Argentine pré-électorale

«En conquérant les campagnes, nous avons regagné le peuple»

20/10/2011
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La réélection de la présidente Cristina Fernández de Kirchner paraît assurée. Son secrétaire à l’Agriculture familiale Guillermo Martini y voit l’effet des avancées sociales et du soutien de la paysannerie.
 
Le 23 octobre prochain, les citoyennes et les citoyens argentins se rendront aux urnes pour les élections présidentielles et législatives. Si la tendance observée lors des primaires du 14 août passé se confirme – où elle a récolté 50% des votes –, l’actuelle présidente Cristina Fernández de Kirchner sera réélue au premier tour. Cela s’inscrirait dans la continuité non seulement de son premier quadriennat de gouvernement, mais également des huit années du projet «kirchneriste», ce qui inclut le mandat de son époux, l’ex-président Nestor Kirchner, décédé en 2010. Comment expliquer ce probable succès, alors qu’il y a à peine trois ans le pays voyait se soulever d’importantes couches de la société rurale contre les projets gouvernementaux? L’ingénieur agronome Guillermo Martini, actuel sous-secrétaire national à l’Agriculture familiale, estime que le gouvernement a su reconquérir patiemment ces régions naguère agitées par la propagande des agro-industriels.
 
De la crise des zones rurales de 2008 à une réélection presque assurée... Quel changement de panorama!
 
Guillermo Martini: Lors de cette crise, la nouvelle présidente – qui venait d’être élue avec 47% des votes – avait tenté d’appliquer un système de droits flexibles sur l’exportation des céréales. En résumé, il s’agissait d’augmenter les impôts sur les exportations pour renforcer les programmes sociaux. Les puissants secteurs de l’économie et leurs représentations politiques ont trouvé ainsi le prétexte qu’ils cherchaient pour freiner la politique de développement national du gouvernement, qui passe par la redistribution des revenus générés par la croissance.
 
La campagne de dénigrement mise sur pied par les grands médias a eu un certain succès. Les blocus de routes, les pénuries alimentaires dans les villes, les menaces et les agressions directes étaient alors monnaie courante. Une opération orchestrée par la partie la plus conservatrice de l’agro-business argentin, héritière de la vieille oligarchie foncière et défenseure des dictatures militaires.
 
Le gouvernement n’avait-il pas commis des erreurs?
 
Oui, des erreurs politiques et de communication. Le gouvernement a temporairement perdu la bataille idéologique, c’est-à-dire la mobilisation dans la rue et l’initiative politique, marques distinctives traditionnelles du péronisme(1). Les secteurs conservateurs sont parvenus à s’approprier l’imaginaire historico-émotif du peuple argentin. Les mobilisations et les blocus de routes étaient envahis de drapeaux argentins, l’hymne national se chantait en permanence, on déployait des images de la Vierge Marie, etc. «Nous sommes tous la campagne» a été le slogan adopté, même par certains secteurs urbains.
 
Comment cette situation s’est-elle finalement inversée?
 
Il y a eu différents facteurs. Dans les régions rurales, le gouvernement a créé des espaces institutionnels spécifiques en soutien aux petits et moyens producteurs – dont beaucoup avaient appuyé les grands exportateurs dans la crise, ce qui était une attitude qui allait à l’encontre de leurs véritables intérêts. En parallèle et très rapidement, le redressement de la production et l’augmentation du pouvoir d’achat général de la population ont atteint les campagnes, avec des mesures redistributives de grand impact social. Parmi elles, l’augmentation du salaire réel, l’assignation universelle (sorte de subside aux mineurs en âge de scolarité), le plan de retraites pour les personnes qui n’ont pas cotisé, l’augmentation significative des rentes, ou encore un appui décidé aux productions régionales. Tout cela, dans un nouveau climat de dialogue, a permis de désarmer cette tentative de «coup d’Etat» contre la présidente, et de reconduire à une situation favorable que signalent les sondages actuels.
 
Et qui s’est exprimé d’une certaine manière dans les primaires du 14 août?
 
En effet. Ce processus d’élections primaires ouvertes et obligatoires qui a été mis en place pour la première fois en Argentine, et qui est presque une première dans le continent latino-américain, consolide des formes effectives de démocratie directe. Et montre, en plus, un fort appui du monde rural à l’actuel modèle de production diversifiée et intégrée nationalement.
 
Comment mesurez-vous cet appui?
 
Deux chiffres que je considère comme indiscutables. Dans les régions à économies régionales, c’est-à-dire productrices d’aliments pour la consommation locale, la présidente a obtenu une moyenne de 65% des votes. Dans les régions de la pampa humide (zone traditionnelle de l’agro-business exportateur, ndlr), elle a été soutenue par au moins 40% des voix. Et au niveau général, j’aimerais souligner que le résultat de 50,21% de la présidente a laissé loin derrière les autres candidats: le dirigeant du parti radical Ricardo Alfonsin a obtenu 12,2%, l’ex-président péroniste dissident Eduardo Duhalde 12,1% et le candidat social-démocrate Hermes Binner autour de 10%.
 
Est-ce qu’existent aujourd’hui de nouveaux autres acteurs sociaux ruraux progouvernementaux?
 
Le Courant agraire national et populaire (CANPO) né en 2008 se développe rapidement. Ses positions sont proches de celles du gouvernement, mais il apporte ses propres initiatives et propositions. En un mot, ce mouvement enrichit le débat national du secteur. Il est formé de milliers de producteurs, d’intellectuels, d’enseignants, de chercheurs et de fonctionnaires. Lors de son acte de création, plus de 12 000 participants ont remis au gouvernement des propositions pour une nouvelle ruralité. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un projet qui cherche à dépasser le rôle historique de l’Argentine comme simple producteur de matières premières et de céréales de base, pour transformer le pays en un producteur d’agro-aliments, avec de la valeur ajoutée dans le pays même. Un projet basé sur la création d’emplois et le développement local qui cherche à résoudre en même temps les besoins alimentaires de la population, de l’Amérique latine et du monde, tout en garantissant cette valeur ajoutée dont on ne peut se passer. Ce projet est parfaitement réalisable, si l’on pense que le PIB agricole a augmenté de 320% entre 2002 et 2010, et que la récupération soutenue du secteur a permis de passer de 14 millions d’hectares hypothéqués dans les zones rurales lorsque Nestor Kirchner est arrivé au gouvernement, à à peine 600 000 aujourd’hui. Cela indique à quel point le secteur s’est renforcé. Nous avons laissé derrière nous les terribles années de désintégration de l’époque néolibérale des dernières décennies du siècle passé.
 
Pourtant, certaines voix s’élèvent également pour critiquer le gouvernement, en affirmant que, à la recherche de rentrées fiscales, ce dernier favoriserait les grands secteurs de l’agro-exportation avec des conséquences écologiques néfastes pour les sols et la biodiversité.
 
La situation de concentration économique et son impact sur l’environnement, produits par l’agro-industrie  sont réels. Le modèle technologique dominant – utilisation intensive de produits chimiques, d’OGM et mécanisation – a eu de graves conséquences sur les plans sociaux et écologiques (exode rural, déforestation incontrôlée, pollution). Freiner cette situation et l’inverser passe par la création de limites légales à ce modèle et par l’approfondissement de celui d’une agriculture familiale productrice nette d’aliments dans un schéma écologique soutenable, basé sur une main-d’œuvre locale avec valeur ajoutée à l’origine. C’est ma tâche comme sous-secrétaire. Dans ce sens, nous travaillons également à une loi des terres, à une autre sur le fermage et à des lois d’utilisation des sols et de planification territoriale.
 
Mais nous devons aussi travailler de façon participative. Le gouvernement a donc convoqué l’ensemble des secteurs concernés du monde rural pour discuter et élaborer le Plan stratégique agroalimentaire et agroindustriel 2010-2020. C’est un processus de consultation riche et complexe, puisqu’il regroupe les provinces, 53 universités, 140 chambres du commerce, 300 représentants du secteur économique et social, les femmes rurales, des écoles d’agriculture, etc.
 
Un militant au gouvernement
 
A 58 ans, Guillermo Martini, ingénieur agronome et Master en sciences sociales spécialisé dans les études agraires, est l’expression d’une génération de militants politiques et sociaux persécutés lors des dictatures, exclus durant les gouvernements néolibéraux, et protagonistes à part entière depuis l’arrivée de Nestor Kirchner au gouvernement en 2003. Encore adolescent, celui qui est aujourd’hui sous-secrétaire de l’Agriculture familiale, a commencé sa militance au sein de la Jeunesse universitaire péroniste (JUP) à l’Université nationale de Rosario. Prisonnier politique sous la junte, il a connu durant ses cinq années de détention les prisons de Rosario, Coronda et La Plata. Durant cette période, il perd un frère également militant, assassiné par la dictature. Sa liberté à peine retrouvée, il retourne à son engagement militant politique et social. La nouvelle étape qui s’ouvre avec l’arrivée de Cristina Fernández au gouvernement lui permet d’assumer différentes fonctions publiques. D’abord au Ministère du travail et à l’Institut des coopératives, puis au Ministère de l’agriculture, d’où il participe activement, en tant que fonctionnaire-militant, à la coordination nationale du Courant agraire national et populaire. (Sergio Ferrari)
 
·         Sergio Ferrari, en collaboration avec Le Courrier
Traduction Mathieu Glayre
 
(1) Courant politique nationaliste duquel est issue la présidente.
https://www.alainet.org/fr/active/50302
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