Lula : l'an I
27/12/2003
- Opinión
Le gouvernement de Lula fait son apparition sur une scène
marquée par l'hégémonie politique nord-américaine et par le
néolibéralisme en tant qu'idéologie et politique économique
prédominante. C'est dans ce contexte que s'insère le
gouvernement du PT (Parti des travailleurs), qui était mis
au défi de sortir du modèle néolibéral ayant dévasté le
Brésil.
Dans cette optique, la première année du gouvernement Lula
doit être jugée négativement. La politique économique
héritée du gouvernement antérieur a été non seulement
poursuivie mais également approfondie.
Le prix payé pour cette orientation : l'objectif central que
s'assignait [au cours de la campagne électorale, et encore
plus dans les programmes de référence] le gouvernement Lula
' la priorité au social ' n'a pas été atteint. Au contraire,
si du côté des indicateurs financiers il y a eu une
amélioration générale, tous les indicateurs sociaux, quant à
eux, se détériorent. On peut résumer cette trajectoire en
disant que le gouvernement actuel a assumé l'administration
de la crise héritée [des deux mandats de Fernando Henrique
Cardoso 1995-2002], qu'il n'est pas parvenu à la surmonter
positivement, et qu'il a donné suite aux orientations prises
par le gouvernement antérieur, gouvernement dont les options
suivaient fidèlement les directives du FMI.
Ainsi, au cours de sa première année 2003, le gouvernement
Lula s'est révélé être très conservateur : conservateur pour
ce qui a trait à la politique économique ; conservateur
aussi à l'occasion de deux réformes adoptées - celle sur les
retraites [qui élargit la voie en faveur des fonds de
pension privés] et celle sur la fiscalité ; conservateur
enfin jusque dans les discours de Lula lui-même, qui se sont
trouvés être démobilisateurs, critiques à l'égard des
mouvements sociaux et qui n'ont fait aucune mention du
capital financier et du néolibéralisme.
Comment a-t-il été possible que le PT, un parti né du
syndicalisme de base, des mouvements sociaux et de la lutte
contre le néolibéralisme ait pu jouer ce rôle ?
De l'ancien PT au New PT
Depuis 1994 particulièrement, le PT est passé par un
processus de transformation de sa composition interne et de
sa relation avec les mouvements sociaux et avec les
institutions [le Brésil est un Etat fédéral et le PT a
conquis des positions importantes dans des municipalités de
millions d'habitants, dans les Etats dont l'appareil est
imposant et dans les institutions parlementaires
nationales ; à cela s'ajoute la participation à la gestion
de fonds de pension et d'autres organes économiques], ainsi
que par la redéfinition des thèmes centraux pour la
stratégie du parti. Cela a été le résultat d'un bilan tiré
par la direction du PT au moment de la défaite à l'élection
présidentielle de 1998 contre Fernando Henrique Cardoso,
campagne au cours de laquelle le thème de la réforme de la
fiscalité était devenu le centre du débat au détriment de la
priorité aux politiques sociales prônée par le PT [Cardoso
mettra en place un dur plan d'austérité pour la période
1999-2001, étayé sur les projections et propositions du
FMI].
Le plus significatif a cependant été l'intégration du PT
dans l'institutionnalité, celle-ci gagnant même en
importance en tant que scène privilégiée d'activité du
parti, au détriment de la relation de ce dernier avec les
mouvements sociaux. Parallèlement, Lula a centré son
activité sur l'' Instituto da Cidadania ' (Institut de la
Citoyenneté), se distanciant par là même de la vie interne
du PT. Simultanément, le parti subissait un changement de sa
composition interne : des données du dernier Congrès
national du PT, qui a eu lieu en décembre 2001 à Recife,
indiquent qu'environ trois quarts des délégués présents
n'étaient pas liés à la base de mouvements sociaux.
Mais la transformation politique et idéologique principale a
eu lieu au cours de la campagne présidentielle de 2002. Au
début, l'alliance avec des secteurs de la grande industrie
révélait le rôle prédominant que devait jouer l'entrepreneur
productif, la figure socio-économique liée au marché
intérieur, comme c'était le cas de José Alencar, un grand
industriel du textile [actuel vice-président du Brésil].
Mais au cours de la campagne, alors que s'est produite une
forte attaque spéculative contre le real [sortie de
capitaux], liée directement à la possibilité de la victoire
électorale de Lula et au moment où ce dernier ne parvenait
pas à dépasser le seuil historique, dans les intentions de
votes, des 30% en faveur du PT, il a édicté une Charte pour
les Brésiliens. Dans cette dernière, il promettait de
respecter les engagements pris par le gouvernement de FHC.
Et il adoptait un discours de marketing politique sur la
ligne : ' Votez Lulinha, pour la paix et l'amour ' [le
diminutif inho-inha est un suffixe très largement utilisé au
Brésil qui a en général une connotation d'affection].
Ce nouveau profil politico-médiatique donnait l'impression
que le gouvernement Lula s'engagerait dans le sens d'une
reprise du développement et d'une priorité accordée au
social, alors que ces deux objectifs étaient rendus non
viables par les critères de l'équipe économique [du PT
proto-gouvernemental et de ses alliés] qui poursuivait des
objectifs encore plus exigeants que ceux du FMI. Son
gouvernement se trouve alors confronté au défi de la
quadrature du cercle : reprendre le développement,
redistribuer la richesse, créer des emplois et résoudre les
graves problèmes sociaux du Brésil sans pour autant sortir
du modèle néolibéral.
En prenant en compte le bilan de cette première année,
quelles perspectives peut-on entrevoir pour l'année qui
vient ? La perspective est la poursuite de la politique
actuelle, avec de légers changements, selon que l'évolution
de la production agricole et industrielle [au sein de
laquelle quelques secteurs sont déterminants, car la
structure de l'économie est de plus en plus dépendante des
exportations] sera moins mauvaise que celle de la production
actuelle qui côtoie la cote zéro. Cela définira alors la
configuration définitive au gouvernement Lula en tant
qu'administrateur de l'hégémonie du capital financier et le
conduira à l'échec, aussi bien en tant que gouvernement de
gauche qu'en tant que continuateur des politiques ' épuisées
d'ailleurs ' du gouvernement FHC.
Le bilan esquissé ici permet un diagnostic définitivement
négatif du mandat du PT à la présidence de la république.
Traduction : A l'Econtre.org.
Article original en espagnol : "Brasil : Lula año uno",
ALAI, América Latina en Movimiento, 19-12-03.
Emir Sader est professeur à l'Université de Sao Paulo (USP)
et à l'Université de l'Etat de Rio de Janeiro (UERJ), ainsi
que coordinateur au Laboratoire des Politiques Publiques de
cette même université. Il est également l'auteur, entre
autres, de ' La vengeance de l'Histoire ' (Ed. Boitempo) et
de 'XXe siècle : une biographie non autorisée ' (Ed.
Fondation Perseu Abramo).
https://www.alainet.org/fr/active/5861?language=en
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