Révolte et interrogations après le retour de Duvalier

18/01/2011
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Le retour du dictateur Jean Claude Duvalier en Haïti le 16 janvier, environ 25 ans après son départ pour l’exil en France le 7 février 1986, suscite la révolte et beaucoup d’interrogations dans plusieurs secteurs.

Certaines personnes, jointes par AlterPresse, déclarent ne pas afficher d’hostilité vis-à-vis du retour en lui-même, mais condamner la manière dont cela s’est produit.

« Fondamentalement, Jean Claude Duvalier devrait rentrer au pays depuis longtemps, extradé par la France sur demande des autorités haïtiennes et emprisonné pour tous les crimes commis et tous les biens volés », juge Arnold Antonin qui affirme qu’ « il n’y a pas de problème » en ce qui a trait au retour en tant que tel.

Le cinéaste confie en revanche son « indignation » vis-à-vis de l’accueil offert à Jean Claude Duvalier à son arrivée dimanche soir 16 janvier 2011 à l’aéroport Toussaint Louverture. Baby Doc a bénéficié d’une escorte policière digne des hauts dignitaires sans compter les vivats d’une foule postée aux alentours.

« C’est un camouflet » à l’égard de toutes les victimes du régime Duvaliériste, martèle Antonin citant, entre autres, le grand écrivain Jacques Stephen Alexis, assassiné en 1961, et le militant Alix Lamauthe, exécuté en 1968.

Robert Duval est l’une de ces victimes, mais lui, encore en vie, avoue être incapable de « digérer » la nouvelle. Enfermé durant des mois à Fort Dimanche, il dit accueillir ce retour avec un sentiment d’ « énervement ».

« L’horreur, c’est que j’étais en prison sous Jean Claude Duvalier…En 1976, ils sont venus, ils sont entrés dans mon entreprise, dans mon bureau et m’ont emmené aux Casernes Dessalines. De là j’ai passé 17 mois, puis, sous des accusations fallacieuses, ils m’ont condamné et envoyé au Fort Dimanche », se rappelle t-il.

Duval passera 18 mois dans ce que les prisonniers de l’époque appelaient « l’enfer des hommes ». Selon lui il n’y avait pas de condamnation formelle, seuls les tortionnaires décidaient.

« Et ils vous envoyaient végéter à Fort Dimanche pour disparaitre. Parce que, quand on vous envoie à Fort Dimanche, c’est comme si on vous condamne à mort…et chaque jour deux ou trois personnes mouraient », rapporte t-il.

50.000 personnes ont été ainsi assassinées, selon lui, entre 1971 et 1986, période du règne de Jean Claude Duvalier.

Pour le fondateur de l’organisme de sport Athlétique d’Haïti, le régime des Duvalier était synonyme de répression politique mais aussi économique.

« C’est lui qui a établi des accords avec les institutions internationales qui ont permis d’ouvrir le pays…à la destruction économique », et « quand il est parti en 1986, c’était un soulagement pour tout le monde, parce qu’on n’en pouvait plus ni politiquement ni économiquement », souligne t-il.

L’ultime coup de poker de Préval ?

Le retour de Jean Claude Duvalier soulève par ailleurs beaucoup de questions et les premières réponses recueillies par les médias pointent toutes pour l’instant en direction du gouvernement haïtien et des pays dits « amis » comme la France.

« Nous sommes dans une situation déjà très chaotique et cela a mis de l’huile sur le feu. Il y a une main qui manipule tout ceci, ce n’est pas un hasard », croit Gerald Mathurin, ancien ministre de l’agriculture durant le premier mandat de Préval (1996-2001).

Pour Mathurin, qui dirige la Coordination des Organisations du Sud Est (CROSE), le gouvernement et la communauté internationale « sont parties prenantes » dans l’affaire, avec un éventuel « plan [de] brouiller davantage les cartes par rapport aux résultats des élections » contestées du 28 novembre 2010.

Chavannes Jean Baptiste, leader du Mouvement des Paysans de Papaye (MPP), va dans le même sens et souligne l’opacité de ce retour surprise.

« C’est une façon de détourner l’attention du peuple de Préval et de son gouvernement, de son CEP et des élections…pour nous la priorité ce n’est pas le retour de Jean Claude Duvalier, mais la résolution des problèmes politiques du pays », martèle Chavannes Jean Baptiste.

Arnold Antonin qualifie pour sa part ce retour de « diversion ». « Cela montre qu’Haïti marche à reculons », qu’« il n’y a pas eu de transition démocratique, mais une continuité dans le Duvaliérisme sous d’autres formes », soutient-il, critiquant les politiciens haïtiens.

« Depuis son départ en 1986, nous pensions que le pays allait aller de l’avant, mais nous sommes entrés dans une crise sans fin, ce qui fait qu’historiquement nous avons fait marche arrière », souligne Robert Duval.

Ce retour signifie « au niveau symbolique [que] nous sommes une nation qui ne peut pas trouver sa voie. Les contradictions sociales sont tellement aiguës…c’est la faiblesse des organisations progressistes qui a permis un retour aussi grave », regrette Duval.

www.alterpresse.org

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