L’impératif de s’engager dans le combat pour la promotion et la défense du droit a la communication en Haïti

07/11/2011
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Extrait du texte intitulé « Un chauffeur fasciné par le rétroviseur », contenu dans l’ouvrage sur « les 100 premiers jours de MARTELLY », paru le 31 aout dernier aux éditions C3group
 
(…)
 
Motivées par le désir de changement, les forces sociales se sont à maintes reprises mobilisées en quête de changement. C’est bien ce mot-là qui a animé la campagne de Martelly et qui a fait sortir des campagnes, des faubourgs et des villes, des dizaines de milliers de personnes qui ont voté (dans les conditions controversées que l’on sait) en sa faveur, en dépit du fort taux d’abstention enregistré [1]. Consciemment ou inconsciemment, ces gens-là s’attendent assurément à ce que le changement ne soit pas qu’un slogan, un vocable creux sans connexion avec la réalité.
 
Le discours du changement, tel que porté durant les 25 dernières années par les mouvements sociaux se réfère carrément à la transformation en profondeur d’un système dépassé, qui fait l’affaire d’une minorité et qui est incapable de répondre aux desiderata de la majorité de la population.
 
Les militants des années 1980 et 1990 pointaient du doigt ce qu’ils appelaient un système d’exclusion et d’exploitation, établi peu de temps après l’indépendance (1804) et qui continue aujourd’hui encore de mettre, entre autres, hors de la scène politique, la majorité de la population, contrainte d’entretenir un État qui ne lui sert a rien, un État réduit à sa plus simple expression, qui sert les intérêts particuliers, ceux de petits groupes, de clans, d’organisations ou de pays étrangers.
 
Ces luttes ont exploré tous les recoins et toutes les générations de droits humains : les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels… En dehors de douloureuses parenthèses d’autoritarisme, ces combats ont pu consacrer les libertés démocratiques, sans pouvoir cependant imposer concrètement les normes liées au respect des droits économiques, sociaux et culturels.
 
De ce point de vue, il s’agit d’une lutte à approfondir. Or, c’est ce mouvement même, parti de 1986, que le chef de l’État s’acharne, en quelque sorte, à remettre en cause, quand il circonscrit les maux du pays aux 25 dernières années. A cet égard, quel sens revêtent les concepts « ordre » et « discipline » contenus dans son discours d’investiture, prononcé sur un ton extrêmement énergique et truffé de mises en garde. On se croirait revenu au gouvernement dirigé par le général Henry Namphy à la chute de la dictature des Duvalier le 7 février 1986.
 
L’ordre en question, serait-il l’ordre autoritaire du « koko makak » [2] qui a cru pouvoir faire fléchir l’ensemble des couches sociales, jeter en prison, assassiner ou contraindre à l’exil les rebelles et faire régner sur le pays une paix de cimetière ?
 
Echos d’un passé révolu
 
Voilà des échos lugubres attachés à l’« ordre » et la « discipline » d’avant 1986, étape décisive d’une importante œuvre collective d’éducation populaire, de sensibilisation, de conscientisation et de mobilisation, qui a touché les campagnes les plus reculées comme les villes.
 
Faut-il voir en l’arrivée de Martelly au pouvoir l’aboutissement de l’opération qui a été formellement lancée avec le coup d’état militaire du 30 septembre 1991, dont le but ultime était de casser le grand élan démocratique qui avait amené une large coalition de secteurs divers à l’accession au pouvoir lors des élections de décembre 1990 ?
 
On se rappellera que, dans le contexte international de la chute du mur de Berlin (1989) suivi de trois années de répression et d’un embargo douloureux (sélectif), le mouvement démocratique et populaire, privé de ressources humaines précieuses, passées par les armes ou obligées de s’expatrier, a été mis en déroute.
 
Le retour à l’ordre constitutionnel, réclamé par la résistance, a été accompagné, en 1994, d’une nouvelle occupation militaire américaine approuvée par le pouvoir en exil. Ce dernier s’est également engagé à accepter l’orientation économique extrovertie combattue par les mouvements sociaux depuis la révolte populaire de 1986.
 
Les assauts répétés subis par ces mouvements ainsi que des opérations de dévoiement des militants par l’argent et le clientélisme dans des conditions de précarité grandissante, ont certes sérieusement modifié les rapports de forces et enlevé l’hégémonie du processus social aux forces progressistes. Mais l’attachement aux valeurs de démocratie et de justice sociale ne cesse d’être revendiqué, aussi bien par de jeunes organisations que par des structures qui datent des années 1980. Cependant, ceci ne signifie nullement que les acquis démocratiques sont irréversibles.
 
(...)
 
Quel sort est-il réservé aux acquis démocratiques ?
 
Les trois mois au pouvoir de Michel Martelly nous rappellent à quel point la tradition autoritaire a la vie dure. Si on n’y prend garde, on risque un brutal retour en arrière. Il n’y a qu’à considérer les nombreuses controverses qui ont marqué les rapports de la nouvelle présidence avec la presse, sans compter les « leçons » que le chef de l’État se sent en droit de prodiguer aux journalistes.
 
De l’appel au peuple, lorsqu’il était coincé par les questions pertinentes des journalistes durant le débat du Groupe d’Information en Affaires Publiques (GIAP) [3], au fameux « taisez-vous », approuvé par l’assistance lors du « lancement » de la revue touristique « Magic Haiti », le candidat devenu président a conservé un ton qui ne saurait mettre les journalistes et les secteurs démocratiques en confiance.
 
Les réactions étaient unanimes à relever « un mauvais état d’esprit de la Présidence de la République vis-à-vis de la presse et la façon dont les journalistes font leur travail », comme l’a souligné le journaliste Hérold Jean-François dans un éditorial. « La liberté d’expression est un acquis garanti en plus par la Constitution en son article 28. Tout Haïtien peut s’exprimer en toute matière par la voie qu’il choisit », a-t-il rappelé. Il a souligné à l’attention du président (qui souhaite « vendre » une bonne image d’Haïti en vue d’attirer les touristes), que « si la presse haïtienne serait incapable d’informer adéquatement la population haïtienne et le reste du monde sur nos pesanteurs et nos blocages, la presse étrangère se chargera de le faire à notre place ». [4]
 
Pour sa part, le Secrétaire général de l’association des journalistes haïtiens (AJH), Jacques Desrosiers, a rattaché le « taisez-vous » de Martelly à une série de comportements observés et de propos tenus depuis la campagne électorale. Il a convié les journalistes « à ne pas se laisser intimider dans la pratique professionnelle et responsable de leur métier d’informer la population ». Il leur a également rappelé que « la liberté de la presse n’est pas un cadeau, mais un acquis au prix de grandes luttes et de grands sacrifices ».
 
Les confrères et consœurs ont bien raison de mettre en perspective ce qui se dessine sous nos yeux et qui n’est pas réjouissant. Les autres secteurs de la société doivent eux aussi se montrer clairvoyants et percevoir de très tôt des dérives qui pourraient être fatales pour la cause de la démocratie.
 
Paradoxalement, il faut l’admettre, le pouvoir de Martelly pourrait contribuer à donner un certain élan à la communication politique et l’utilisation des nouvelles technologies, tout au moins dans les milieux médiatiques. D’une administration silencieuse, nous sommes passés à une équipe présidentielle qui tente de mettre à contribution les outils technologiques et les réseaux sociaux pour faire circuler l’information officielle.
 
Toutefois, la présidence devrait savoir que la fonction de communication présidentielle ne pourra jamais remplacer la responsabilité des journalistes et médias dans l’information libre de la population. Ces derniers ont pour tâche, dans le présent contexte de toutes les urgences, de fournir des informations indépendantes qui aident à la prise de décision conséquente, favoriser un ample débat sur des choix stratégiques, prendre en compte la nécessité d’une relance de l’éducation civique et populaire, créer un relais entre la mémoire et l’instant, contribuer à la plus grande vigilance des citoyennes et citoyens.
 
D’où l’intérêt pour les citoyens de tous les secteurs de s’impliquer consciemment dans la promotion et la défense intégrale de la liberté d’expression, pierre angulaire de toutes les libertés. La bataille de la liberté d’expression est celle de tous les démocrates et progressistes. Il en est de même de la défense et de la promotion de l’ensemble des droits reconnus par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948.
 
L’actuel pouvoir, saura-t-il comprendre que depuis des décennies, ce qui tenaille la société haïtienne, c’est la demande d’un État capable de garantir le respect total des droits et de garantir à la population un accès équitable aux biens et services ?
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/50723
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