Juger Duvalier ou l’occasion de réformer un système vieux et inégalitaire ?

24/05/2012
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Un procès contre Jean Claude Duvalier serait un baume pour la justice en Haïti, a fait savoir la sociologue et militante féministe Danièle Magloire ce 24 mai.
 
« La tenue d’un procès contre Duvalier serait salutaire pour la réforme de la justice, parce qu’il permettrait de mettre en lumière de manière beaucoup plus précise un ensemble de manquements et les injustices qui, sont inhérentes au système de justice et aux codes de loi en vigueur dans le pays », a réagi Magloire lors d’un atelier de formation, quatre mois après le terme de l’enquête judiciaire contre le dictateur.
 
Danièle Magloire intervenait à cet atelier, organisé par le Cendre œcuménique des droits humains (Cedh) en marge de la visite d’une délégation de la Fédération internationale des droits humains (Fidh).
 
Le séminaire d’une journée a accueilli près d’une vingtaine de membres d’organisations impliquées dans la défense des droits humains et des acteurs du système judiciaire.
 
« Yeux ouverts sur la justice » est le thème central qui a favorisé les discussions liées à la question de la reforme de la justice, une reforme mise sur le tapis par les politiques depuis plusieurs années, mais encore à l’heure actuelle au stade de discours.
 
Danièle Magloire et l’histoirienne Suzy Castor, qui se sont concentrées sur les thèmes « Mémoire et impunité », n’ont pas pu éviter le cas du dictateur Jean Claude Duvalier qui a réussi, pour le moment, à filer entre les doigts de la justice haïtienne, grâce à une ordonnance d’instruction que beaucoup qualifient de « honte ».
 
Pour Danièle Magloire, qui a souligné que les plaintes portées par les victimes du régime ont été outrageusement ignorées, « le cas de Jean Claude Duvalier est emblématique, parce que c’est un cas qui montre que le mode de fonctionnement de la justice est assimilable à un mode de fonctionnement contre la construction de l’État de droit ».
 
Justice du passé à dépasser
 
La sociologue a souligné en même temps, le fait que certaines lois en vigueur actuellement ont été élaborées durant la dictature. De plus, la justice haïtienne ne reconnait pas aux associations le droit de porter plaintes pour des victimes, ajoute t-elle.
 
Au-delà de l’obsolescence et de l’inadéquation des textes de loi, en dépit du fait qu’ils sont anciens et ce sont des lois duvaliériennes, l’idée de justice est très souvent absente de ces textes de loi, ainsi que les valeurs d’équité et d’égalité de personnes qui sont justiciables.
 
Par ailleurs, « la méconnaissance du droit pénal international, l’absence de désir de mieux connaitre ce cadre juridique, sont autant de facteurs qui empêchent le déroulement du jugement de cet ex-dictateur », a indiqué Danièle Magloire, ajoutant : « Ce n’est pas la question de rendre justice qui est primordiale, mais de préférence la question de procédure ».
 
La politique...
 
Par ailleurs, Jean Claude Duvalier, à aucun moment, depuis son retour en Haïti, ne s’est senti hors de son élément. Il bénéficie de pensions et entretient surtout de bons rapports avec le président de la République Michel Martelly, étrangement prompt à balancer des discours sur la réconciliation.
 
Michel Martelly prône aussi l’État de droit comme un axe fondamental de sa politique.
 
Contradiction ?
 
Pour la sociologue Danièle Magloire, « le cas de Jean Claude Duvalier, était un cas où l’incarcération était possible, parce qu’un ensemble de risques existaient, mais les magistrats ne l’ont pas assumée alors que si c’étaient des petits voleurs de bananes cela aurait pu arriver beaucoup plus tôt ».
 
De plus, le retour de l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier n’a pas mobilisé une conscience citoyenne comme nous serions en droit de nous y attendre, a-t-elle relevé. Mais, le duvaliérisme a créé quelque chose qui a imprégné notre imaginaire, c’est la peur de la politique.
 
La mémoire, « quête élémentaire de justice »
 
« Une des caractéristiques des dictatures de longue durée est de travailler à effacer la mémoire d’un peuple, la longue étape duvaliériste nous a présenté l’exception comme la normalité, elle a masqué les évènements, ou a banalisé l’horreur dans sa répétition », a indiqué Suzy Castor, directrice du Cresfed.
 
La grande majorité des moins de soixante ans connaissent très peu de l’évolution de ce pays durant les soixante dernières annees, beaucoup ne savent pas ce qu’a été le duvaliérisme, soutient-elle, affirmant que la dictature a coupé la courroie intergénérationnelle.
 
« Jusqu’à présent le pays n’a aucun lieu de mémoire, aucun mémorial, aucune stèle avec le nom des disparus, pas de place publique, pas de rues pour nous apprendre et nous imprégner de cette époque. Même Fort dimanche ce haut lieu d’horreur a été rasé depuis 1994 », a déploré Castor.
 
La société haïtienne a été soumise à la désinformation, à l’incommunication et à la peur. Ce sont des années de chape de plomb où la vie est en veilleuse, la population a été emprisonnée dans le silence, a décrit Suzy Castor parlant de la dictature des Duvalier.
 
« Le devoir de vérité et de mémoire constitue une pierre angulaire dans la construction des nations, et laisser dormir le passé permettrait donc de construire la démocratie sur des bases fragiles », a souligné Suzy Castor.
 
29 ans de dictature et 25 ans de transition politique rendent fondamentale l’enquête sur le passé, afin d’analyser, dénoncer, relater sur divers angles les luttes qui doivent être poursuivies, pour apprendre et mieux comprendre notre identité, propose l’historienne.
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/55302
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