Les migrants en provenance d’Haïti sont-ils des réfugiés « environnementaux » ?

14/06/2012
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P-au-P, 15 juin 2012 [AlterPresse] --- La nouvelle de la mort tragique de plus d’une dizaine de compatriotes, le dimanche 10 juin 2012 au large des Bahamas, invite à réfléchir sur la nécessité urgente de mettre en œuvre, en amont et en aval, des actions de prévention et de protection en vue de sauvegarder les droits humains et la vie de cette nouvelle catégorie de « migrantes et migrants forcés », relève l’agence en ligne AlterPresse.
 
Chaque voyageur (sur un total de 28) avait payé aux organisateurs 5,000.00 dollars américains (US $ 1.00 = 43.00 gourdes ; 1 euro = 58.00 gourdes aujourd’hui) pour effectuer la traversée en mer, indique l’un des survivants du naufrage aux autorités bahamiennes, cité par le journal The Nassau Guardian [1].
 
À l’instar de milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens, ces voyageuses et voyageurs ont été contraints, par un ensemble de facteurs, à fuir leur pays à leurs risques et périls, en quête d’une meilleure vie ailleurs.
 
Parmi ces facteurs, figurent : la crise humanitaire, la dégradation de l’environnement, la violation systématique des droits socio-économiques, l’industrie du trafic illégal de migrants, la quasi-absence de l’État… Dans quelle mesure pourrait-on parler de décision volontaire de ces voyageuses et voyageurs ?
 
Ne devrait-on pas plutôt recourir à l’argument du professeur étasunien, Anthony Catenese, qui, en 1999 (bien avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010), proposait de considérer comme « réfugiés environnementaux » les migrantes et migrants haïtiens, en raison de la « dégradation environnementale d’Haïti et de la non-volonté du gouvernement [haïtien] d’agir dans l’intérêt de la population en général » ? [2].
 
Cet argument ne s’impose-t-il pas a fortiori, surtout après le terrible tremblement de terre ayant empiré l’état déjà désastreux de l’environnement d’Haïti et aggravé la situation humanitaire dans un pays incapable de nourrir ses enfants ?
 
Prévention en amont et protection en aval
 
Dans un communiqué diffusé pour la circonstance, le président haïtien Joseph Michel Martelly appelle « les citoyennes et citoyens haïtiens à éviter de se mettre en danger en utilisant les canaux illégaux pour se rendre en terre étrangère ».
 
Cependant, personne ne saurait fermer les yeux sur une réalité nationale très crue ; la population haïtienne est à bout de souffle ; ses conditions de vie tarderont encore longtemps à s’améliorer. Entre-temps, l’émigration se présente, de plus en plus, comme l’unique issue.
 
En plus, les réseaux de trafiquants offrent des voyages, promettant à leurs victimes de les conduire aux États-Unis d’Amérique.
 
Souvent, les parents des jeunes les incitent à entreprendre le voyage, tel que l’illustre le témoignage d’un rescapé du naufrage du dimanche 10 juin 2012 : « Ma mère a insisté pour que je me rende aux États-Unis [d’Amérique] à bord de l’embarcation ».
 
L’offre et la demande coïncident tout-à-fait.
 
Les tragédies à répétition, au large de l’Archipel des Antilles, ainsi que les refoulements d’Haïtiennes et d’Haïtiens vers leur pays d’origine par les autorités américaines, bahamiennes et d’autres Îles caribéennes, sont loin de décourager les potentielles voyageuses et potentiels voyageurs irréguliers.
 
En ce sens, des actions de prévention doivent se réaliser en amont, depuis Haïti, notamment à travers des sanctions contre les réseaux d’organisateurs de ces voyages clandestins et surtout par l’amélioration des conditions de vie de la population. Sans oublier d’informer et de sensibiliser la population sur les dangers de ces voyages irréguliers !
 
Mais aussi, des actions de protection de la vie des voyageuses et voyageurs doivent être entreprises en aval, c’est-à-dire, à l’arrivée des voyageurs au large des côtes de leurs pays de destination, principalement les Îles anglophones des Caraïbes.
 
Il est extrêmement important pour les pays de destination de comprendre que ces voyageuses et voyageurs haïtiens ne sont pas une menace pour la sécurité, mais plutôt des personnes qui fuient leur pays, suite à un désastre et à une forte dégradation environnementale ayant aggravé leurs conditions de vie.
 
Ce changement de perspective, axée davantage sur la protection que sur la sécurité, pourrait contribuer à ce que les garde-côtes de ces pays soient plus enclins à secourir les voyageuses et voyageurs, et réalisent également les patrouilles dans cette optique.
 
La différence pourrait être significative : entre patrouiller la mer pour refouler des « migrantes / migrants illégaux » (le terme même d’ « illégal » criminalise la migration de ces derniers) et patrouiller la mer pour protéger des êtres humains en quête de meilleures conditions de vie ?
 
De quelle décision volontaire parle-t-on ?
 
L’argument susmentionné, du professeur étasunien Anthony Catanese, acquiert de plus en plus de pertinence dans le débat actuel.
 
En fait, « Haïti est l’une des premières nations, à laquelle le concept de ´réfugiés environnementaux´ a été appliqué » [3], vu le cercle vicieux de pauvreté, de dégradation environnementale, de violence politique et de corruption, dans lequel s’est enlisé le pays.
 
Pendant que les agences onusiennes sont réticentes à parler de « réfugiés environnementaux » ou « climatiques » ou « écologiques », le concept de « migrantes et migrants » volontaires, c’est-à-dire de personnes qui décident « librement » de laisser leur pays en quête de meilleures conditions de vie, ne sied pas à la situation de la grande majorité des Haïtiennes et Haïtiens fuyant Haïti.
 
Comment peut-on parler de décision volontaire dans le cas des Haïtiennes et Haïtiens, surtout après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a considérablement appauvri, décapitalisé et déshumanisé les conditions de vie, et drastiquement réduit toute possibilité de (re) construire leurs vies et celles de leurs familles dans l’Haïti post-séisme ?
 
Loin d’entrer dans le débat sur le caractère volontaire ou non (et à quel degré) de la décision d’une migrante ou d’un migrant de laisser son pays, il faudrait simplement attirer l’attention sur les limites de l’application de cette définition au cas de la majorité des Haïtiennes et Haïtiens.
 
« Les réfugiés environnementaux haïtiens », un test pour le système de protection international
 
Outre l’impact négatif du séisme du 12 janvier 2010, sur les fragiles infrastructures et les quasi-inexistants services sociaux de base du pays, il y a lieu de souligner l’aggravation de l’état déjà désastreux de l’environnement haïtien et les conséquences néfastes y afférentes.
 
Situation que l’agence en ligne AlterPresse a expliquée en ces termes en 2007 :
 
« Le tableau se caractérise aujourd’hui par la déforestation, pour ne pas dire une désertification de diverses régions, consécutivement à l’abattage sauvage et indiscriminé d’arbres, l’épuisement des terres agricoles en raison de (la pratique de) l’agriculture intensive (sur le brûlis), la pollution des sols et des eaux à cause des engrais et rejets industriels de tous genres, la pollution de l’air liée à l’émission de gaz toxiques… Cette situation désastreuse se caractérise par une baisse de la production agricole, la pollution des sources, des inondations, sécheresses, épidémies, pertes des infrastructures et habitats, et même des pertes de vies humaines, comme ce fut le cas pendant les tempêtes Gordon, Georges, Jeanne, Alpha et Dennis » [4].
 
La situation de milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens, qui fuient leur pays en raison de la dégradation de l’environnement [dont le koumène écologique s’est réduit à moins de 2%] et de l’incapacité de leur gouvernement, voire de la communauté internationale à résoudre la grave crise humanitaire aggravée par le tremblement du 12 janvier 2010, est un « test » pour le système de protection internationale.
 
En dépit de ce que « le nombre des personnes, déplacées par les désastres naturels, ait multiplié au cours des dernières années, dépassant le nombre de [personnes] déplacées pour cause de conflits », tel que l’a récemment reconnu le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) [5], il n’existe, jusqu’ici, aucun instrument ni mécanisme dans le système juridique international pour combler le vide de protection de cette nouvelle catégorie de réfugiés.
 
Plus de treize années après la publication du livre de Anthony Catanese, le débat reste encore ouvert sur la nécessité ou non de considérer les migrantes et migrants haïtiens comme des réfugiés « environnementaux ». Le jeu en vaut la chandelle, parce qu’il y va de la protection de la vie et des droits humains de milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens qui regardent d’autres cieux et sont prêts à voguer sur la mer vers l’inconnu. [wel rc apr 15/06/2012 13:00]
 
 
[2] CATANESE, A. (1999), Haitians : Migration and Diaspora. Westview Press, Boulderand Oxford, p. 48
 
[3] Ethan Goffman, Environmental Refuges : How many, How Bad ?, CSA Discovery Guide,Michigan, Release June 2006, p.10
 
[4] AlterPresse, L’espace haïtien face au péril de l’environnement et aux incertitudes économiques et démographiques, Port-au-Prince, Juillet 2007. http://www.alterpresse.org/spip.php...
 
[5] cf : Unhcr, The State of the World Refugees 2012. In search of Solidarity. Enlace : http://www.unhcr.org/publications/2...
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/55825
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