratiques du secteur bancaire. Enfin, la Maison-Blanche n’a pas assez promu l’ Employee Free Choice Act, adopté en mars 2009, qui garantit aux travailleurs la possibilité de constituer plus facilement des syndicats.
 
Par ailleurs, Obama avait promis de changer la façon de fonctionner de la vie politique américaine, notamment au Congrès. Il ne l’a pas fait. Comme Franklin D. Roosevelt dans les années 1930, Obama aurait dû mobiliser le peuple américain pour mener son combat législatif. Il n’a pas osé le faire. Et a fini par ressembler aux politiciens de Washington qu’il avait tant critiqués. Et que les Américains détestent. Il a donc mal défendu ses propres réformes auprès du peuple et s’est contenté de quelques manœuvres de couloir pour tenter de gagner des députés de l’opposition à sa cause… Du coup, ce sont les républicains qui, directement, se sont adressés au peuple…
 
En principe, les démocrates disposaient de tout ce qu’il fallait – dans le champ politique - pour gouverner. Ils contrôlaient les pouvoirs exécutif et législatif : la présidence, la majorité à la Chambre des représentants et la majorité au Sénat. Normalement, le contrôle de ces deux leviers essentiels (la Présidence et le Congrès) suffit pour piloter un pays. Mais ce n’est plus le cas dans nos sociétés post-démocratiques. Car malgré leur légitimité, Obama et le Parti démocrate ne disposaient que d’ un seul des trois atouts indispensables pour gouverner aujourd’hui. Il leur en manquaient deux : les grands médias (alors que les républicains ont Fox News). Et un puissant mouvement populaire issu de la rue (alors que les républicains ont le Tea Party). Obama et les démocrates n’avaient ni l’un ni l’autre : ils étaient donc impuissants.
 
Et ils ont été débordés par la droite en période de désastre social… Ce qui est insolite. La droite américaine a eu le monopole des manifestations de rue, des luttes sur le terrain, et même de la bataille des idées… Conséquence : lors des élections de mi-mandat, en novembre 2010, les démocrates perdirent la majorité à la Chambre des représentants.
 
Il a donc fallu attendre pratiquement l’amorce de la campagne électorale pour que Barack Obama comprenne enfin qu’il devait sortir du marigot politique de Washington, et s’appuyer sur une stratégie tournée vers les mouvements populaires. C’est à Denver, en octobre 2011, que - pour la première fois depuis son arrivée à la Maison Blanche -, Obama a mobilisé directement sa base populaire en lançant un appel à l’aide : « J’ai besoin de vous ! J’ai besoin qu’on vous vous fassiez entendre ! J’ai besoin que vous vous engagiez ! J’ai besoin que vous soyez offensifs ! J’ai besoin que vous vous adressiez au Congrès pour dire aux élus : ’Faites votre travail !’ ».
 
Cette nouvelle stratégie se révéla payante. Les élus républicains se retrouvèrent soudain sur la défensive. Un nouvel Obama plus attaquant et en pleine progression dans les sondages commença à émerger. Il eut alors de nouvelles audaces : il se déclara en faveur du mariage gay et en faveur d’une politique différente à l’égard des immigrés, mettant fin à l’expulsion indiscriminée des sans-papiers. Sa popularité se renforça.
 
Entretemps, les républicains élisaient, pour les représenter dans la course à la Maison Blanche, le milliardaire Mitt Romney, un ancien PDG du fonds de capital-investissement (private equity fund) Bain Capital [1]. Celui-ci concentra immédiatement ses critiques sur Obama en dénonçant le « bilan catastrophique du mandat » du président : 23 millions d’Américains au chômage ou en emploi précaire ; un déficit budgétaire jamais vu aux Etats-Unis ; et une dette souveraine qui a augmenté de 50% en quatre ans pour atteindre l’équivalent du PIB.
 
Romney s’appuyait sur des enquêtes selon lesquelles 54% des électeurs déclaraient qu’Obama ne méritait pas un second mandat ; et 52% estimaient vivre « moins bien aujourd’hui qu’il y a quatre ans ».
 
Mitt Romney a martelé cela tout au long de la campagne. Oubliant de signaler que les sondages révélaient aussi que lui-même (Romney) avait des difficultés à convaincre les gens qu’il s’intéressait à eux. D’autre part, les sondages révélaient également que les électeurs étaient majoritairement d’accord avec le président sortant sur la plupart des grands dossiers : de la réforme de la santé à la politique fiscale. Ils pensaient aussi que, dans tous les cas, Obama les défendrait mieux que Mitt Romney…
 
Il y eut ensuite la désignation de Paul Ryan,président de la Commission du budget de la Chambre des représentants, comme colistier de Mitt Romney. A partir de ce moment-là, Barack Obama inversa les rôles habituels d’une campagne présidentielle. Il s’est posé en challenger offensif au lieu de défendre son bilan. Ce n’est plus lui qui s’est justifié pour ses difficultés à relancer l’économie, mais il a obligé les républicains à expliquer leur impopulaire plan de réduction budgétaire, leur promesse de « baisses d’impôts pour millionnaires » et la suppression d’aides aux familles modestes. Obama s’est ainsi fait le champion des classes moyennes, segment le plus important de la population américaine et donc de l’électorat.
 
Dans son discours du 6 septembre devant la Convention démocrate, le président, encore une fois, n’a pas défendu son bilan, sauf… en politique étrangère. Il a rappelé la mort de Ben Laden, le retrait militaire d’Irak et sa décision de se retirer également d’Afghanistan.
 
Il y aurait cependant beaucoup à dire sur son bilan de politique étrangère qui est globalement décevant.Aussi bien en Amérique Latine (Guantanamo, Cuba, Venezuela, coups d’Etat au Honduras et au Paraguay, etc.) que vis-à-vis du Proche-Orient (révoltes arabes, Libye, Syrie, Iran, Israël-Palestine, etc.).
 
Mais, on l’a dit, ce n’est pas sur la politique étrangère que se jouera l’élection. Ce sera sur les questions économiques et sociales. Or celles-ci, ces derniers mois, se sont améliorées. La croissance, par exemple, est redevenue positive (+0,4% en moyenne par trimestre). La situation de l’emploi est bien meilleure (environ un million d’emplois ont été créés au cours des six dernier mois). Sauvé de la faillite par l’Etat, General Motors a repris, début 2012, à Toyota, la place de premier constructeur automobile du monde. L’immobilier aussi va mieux. La Bourse a progressé de +50% depuis 2009. Et la consommation des ménages repart.
 
Cette récente embellie sera-t-elle suffisante pour garantir la réélection de Barack Obama ?
 
28 septembre 2012
 
 
Notes
 
[1] Les revenus de Mitt Romney – selon sa déclaration fiscale rendue publique le 21 septembre dernier - ont été de 10,5 millions d’euros en 2011, et de 16,5 millions d’euros en 2010. Romney fait partie des 0,1% des super-riches américains.
 
- Ignacio Ramonet
Président de l’association Mémoire des Luttes
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/58837
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