Pour une démocratie véritable

13/11/2011
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Etymologiquement, le mot DEMOCRATIE signifie gouvernement par le peuple. Quand la presse relate les atrocités, réelles ou imaginaires, que vivent de nombreux peuples soumis à des régimes totalitaires, il n’est pas rare d’entendre des gens dire avec soulagement « heureusement qu’il y a la démocratie aux USA et en Europe ! »   Ces pays sont effectivement posés en modèle ; ce qui, d’ailleurs, justifie qu’on accepte qu’ils aillent, s’il le faut à coup de bombes à uranium appauvri, « aider » d’autres peuples à se démocratiser. Comme si la démocratie pouvait s’instaurer à coups de bombes et de canons. On voit le résultat des interventions en Iraq, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire ou en Libye !
 
Nous affirmons dès le départ qu’il ne peut y avoir de démocratie dans un pays si ci celle-ci n’est pas ancrée à sa réalité historique, sociale et culturelle. Nous affirmons d’autre part, que les formes d’institutions proposées comme modèles, aujourd’hui, ne constituent pas des garanties absolues de Démocratie.
 
D’ailleurs, dans les pays que l’on donne en référence, jamais le peuple n’a été aussi écarté du pouvoir qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous estimons que la démocratie véritable reste encore à construire.
 
Quand on parle de pays démocratiques, on entend généralement, pays où l’on peut s’exprimer librement, circuler librement et désigner ses dirigeants. En réalité, ces droits y restent souvent théoriques et sont rendus caduques par l’absence de moyens économiques et financiers pour les exercer. De notre point de vue, on ne peut qualifier de démocratique un pays où les droits économiques et sociaux ne sont pas effectivement respectés. La démocratie véritable devrait se manifester par la possibilité effective pour chaque personne d’exercer son droit au travail, au logement, à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et à la culture. Il ne suffit pas que ces droits soient inscrits dans une constitution pour déclarer qu’un régime est démocratique.
 
Pour le citoyen, c’est, en premier lieu, la possibilité de travailler qui ouvre l’accès à la liberté. Le droit au travail n’étant pas respecté, les chômeurs ne peuvent bénéficier de la « démocratie ». D’ailleurs, tout ce qui est présenté comme politique d’assistance sociale est souvent un substitut qui confirme l’absence de démocratie. Car précisément, la démocratie ne peut se concevoir sans le partage des richesses. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les pays occidentaux n’ont jamais admis ce partage. La plus-value est considérée d’emblée comme propriété des investisseurs. Ce sont ces derniers qui, pour l’essentiel, décident de la part à concéder aux salariés ou au réinvestissement
 
Le caractère démocratique d’une société serait-il, alors, garanti par la tenue d’élections ? Des éléments de réponses ont été donnés dans les précédentes interventions ; mais deux exemples contribueront à nous éclairer.
 
- Dans le système de démocratie représentative de la France, le peuple a voté non au référendum sur la constitution européenne de Maastricht. Le gouvernement, utilisant des moyens détournés, a pourtant pu ratifier celle-ci.
 
- Le mouvement des indignés qui se propage sur toute la surface du globe confirme que la souveraineté populaire n’est pas traduite dans le modèle représentatif qui domine. Des centaines de milliers de gens, dans tous les pays dits démocratiques, dénoncent les politiques d’austérité imposées par des technocrates. Quand les gouvernements ne les répriment pas, ils restent totalement sourds aux protestations. Ce qui, soit dit en passant, ne les empêche pas de lancer des injonctions aux chefs d’états qui refusent d’écouter leurs populations dans le reste du monde.
 
Une chose est sure, la conception de la démocratie représentative qui prévaut aujourd’hui est viciée.
 
On a déjà parlé de l’inégalité entre candidats qui se présentent aux différentes élections en ce qui concerne l’accès aux médias, aux infrastructures et aux financements. On peut ajouter que les élections sont souvent perverties par l’utilisation de sondages truqués ou tronqués.
 
En dehors de la période des élections, les autorités font semblant de consulter la population sur différents sujets, mais les décisions sont toujours prises unilatéralement dans les administrations si ce n’est dans les couloirs. Et les consultations quant aux questions clés, autodétermination ou autre, sont déniées.
 
Le principal déni de démocratie réside dans l’absence d’obligation pour les élus de respecter les engagements pris en tant que candidats. Le leader qui change d’orientation a forcément raison du seul fait de son statut de leader. Assez curieusement, on s’efforce de présenter le Venezuela et la Bolivie, qui ont institué les referendums révocatoires, comme des pays antidémocratiques.
 
De plus en plus, on assiste à une véritable « monarchisation » du pouvoir. Une fois aux commandes, les dits représentants du peuple sont abusivement sacralisés et comblés de privilèges. Leurs proches sont associés au pouvoir. Les « premières dames » interviennent en diplomatie, et les médias nous appellent à nous intéresser au  « first dog » de la Maison Blanche !!
 
La société ne peut plus se satisfaire de cette conception mythique de la démocratie, celle qui est inculquée sur les bancs de l’école, où l’on apprend à admirer le modèle grec : Une démocratie qui excluait les masses de métèques et d’esclaves ! On ne peut se satisfaire non plus des caricatures de démocratie participative consistant à réunir les gens pour entendre leurs doléances, l’air compatissant, pour ensuite mettre en pratique sans le moindre aménagement, les politiques décidées unilatéralement au sommet de la hiérarchie.
 
Personne ne peut contester l’énorme coupure existant entre, d’une part, la majorité des populations et, d’autre part, les élus et les institutions politiques. Le sentiment de ne pas être entendu en haut lieu, la multiplicité et la médiatisation des différentes affaires sont des éléments qui l’expliquent. Mais, plus fondamentalement, c’est le modèle imposé de démocratie représentative qui montre ses limites parce qu’il ne permet pas de répondre avec justice aux questions de l’exercice du pouvoir.
 
Les débats qui s’imposent aujourd’hui traduisent bien ces limites.
 
- A la nécessité de juste représentation des minorités que permettraient les élections avec scrutin à la proportionnelle, on oppose la nécessité de la stabilité portée par le scrutin majoritaire.
 
- De nombreuses autres questions montrent bien la nécessité de profondes remises en cause :
 
Nous pensons au statut des élus, à leur contrôle, au cumul des mandats, à la possibilité de votes multiples par un même élu, au retour aux postes de commande d’élus ayant été condamnés pour corruption, etc.
 
Construire une véritable démocratie demande de repenser les institutions et de garantir réellement l’exercice de la souveraineté populaire. La première exigence est de développer des espaces où les gens débattent en connaissance de cause des sujets qui les concernent et où ils ont le pouvoir de faire des choix appelés à être respectés. La pratique des référendums d’initiative populaire doit devenir autre chose que la recherche d’alibis et se traduire par le contrôle de pouvoirs réels. Les exceptions conférant aux gouvernements des pouvoirs incontrôlés doivent être abolies.
Un exemple : le nucléaire militaire français représente 1/3 du budget de l’éducation nationale, pourtant, il n’est pas discuté à l’Assemblée Nationale sous le prétexte du « Secret défense » ! Toujours concernant le nucléaire, la population n’a pas son mot à dire quant à l’implantation des centrales civiles et quand elle organise des manifestations de protestations civiques, elle est souvent réprimée. Quand on se rappelle les conséquences de l’accident de Tchernobyl – les autorités avaient déclaré, sans rire, que le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière - quand on suit ce qui se passe à FUKUSHIMA, on ne peut douter que, les peuples, exerçant leur souveraineté par voie de référendum, feraient des choix totalement différents de ceux des gouvernants, faisant ainsi prévaloir leur sécurité sur les intérêts des lobbies.
 
En fait, la vraie démocratie ne peut se concevoir sans le pouvoir pour les gens de décider de ce qui concerne leur propre vie, par exemple pour l’aménagement de leur quartier.
 
Alors, bien sûr pour que cela fonctionne, les « citoyens » doivent, impérativement, disposer d’éléments d’information et de connaissances fiables concernant les sujets sur lesquels ils ont à se prononcer et concernant les domaines dans lesquels ils doivent agir. Ce qui pose la question de l’accès à l’éducation, à l’information et aux connaissances. Et cela c’est une condition fondamentale de l’avènement d’une démocratie véritable.
 
La Martinique aurait-elle connu le scandale de la CHLORDECONE, si la population, informée de son interdiction en France et des dégâts causés aux USA, avait été consultée par voie référendaire ?
 
 Or, on ne peut nier que l’essentiel des informations et des explications qui sont diffusées dans la société, dans tous les domaines nécessaires à une compréhension scientifique de la politique (Histoire, économie, relations internationales, etc.), sont triées et manipulées par ceux qui sont au service des maîtres du monde. Exemples : les raisons du déficit de la sécurité sociale, les solutions au financement des retraites, les raisons de la pauvreté des pays du tiers-monde, etc. »
 
Les puissances financières qui contrôlent les médias et se battent pour la marchandisation du savoir, les gouvernements qui veulent une société encadrée, sont loin d’être prêts à accepter que le contenu de l’information et de l’enseignement servent à consolider les bases d’une vraie démocratie.
 
La deuxième des conditions pour l’impulsion de la vraie démocratie, c’est la mise sur pied de structures fonctionnelles au niveau local et la mise à disposition de logistiques (par exemple en mettant fin au refus de l’accès aux salles publiques pour l’organisation d’activités politiques).
 
C’est enfin l’association effective des populations aux plans d’action (par exemple en matière de risques majeurs, de sécurité ou de santé.)
 
A ce niveau, il nous semble intéressant de jeter un regard sur l’expérience des Comités Populaires que nous avions initié dans le cadre du mouvement « ASE PLERE ANNOU LITE ». Ils se voulaient, justement, une alternative par rapport à la conception occidentale des partis politiques. L’idée était de créer des espaces où la population, au-delà des clivages traditionnels, pouvait agir ensemble autour de quatre axes majeurs :
 
« Unir le peuple »,   « Préparer la souveraineté », « Commencer à résoudre nos problèmes »,     « Organiser et soutenir les luttes populaires ». Des objectifs que des gens, que nous disons malintentionnés, présentaient comme du populisme. Nous n’aurons pas le temps ici de tracer un tableau des expériences extraordinaires qui ont pu être menées dans ce cadre là. Mais nous pouvons dire qu’effectivement on a pu voir la population, engagée dans cette dynamique, devenir actrice des avancées, confortant l’idée que la démocratie directe est un atout incontournable pour la résolution des problèmes et pour son émancipation.
 
Ceci dit, les observateurs attentifs auront noté que depuis quelques temps, le CNCP, qui à l’origine était conçu comme l’expression exécutive de la volonté des comités populaires (rappelons que le sigle signifie Conseil National des Comités Populaires) fonctionne actuellement comme une direction de parti politique traditionnel, remettant objectivement en cause les bases de la démocratie qu’il entendait construire. Le résultat de cette nouvelle orientation est que l’initiative des structures de base s’éteint. Mais nous sommes confiants dans la capacité des militants à ramener le bateau dans la bonne direction, notamment lors de l’assemblée générale des Comités Populaires qui reste l’instance décisive de l’organisation.
 
Pour ce qui nous concerne, nous restons fidèles à l’idée qu’inféoder le rôle des peuples au pouvoir des représentants est aux antipodes de la démocratie véritable.

Quelles leçons tirer de cette expérience ?
 
- D’abord, qu’aucune déclaration d’intention, qu’aucun statut ou qu’aucun règlement ne suffisent à garantir le développement d’une ligne démocratique au sein d’une quelconque organisation.
 
 - Deuxièmement que, faute d’une vigilance active quant au respect des orientations politiques, faute d’un processus régulier de contrôle des responsables, les plus riches des initiatives peuvent être chloroformées par la routine.
 
Sans aucunement remettre en cause le rôle que doivent jouer les « éclaireurs de consciences », d’autres diront les « avant-gardes », nous entendons réaffirmer ici, qu’aucune réponse aux problèmes qui gangrènent la société ne peut être portée en dehors de l’organisation et de l’engagement conscient des peuples.
 
Enfin, édifier une vraie démocratie demande que soient revisitées les conceptions unilatéralement imposées par une civilisation qui se prétend supérieure, dans le cadre d’une société où les institutions garantissent les intérêts de classes dominantes. Cela demande aussi que nous nous penchions sur les expériences menées par nos aïeux et par les autres peuples du monde.
 
- Thierry Joseph-Angélique, Délégué du Comité Populaire Nord-Atlantique, Martinique. Intervention présentée a la Colloque «Pouvoir et démocratie », vendredi 11 novembre 2011, Salle de la Mutualité Fort-de-France.

 

https://www.alainet.org/fr/active/50869

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