Démocratie, développement et apport financier de la diaspora
19/09/2012
- Opinión
Les rapports entre la démocratie et le développement ne peuvent prospérer sans intervention de la raison et un minimum de sécurité. Ces axes sont fondamentaux dans tout projet pragmatique de RECONSTRUCTION. C’est bien la raison, le critère transcendantal à faire valoir dans la recherche de toute solution sérieuse à la crise haïtienne. On n’arrive pas à avoir un équilibre général de la société en Haïti depuis sa création en 1804. Pourquoi ? Essentiellement, parce que le financement du secteur public est supporté dans une très large mesure par la paysannerie qui ne reçoit rien en contrepartie. Comment arrêter cette tendance, puis l’inverser ? Faut-il infliger à la diaspora le même traitement que celui imposé à la paysannerie aux 19 ème et 20 ème siècles ? La fenêtre d’opportunité est mince. Si on n’en profite pas au cours des 30 prochaines années, on peut objectivement prévoir une chute libre pour Haïti. Les nouvelles générations nées en diaspora n’ont pas autant d’attache sentimentale avec Haïti que leurs devanciers.
Les statistiques de la période précédant le séisme du 12 janvier 2010 étaient déjà exécrables. 60% de la population n’avait pas accès à l’éducation formelle de base. 70% était au chômage. 80% n’était pas approvisionné en eau courante et 90% vivaient sans électricité chez eux. Ces statistiques ont encore empiré depuis. Le pouvoir politique ne semble pas avoir pris conscience de la gravité de la situation et du mécontentement social grandissant qui l’accompagne. L’environnement des affaires est malsain et la justice est impossible quand le gouvernement ne respecte pas ses propres textes de loi et décide par la force de nommer par exemple les membres d’un organisme comme le Conseil Electoral Permanent. L’incompétence d’attribution et l’incohérence observée dans la gestion du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ne donnent pas aux investisseurs potentiels la garantie qu’en cas de litiges ils pourront recevoir un traitement équitable. Au panorama des risques pays évalués par la Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur (COFACE) en juillet 2012, Haïti a encore la note D, soit la plus mauvaise dans le classement, tant pour l’évaluation du pays que pour celle de l’environnement des affaires.
Depuis la fuite des cerveaux déclenchée par la dictature duvaliériste, l’essentiel du capital humain, social et financier nécessaire au développement en Haïti réside en diaspora. Les cadres haïtiens, dont 80% vivent à l’étranger, et les associations de villes d’origine (AVO) sont des exemples de capital humain et social qui attendent d’être mobilisés par toute politique sérieuse de développement. Malgré l’amendement constitutionnel, il existe des restrictions qui bloquent encore la participation des Haïtiens de la diaspora à tous les niveaux de la vie socio-politique et économique. Cela est bien regrettable car, dans ce domaine comme dans d’autres, le temps presse. L’interdiction faite jusqu’ici aux membres de la diaspora d’accéder à des fonctions électives telles que celles de députés et sénateurs ou encore celle de maires ou de membres des collectivités territoriales, procède d’une résistance farouche d’esprits attardés et démodés. D’individus sans vision n’ayant pas encore assimilé l’évolution et les formes de la citoyenneté de notre temps. C’est donc dans le but de convaincre les adversaires de la diaspora à nouer avec le sens de la responsabilité que nous mettons l’accent sur sa contribution financière sans toutefois y voir un unique apport au développement d’Haïti.
L’illusion d’avoir le pouvoir
La question du 21e siècle est de savoir comment exercer un effet levier sur les deux milliards de dollars de transferts envoyés officiellement en Haïti par la diaspora. Deux milliards de dollars de transferts qui dépassent le budget national financé par des ressources internes. Deux milliards de dollars de transferts dans un budget de trois milliards de dollars pour l’année 2012-2013. Deux milliards de dollars de transferts qu’il faut comparer à l’aide internationale d’un peu plus de 600 millions de dollars et aux investissements directs étrangers de 170 millions de dollars. Deux milliards de dollars de transferts qui représentent 30% du PIB.
La valeur de deux milliards de dollars de transferts ne tient pas compte des montants qui suivent la voix informelle. Si on les estime au même montant ou même à 50% du montant des transferts par la voie formelle (Sogexpress, CAM Transfert et Unitransfsert représentant 76% du marché), alors on se rend compte du poids de la diaspora dans l’économie, mais surtout dans le maintien en vie de la population en Haïti. Ces transferts financiers ne sont pas motivés par l’économie ou la politique, mais par la solidarité familiale et cette intersubjectivité qui existe encore malgré l’adversité. Une intersubjectivité soutenue par la sentimentalité, la confiance et une attache sociale avec le pays de naissance.
Le problème fondamental est que le défaut de vision des détenteurs du pouvoir politique bloque encore l’optimisation de cette manne financière et sa canalisation vers des investissements productifs. De tout temps, les détenteurs du pouvoir en Haïti ont préféré se courber aux diktats des institutions internationales. Cela leur permet de garder l’illusion d’avoir le pouvoir au lieu de le partager avec leurs concurrents politiques et leurs compatriotes vivant en diaspora qui leur donnent trois fois plus que ces étrangers pour la conduite des destinées nationales. Là est le cœur du problème qui renvoie à la haine de soi, à la haine du semblable, de laquelle nous ne pouvons encore nous départir deux siècles après 1804. Malgré indemnités, occupations, massacres et avilissements, choléra et autres maladies infligés par les fantassins aux ordres de la communauté internationale d’un Occident connu pour son absence d’états d’âme dans le génocide de peuples entiers.
L’obstacle majeur à l’investissement
Destinés en grande partie à l’achat de nourritures, de soins médicaux et d’éducation, les transferts financiers de la diaspora sont le premier vecteur de la lutte contre la pauvreté, cette dernière découverte des institutions internationales engagées dans le « développement ». Pourtant ces institutions qui ne dépensent pas le tiers des transferts financiers de la diaspora ont tous les pouvoirs sur le Parlement, le système judiciaire et la présidence en Haïti. Dans le même temps, la diaspora n’a aucune voix au chapitre. L’intégration pleine et entière de la diaspora devrait aider à sortir Haïti en un court laps de temps de la situation désespérée du plus pauvre pays de la terre, constat dressé le 14 septembre 2012 par les puissants de ce monde [1]. Cette intégration doit passer par une concertation entre les divers secteurs la diaspora et l’ensemble des forces sociales haïtiennes pour déterminer les objectifs nationaux en matière de développement, les modalités d’application et les moyens nécessaires. Sinon, on se retrouve dans une illusion néfaste pour les deux parties et au final pour Haïti. En considérant que les deux milliards de dollars de transferts annuels ne représentent que 15% des ressources financières détenues par la diaspora, il y a donc de grandes possibilités pour les Haïtiens de se développer par leurs propres moyens. Mais cela demande une autre psychologie à mille lieux des complexes enracinés dans l’image de soi négative. Une mésestime de soi qu’on tente de soigner par la jouissance, le carnaval et la fête. Il importe de privilégier la raison en mettant en place les mécanismes de constitution d’un fonds d’investissement pouvant permettre l’émission de titres obligataires destinés à la diaspora. Il existe des centaines de projets en Haïti pouvant compter sur la demande d’une diaspora ayant les moyens financiers pour en assurer la rentabilité. Ce qui manque, c’est une politique incitative pour attirer les Haïtiens de l’extérieur en leur offrant un traitement adéquat.
Le président Bill Clinton en visite en Haïti le 18 septembre 2012 a déclaré « Haïti a d’énormes potentialités en tant que pays en voie de développement. Ce pays a besoin d’identifier et de lever les obstacles qui freinent les investissements des étrangers, mais également des Haïtiens. » Or justement l’obstacle majeur à l’investissement est l’arbitraire des politiques qui refusent tout partage du pouvoir. Depuis 1804, le népotisme a toujours été de rigueur et le pouvoir exécutif préfère avoir 100% de rien du tout, plutôt que d’avoir 50% de quelque chose. Tel est le dilemme majeur auquel Haïti est confronté. L’héritage maudit de ce mode de pensée est l’obstacle principal à toute modernité.
[1] Michael B. Sauter, Alexander E. M. Hess and Samuel Weigley, The 10 Poorest Countries in the World, 24/7 Wall St, September 14, 2012
Source AlterPresse
https://www.alainet.org/fr/active/58214?language=es
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