Sécurité!…ééé. Sécurité!...oui, oui, oui.
18/12/2010
- Opinión
– “Bonjour voisine. Comment allez-vous? Qu’est-ce qui se passe?” – Je suis préoccupée par la sécurité parce qu’il y a beaucoup de délinquance. Regardez ces enfants qui passent toute leur journée à demander de l’argent aux voitures en tendant la main et en plus, ils sont sales et ils volent.
“- Vous les avez vus voler?... – Non, mais on m’a raconté qu’il y a beaucoup d’insécurité dans le quartier. Près d’ici, il y a un bidonville où chaque jour arrivent beaucoup de personnes de l’intérieur du pays et même des pays limitrophes”.
C’est ainsi que la xénophobie et la discrimination se manifeste à tout moment et créent des affrontements pauvres contre pauvres.
Dans le haut du Parc Indo-américain au bidonville Soldati, au début et depuis bien longtemps, deux cents familles vivaient là. Par la suite, sont arrivés quinze mille personnes qui réclamaient des terres et une maison; ils avaient besoin d’un toît et d’une vie digne pour tous. Ils ont poussé là comme des champignons, mais aucun politique n’a pris en charge l’organisation de ces secteurs dans le besoin; ils se sont tous repassés le ballon les uns aux autres.
Un tout jeune enfant pensait en arrivant que ses parents allaient construire une maison dans le parc. Il donnait même tous les détails de la construction: “Ici, ce sera la chambre de papa et maman, là ce sera la mienne et celle de mes petits frères; là aussi, nous ferons un endroit pour le petit chat afin qu’il n’est pas froid; là enfin, il y aura la cuisine et un peu plus loin la salle de bain et le jardin pour jouer et cultiver des légumes”. Mais l’enfant continue toujours de rêver à sa maison.
Certes, les choses ne sont pas très simples; il y a des gens honnêtes et dans le besoin, mais il existe aussi des délinquants qui ont spéculé sur ces pauvres gens et qui les ont excroqués en leur vendant les terrains du parc. La réponse de l’Etat a été la répression et la police a provoqué la mort de quatre personnes. L’Etat National et le gouvernement de la Province de Buenos Aires ne sont pas intervenus et se sont disputés entre eux pour ne pas prendre leurs responsabilités malgré les décisions de la justice.
Beaucoup d’analystes politiques, de sociologues, de psychologues, etc… ont essayé d’expliquer la situation pour clarifier ce conflit. Ils ont beaucoup parlé des pauvres, mais bien peu souvent ils se sont demandés pourquoi il y avait tant de pauvres. Cette masse humaine se déplace dans plusieurs pays vers les centres urbains et leur périphérie; c’est la conséquence des politiques d’expulsion, de l’absence des conditions de base pour vivre décemment, des crédits abusifs et de l’augmentation des monocultures avec l’appropriation des terres et la destruction de l’environnement. Tout cela se produit aujourd’hui à l’échelle de la planète.
Nous devons nous demander si ce tragique problème vécu est conjoncturel ou si, au contraire, c’est un appel d’urgence aux politiques publiques et aussi, voir de quelle manière on doit affronter ces réclamations et quelles possibilités structurelles et urbanistiques peut avoir la Ville de Buenos Aires pour résoudre ce problème. C’est d’ailleurs la même chose qui se passe dans toutes les grandes villes du continent: dans le District Fédéral de México, à Sao Paolo, à Rio, à Santiago et dans bien d’autres grandes villes.
Un exemple concret de tout cela, c’est la forte répression subie par la Communauté Qom de La Primavera dans la Province de Formosa avec plusieurs assassinats et l’incendie des maisons de nos frères indigènes pour les expulser de leurs terres en les condamnant à la faim et à l’exil. La même chose se passe dans les provinces argentines de Salta, de Santiago del Estero, de Misiones et aussi en Patagonie avec nos frères Mapuches.
Hélas, le gouverneur de Formosa est un allié du gouvernement national et on fait silence sur les crimes commis contre les indigènes de Formosa, province où les droits humains et les droits des peuples sont violés systématiquement dans la plus totale impunité.
On ne parle jamais des indigènes et des paysans et on continue à les exproprier tout en détruisant la biodiversité et en persécutant les communautés indigènes et les petits et moyens producteurs ruraux.
J’ai écrit et demandé bien des fois si quelqu’un avait déjà demandé à un enfant qui vit dans la rue , affamé , malade, exploité et marginalisé, quelle était sa sécurité.
Cela me fait souffrir; la vie est vraiment dure comme le signale les nouvelles récentes qui annoncent que dans la seule province argentine de Misiones 206 enfants sont morts de faim en une seule année et où il y a 6000 enfants sous-alimentés dont mille se trouvent dans un état critique. Quelqu’un leur a-t-il demandé ce qu’ils pensent de leur sécurité?...
La sécurité…Aie! Aie! Aie! Comme c’est douloureux!...
La sécurité… eh! hé! hé… Ne plaisantez pas.
Est-ce-que quelqu’un de l’Etat ou de la société civile a déjà demandé aux indigènes et à leurs communautés quelle est leur sécurité alors qu’on les tue, alors qu’ils sont discriminés et expulsés de leurs terres, alors qu’on détruit leur identité, leurs valeurs et leur appartenance à la nation, quand ils devraient être protégés par la Constitution Nationale et par les Pactes et les protocoles internationaux?....
En diverses occasions, j’ai parlé des “quartiers privés”… “privés de lumière, privés d’eau, de routes goudronnées, de chemins, d’écoles et de centres de santé”, mais où règne cependant une “grande sécurité”, non pas pour les gens de ces quartiers, mais pour ceux qui réclament davantage de sécurité et une main de fer, ce qui discrimine encore plus les pauvres. “Quelqu’un a-t-il demandé à tous ces pauvres quelle était leur sécurité?”...
Des études d’urbanistes et de sociologues signalent que vers 2025 ou 2030, 85% de la population mondiale sera concentrée et vivra dans les zones périphériques des grandes villes. Ceci pose des problèmes au niveau de l’urbanisme et des infra-structures qui vont s’effondrer si on ne prend pas déjà en compte les conséquences de cette situation. Le système actuel est perverse: il recherche des solutions répressives parmi lesquelles on peut signaler l’abaissement de l’âge légal de pénalisation pour les mineurs afin de pouvoir les emprisonner, mais il ne recherche pas des solutions justes et équitables et ne propose rien pour leur donner un espoir dans la vie et respecter leur dignité. Les prisons et les commissariats de quartier sont saturés et parlent d’eux mêmes des conditions infra-humaines auxquelles sont soumis les prisonniers.
La présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez, face aux conflits et aux difficultés rencontrées dans certaines régions du pays, en particulier à cause des actions des forces de sécurité qui génèrent une plus grande insécurité, a décidé de créer un Ministère de la Sécurité dont elle a confié la gestion à la Docteur Nilda Garré qui était jusqu’à présent Ministre de la Défense; c’est un choix judicieux qui nous l’espérons pourra mettre en place la réforme urgente des forces de sécurité, donner dans la formation une plus grande conscience sociale aux nouveaux policiers et transformer les forces répressives en forces préventives pour plus de sécurité dans la société. Il faut approfondir les systèmes de sécurité démocratiques et, pour cela, on a besoin de groupes inter-disciplinaires, non seulement à l’intérieur des forces de police, mais aussi dans toute la société. L ’usage de la force par les effectifs de sécurité doit être l’ultime recours et non pas le premier réflexe. Il faut exercer l’autorité sociale et non pas la répression , mettre en place la formation à la résolution des conflits pour parvenir à les surmonter sans utiliser la force des armes.
Un policier qui croit que la sécurité passe par les armes est un vrai danger pour la société.
(Traduction de l'espagnole: Francis Gély)
Adolfo Pérez Esquivel – Premier Nobel de la Paiz
Buenos Aires, le 17 décembre 2010.
https://www.alainet.org/fr/active/43187
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