« Idées pour une ré-orientation de la politique économique du pays »

Recettes fiscales et réalité sociodémographique

22/07/2012
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Pour la prochaine année fiscale, les autorités du Ministère de l’Economie et des Finances estiment que le budget de la République d’Haïti sera financé à hauteur de 50.07% par la communauté internationale. Cet apport, certes, est encore relativement élevé ; mais son niveau actuel constitue un progrès non négligeable par rapport aux années antérieures où il a été évalué, dans le pire des cas, à plus de 67%. En fait, il traduit toujours un degré de dépendance extrêmement contraignante si l’on considère son poids dans le budget d’investissements publics. Et, sous cet aspect, le quote-part relatif de l’aide externe (contribution de Pétro caribe comprise) dépasse le seuil des 80%. On ne peut pas s’étonner que l’Etat haïtien ne soit jamais parvenu à exécuter 40% des dépenses d’investissement.
 
Cette difficulté de consommation des crédits alloués ne s’explique pas par un problème de capacité d’absorption en tant que telle, comme on tente de le faire croire assez souvent, mais par un déficit de maitrise de l’exécution de cette partie du budget. La mise en œuvre d’une activité sous cette rubrique et le décaissement y relatif sont conditionnés au contrôle à priori des bailleurs de fonds et, pis est, à la compétence technique, à la bonne disposition ou même à la bonne foi des techniciens préposés à ces taches. Et on connait déjà les fâcheuses conséquences politiques de cet état de fait : ce sont les ministres et les chefs de gouvernements qui sont toujours mis sous la sellette. Rendus sur le-qui-vive par des parlementaires opérant au gage d’un Chef de l’Etat qui n’aime pas la forme de leur tête, ils sont intempestivement convoqués, interpellés et renvoyés sans aucune forme de procès. Réduire cette énorme dépendance par rapport aux bailleurs est un objectif hautement désirable, mais pas immédiatement réalisable. Il faudrait à court terme envisager un certain nombre de mesures originales et s’armer de courage et de persévérance politique pour les exécuter correctement, en dépit des grognes qu’elles pourront susciter.
 
In limine litis, il faut dire que la clef de voute de toutes ces éventuelles mesures réside dans la configuration démographique du pays, telle qu’elle apparait dans le rapport du recensement de 2003 et les projections subséquentes réalisées par les autorités compétentes en cette matière. Quand on a un pays où plus de 50% de la population ont moins de 21 ans et où 59.2% vivent en milieu rural, on a du souci à se faire ; car les conséquences sur les recettes fiscales sont énormes et, cela, pour deux raisons au moins. Primo, les jeunes de moins de 21 ans sont à 95% soit en situation d’apprentissage à l’école classique ou à l’université, soit en situation de chômage ouvert ou déguisé, et plus de 50% d’entre eux ne paient même pas une vignette ou un matricule fiscal. Secundo, 80% des Haïtien(ne)s vivant dans les zones rurales sont totalement décapitalisé(e)s à cause (i) de la destruction malveillante de leur cheptel porcin, (ii) du manque d’encadrement leur permettant d’augmenter leur production agricole exportable (café, cacao, pitre, vétiver, etc…), et (ii) du mépris scandaleux dont ils sont l’objet de la part des dirigeants gouvernementaux. De ce fait, ils ne sont pas à même d’être des contribuables sur qui l’Etat peut compter. Les autres 20% qui exercent une activité génératrice de revenus opèrent dans le secteur informel de l’économie nationale. On peut comprendre facilement que le fisc haïtien a une marge de manœuvre extrêmement réduite dans sa détermination à augmenter, malgré vents et marrées, les recettes de l’Etat.
 
Récemment, nous avions entendu quelqu’un dire, tout de go, que la perception - l’an dernier - de 45 milliards de gourdes pour une population de 10 millions d’habitant est une piètre performance. C’est vrai que la douane a des efforts à faire pour réduire le niveau de contrebande, si l’on tient compte du fait que sur 15 milliards d’importation (dont une bonne partie transite par la frontière commune avec la République Dominicaine) seulement 9 milliards ont été taxés et, ce, avec tous les biais qu’on connait. Mais du côté de la Direction Générale des Impôts, ce n’est pas tout à fait la même réalité. Déclarer sans nuance que la collecte totale de 45 milliards de gourdes est carrément une mauvaise performance c’est provoquer, peut-être inconsciemment, le risque d’une réaction émotionnelle de la part des plus hautes autorités politiques et l’élimination de l’eau de bain avec le bébé.
 
Par ailleurs, si l’on examine de plus près la pyramide des âges relative à la population haïtienne, on peut se rendre compte que les potentiels contribuables représentent moins de 40% de la population totale du pays, soit moins de 4 millions d’habitants. De cette quantité, plus de la moitié opère dans le secteur informel, donc ils sont propriétaires de négoces ou de petites entreprises qui échappent complètement au contrôle du fisc. Une grande part de l’autre moitié (à peu près 2 millions), sont des chômeurs ou des gens ayant entre 25 et 35 ans qui sont peut-être détenteurs d’idées bancables, mais dont l’accès au crédit est totalement fermé, faute de ne pas pouvoir exhiber les garanties chimériques qui sont généralement exigés par notre système bancaire. Au bas mot, la charge fiscale de tout le pays repose sur environ un million de personnes et un nombre limité d’entreprises. Partant de ces considérations sociodémographiques, la collecte de 45 milliards de gourdes de l’année fiscale écoulée est en soi un résultat appréciable, surtout si l’on se rappelle qu’on était seulement à deux ans du tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 20102.
 
Avec une population aussi jeune, les autorités auraient intérêt à formater leur politique économique et fiscale de manière à intégrer progressivement les jeunes dans le tissu économique. Il est aussi extrêmement important d’envisager l’élaboration d’un programme de développement de l’entreprenariat chez les jeunes, assorti d’un mécanisme approprié d’accès au crédit pour la création de nouvelles entreprises. Dans ce cadre, l’âge serait un critère déterminant dans la sélection des projets à financer, pour éviter que ce soit la même minorité démographique qui s’impose comme le grand bénéficiaire d’un tel programme. Une disposition économique de ce type permettra d’augmenter le nombre effectif de contribuables et d’élargir ainsi l’assiette fiscale du pays.
 
Ce programme d’ « entreprenariat-jeunes », pour être soutenable et durable, devra être couplé à des activités de sensibilisation intense auprès des écoliers et des jeunes universitaires. En cela les établissements scolaires et les facultés seront des lieux privilégiés pour poser les bases nécessaires à la concrétisation efficace d’un tel programme. Il faut dire en passant que l’Etat devra débourser une somme importante pour donner suite aux éventuelles idées que pourront générer plus de 20% de jeunes âgés entre 19 et 25 ans. Et si le Trésor public ne dispose pas de moyens suffisants pour prendre en charge un tel programme, l’Etat sera obligé de recourir à l’aide d’un bailleur international. Par ces temps de morosité économique quasi-généralisée, cela pourra s’avérer très difficile. Toujours est-il que la source de financement idéal serait un prêt, étant donné l’impact espéré sur les recettes fiscales et la solvabilité ou la capacité de rembourser du pays.
 
De toute évidence, l’Etat haïtien n’aura pas beaucoup de choix s’il souhaite effectivement développer durablement ce pays. Il a sur les bras une population dont 50% sont des jeunes de moins de 21 ans et il lui est obligatoire d’investir massivement dans leur éducation et leur formation. C’est un pari sur l’avenir avec lequel il ne peut pas se permettre de badiner. La mise en œuvre du Programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire (PSUGO) est un pas dans la bonne direction, il reste maintenant à emboiter le pas et à doter le pays de trois grands pôles de formation universitaire. Il y a déjà une université dans le Nord qui peut se spécialiser dans les questions de transformation industrielle, dans l’ouest l’UEH et d’autres centres universitaires peuvent continuer à développer des filières de formation diversifiées. Mais dans les trois départements du cône Sud, la filière de production de biens et de services touristiques devra être privilégiée. Additionnellement des dispositifs appropriés devront être mis en place pour faciliter la mobilité des potentiels étudiants d’un pôle à un autre. C’est la voie royale à suivre pour sortir le pays de son marasme et de son ultra-dépendance par rapport à la communauté internationale. Tout le reste est blablabla pour amuser la galerie…
 
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- Gary Olius est économiste, spécialiste en administration publique Contact : golius_3000@hotmail.com
 
Source: Alterpresse www.alterpresse.org
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/56686?language=en
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