Gestion participative: comment voir plus grand après Porto Alegre
29/08/2011
- Opinión
Porto Alegre, au sud du Brésil, est la ville symbole du renouveau démocratique du pays, même si le défi du renouvellement de la gestion participative se situe aujourd'hui au plan régional. Tarso Genro, ancien maire de Porto Alegre, a en effet été élu gouverneur de l'Etat du Rio Grande do Sul, dès le premier tour, en octobre 2010, avec la promesse de mettre la démocratie participative au cœur de sa politique. Il est en train de transformer cet Etat de 280.000 km2 et 10 millions d'habitants en un grand chantier de participation citoyenne.
La gestion de la participation populaire à Porto Alegre a débuté après la dictature, entre 1989 et 2004, grâce à la nouvelle constitution. Les gouvernements locaux se sont alors engagés à développer la démocratie participative, à travers la participation directe des citoyens dans leurs décisions. A cette époque, la municipalité était très endettée, les ressources issues de la fiscalité municipale étaient destinées au paiement du personnel, embauché par l'équipe précédente et comprenant beaucoup d'emplois fictifs. Par ailleurs, le contexte national n'était pas favorable, le Brésil étant sous la contrainte des ajustements structurels imposés par le FMI et la droite au pouvoir.
Dans ce contexte, les expériences de gestion participative à Porto Alegre n'ont pas été un long fleuve tranquille... Il y a eu beaucoup de résistances des secteurs conservateurs de la société. Porto Alegre est une ville assez traditionnelle, où le Parti des travailleurs (PT) n'avait pas de majorité pour gouverner et devait affronter une presse loin de lui être conquise. D'autres expériences de ce type ont été mises en place au Brésil dans des villes aussi importantes que Porto Alegre, comme Fortaleza, Belo Horizonte, Sao Paulo ou encore Belém. Toutes les villes brésiliennes qui ont mis en place «le mode pétiste» (du Parti des travailleurs, ou PT) de gouvernement ont été confrontées aux mêmes difficultés et à cette problématique: comment articuler démocratie représentative et démocratie participative dans un pays aussi vaste?
Le Brésil est un Etat fédéral comptant de multiples centres de pouvoir et un système complexe d'interdépendances politiques et financières, entre différentes sphères, gouvernementales, non gouvernementales, multilatérales. L'organisation politique et administrative est un emboîtement de l'Union des Etats, du District fédéral et des «Municipalités», tous autonomes selon la Constitution. A chaque niveau, sont présents les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. On compte 5507 municipalités, dont les maires, vices-maires et conseillers sont élus au suffrage universel.
Cependant, Porto Alegre va se différencier par la durée des mandats de la gauche et par la mise en place du budget participatif. (En portugais, on dit orçamento participativo, généralement désigné par ses initiales OP.) Le budget participatif est un instrument de redistribution, la société civile discute et décide la réalisation des travaux et des services prioritaires pour la ville. Il n'y a pas ici de modèle unique, la méthodologie varie selon la municipalité. A Porto Alegre, la participation est organisée à partir d'une division territoriale de la ville en seize secteurs. Des réunions ouvertes à tous ont lieu par quartier pour l'élaboration des projets des habitants, sans contrôle du pouvoir politique. Ensuite, les assemblées plénières de chaque secteur élisent des délégués qui élaboreront, pour chaque secteur, la liste des projets et leur priorité. Par ailleurs, des réunions thématiques par quartiers puis à l'échelle de la ville sont organisées.
Bâtir un budget participatif demande aussi une très grande connaissance de fonctionnement d'un budget public et une certaine rigueur, et il n'est pas possible d'accumuler des demandes issues d'un débat participatif et les laisser sans réponses ou floues.
Raul Pont, aujourd'hui député et président du PT, est lui aussi ancien maire de Porto Alegre. Pour lui, les premières expériences de gestion participative par le PT ont livré plusieurs enseignements. Le premier pourrait se résumer comme étant le fruit d'une belle bataille et d'une victoire de la citoyenneté politique, du renouvellement démocratique, d'une meilleure qualité de vie et du développement de la ville. Cependant, ce modèle «petiste» ne pouvait rester isolé du contexte socio-économique dans lequel s'est trouvé le Brésil jusqu'aux années 2000: croissance des inégalités, du chômage, de la corruption, soumission du pays aux ajustements structurels imposés par le FMI. Défenseur intransigeant de la démocratie sociale et citoyenne, Raul Pont rappelle que le PT a eu la volonté politique de radicaliser la démocratie, dans un sens où la participation populaire lui a donné de la vitalité et a permis aux habitants de cette ville d'obtenir de meilleures conditions de vie. Cette option politique a également donné un autre développement urbain à Porto Alegre. Le budget public participatif était l'instrument de la souveraineté populaire.
Pluriel, le Parti des travailleurs a toujours abrité plusieurs tendances. Nombreux sont ceux qui ont quitté son aile la plus radicale et créé d'autres partis politiques. Plusieurs courants de gauche y demeurent encore, tels que «Construisons un nouveau Brésil», «Démocratie socialiste», «le travail, PT luttes de masses». Ils ont chacun une approche différente sur la façon de mettre en place la participation populaire. Les maires qui se sont succédé à Porto Alegre sont issus de tendances différentes. Ainsi l'actuel élu, José Fortunati, a quitté le PT pour le PDT, un autre parti de gauche qui fait partie du front de gauche allié. Tous ont un grand attachement à la participation populaire pour revigorer la politique: la relation entre l'Etat et les groupes de citoyens organisés, la société civile, est un acquis fondamental pour donner plus de sens à la politique, pour que la soif de participation reste intacte.
Le temps passant, ne s'était-elle pas fragilisée? L'échec électoral du PT à Porto Alegre en 2004 n'a pas empêché la population, qui jouait un rôle actif dans le budget participatif, d'obtenir du gouvernement de l'Etat le maintien de l'expérience de démocratie participative...
Et l'on pouvait encore constater la vivacité de la participation au cours d'une réunion plénière lors de l'assemblée législative, qui a réuni plus de 1000 personnes ce printemps: le maire de Porto Alegre, les conseilleurs municipaux, les secrétaires d'Etat, les conseilleurs sectoriels, les représentants des associations, les délégués. Le Plan d'investissements pour la santé et l'assistance sociale y a fait l'objet d'une vivante discussion. Une partie du public est resté débout par manque de place.
Mais est-ce que la portée politique de la démocratie participative au plan local est valable à toutes les échelles ? Il est trop tôt pour évaluer les actions du gouvernement de l'Etat, Tarso Genro et son gouvernement n'étant entrés en fonction qu'en janvier. L'Etat est en train d'articuler les différentes instances du pouvoir avec les formes de participation virtuelles, avec la création du Portal da cidadania, un site ouvert de consultation et d'expression citoyenne, ou plus traditionnelles, avec la mise en place de plusieurs séminaires dans toutes les régions de l'Etat. Tout citoyen peut ainsi suggérer des priorités au gouvernement. Etape suivante, un grand séminaire doit permettre d'élaborer le Plan d'investissements participatif. Ce travail commencé en mai se terminera en août.
Alors que la démocratie participative prend ses racines au plan local, le dialogue permanent de l'Etat avec la population vient à peine de débuter avec la réactivation du Corede (Conseils régionaux de développement) et la création du Cdes (Conseil de développement économique et social) qui compte une centaine de personnes représentatives. Le premier conseil a été créé par Olivio Dutra (PT) lorsqu'il était gouverneur. Les vingt-huit microrégions de l'Etat seront consultées à travers la réalisation de séminaires régionaux.
La proposition de budget participatif sera envoyée au mois d'août à l'assemblée législative pour être votée. Tout est en train de s'organiser...
La proposition de budget participatif sera envoyée au mois d'août à l'assemblée législative pour être votée. Tout est en train de s'organiser...
- Marilza de Melo Foucher est économiste, consultante pour la coopération internationale et le développement. Franco-Brésilienne, elle contribue régulièrement à Mediapart à travers son blog. A l'occasion d'un long séjour dans son pays d'origine, elle réalise pour Mediapart une série d'articles sur la démocratie brésilienne, six mois après l'entrée en fonction de Dilma Roussef, première femme à diriger le pays.
https://www.alainet.org/fr/active/49032
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