Quelques heures après mon retour d’Equateur à Buenos Aires, je veux vous transmettre quelques impressions sur les événements violents qu’a vécus le peuple équatorien le 30 septembre.
Plusieurs secteurs sociaux de l’opposition et les media essayent de minimiser les faits en indiquant qu’il s’agissait simplement d’un soulèvement de policiers qui réclamaient de meilleurs salaires. D’autres secteurs de l’opposition disent même que le président Correa a fabriqué un “auto-coup d’Etat”… et c’est ainsi que continuent d’interminables discussions pour essayer de justifier l’injustifiable. Toutes ces polémiques verbales, écrites et télévisées, me rappellent le conte suivant:
…“si un canard chemine comme un canard, se déplace comme un canard et se nourrit de graines comme un canard, ¿De quoi s’agit-il d’après moi? – Evidemment, il s’agit d’un canard. Le sens commun est le moins commun de tous les sens; nous ne pouvons pas confondre un canard avec un éléphant, à moins que notre esprit ne souffre d’une certaine altération mentale”.
J’ai signalé plusieurs fois que c’est une chose de voir et autre chose de regarder; c’est une chose d’entendre et une autre d’écouter: il s’agit là d’un exercice salutaire pour pouvoir discerner la vraie réalité. Le 30 septembre à Quito, des secteurs de la police nationale ont eu recours à la violence en séquestrant le président de la République et en jetant des gaz lacrymogènes; il a été délivré par un groupe opérationnel de l’armée de terre, alors que la Force Aérienne soutenait le soulèvement policier.
Le gouvernement a mis à la disposition de la justice un enregistrement contenant l’ordre donné aux mutins de tuer le président Correa. Des franc-tireurs en civil et encapuchonnés ainsi que des policiers ont tiré sur la voiture dans laquelle se trouvait le président à sa sortie de l’hôpital. Cette fusillade a continué après son départ et a provoqué 10 morts et près de 250 blessés parmi ceux qui étaient venus pour soutenir le président et défendre la démocratie.
Cet essai de coup d’Etat à échoué grâce à la forte réaction sociale et internationale. Nestor Kirchner, ex-président argentin et secrétaire général de l’UNASUR (Union des Nations de l’Amérique du Sud) a réagi très rapidement en convoquant tous les présidents qui font partie de cet organisme régional, pour défendre la démocratie et le président Correa.
Bien que cet essai de coup d’Etat ait échoué, il faut se demander si le conflit est définitivement résolu. Il faut analyser la situation et voir quels étaient les objectifs de cette tentative. Nous pourrions signaler, parmi d’autres raisons, la décision du gouvernement équatorien de ne pas renouveler la continuation de la base américaine de Manta et la politique d’intégration régionale de l’Equateur avec les pays de la région , politique qui affecte les intérêts géo-politiques de la puissance du Nord.
Les grands moyens de communication et l’opposition se sont chargés de réaliser une campagne médiatique pour déstabiliser le gouvernement et le discréditer. Cette politique n’est pas nouvelle; il suffit de nous rappeler les essais de coups d’Etat survenus au Venezuela et en Bolivie. Maintenant, c’était le tour de l’Equateur et il faut aussi faire très attention à ce que vit le Paraguay.
L’armée équatorienne a réagi tardivement dans la défense du président et le commandant en chef des Forces Armées est resté de longues heures en situation “délibérative” pendant que le président subissait le séquestre et que la violence augmentait et risquait de déstabiliser la constitution. La police a aussi envahi l’Assemblée Nationale en retenant les parlementaires en ce même lieu.
Un canard chemine comme un canard… ¡Cela ne fait aucun doute!
Il nous faut aussi signaler l’attitude prise par les mouvements indigènes comme la CONAÏE et ECUARUNARI, qui ont certes dénoncé le coup d’Etat, mais n’ont pas pour autant soutenu le président Correa. Ils ne se sont pas mobilisés à cause des différences et des tensions qui existent et ne sont toujours pas résolues entre le mouvement indigène et le gouvernement. Ces différences ne sont pas nouvelles comme, par exemple, la pénalisation des manifestations sociales avec l’emprisonnement de certains indigènes, les réclamations pour la terre, pour les zones pétrolières et contre la grande industrie minière à ciel ouvert qui affecte le bio-diversité, l’eau et la vie des communautés dans toute la région.
Parmi les réclamations des organisations indigènes, on trouve le manque de consultation du gouvernement avec les communautés indigènes qui subissent l’invasion de leurs territoires par des entreprises étrangères expoitant les ressources locales et les biens naturels en privilégiant toujours le capital financier plutôt que la vie des peuples.
Il faudrait rétablir le dialogue entre le gouvernement et le mouvement indigène, ce qui permettrait de résoudre les conflits existants; il faut aussi analyser les problèmes de fond pour le bien de tous. On doit récupérer “la parole et le dialogue”.
La CONAÏE et ECUARUNAÏ sont des organisations qui ont une longue histoire de résistance en cohérence avec la défense du droit des peuples; aucun gouvernement ne peut ignorer cela lorsqu’il prend des décisions qui affectent leurs communautés; ce mouvement est né à partir des bases alimentées par la grande diversité des peuples et il perdure dans le temps bien au-delà de la conjonture socio-politique de chaque gouvernement. Sa force et sa présence se sont consolidées dans l’expérience de lutte et de résistance en donnant naissace à des propositions alternatives, productives, sociales et culturelles.
Il reste cependant préoccupant que PACHAKUTEK, autre organisme indigène, ait soutenu les organisateurs du coup d’Etat. Pour s’en convaincre, il suffit de lire leurs déclarations avec leur manque de clarté et de confusion dans leurs différends avec le gouvernement; ils pensaient qu’ils pourraient tirer avantage d’un coup d’Etat.
Dans le continent, les démocraties sont fragiles et elles doivent, tant au niveau national que régional, se fortifier et construire de nouveaux espaces dans l’unité et la diversité. Nous sommes en train de vivre dans le continent des étapes décisives que les différents peuples assument en participant à leurs protagonismes historiques, tout en sachant que la classe dominante n’est pas disposée à tolérer cela et à accéder à leur demande.
Le gouvernement des Etats-Unis, avec ou sans Obama, et quel que soit le gouvernement en place, veut imposer de nouvelles formes de domination continentale. Par exemple, les bases militaires du Plan Puebla-Panama, les troupes nord-américaines en Haïti, le Plan Colombia et l’installation de sept nouvelles bases militaires en Colombie et l’augmentation du nombre de groupes de para-policiers et de para-militaires dans ce pays, ce qui ajoute à ce scénario de violence et de mort les guerrillas et le narco-trafic. Si on analyse tout le commerce des drogues, on constate que tous les chemins conduisent à la grande puissance du Nord et à son grand nombre de consommateurs.
Des troupes nord-américaines se sont installées au Paraguay et leur présence a une grande signification pour la sécurité du Brésil, de l’Argentine et de leurs richesses naturelles. La base militaire dans les îles Malvinas et les manoeuvres conjointes, récemment réalisées entre la Grande Bretagne, les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN, violent les traités internationaux et les résolutions de l’ONU. On peut ajouter à la situation actuelle, les manoeuvres militaires au Costa Rica et la réactivation de la IVème flotte des Etats-Unis. Tout cela met bien en évidence les intérêts hégémoniques de la force impériale nord-américaine dans le continent latino-américain. Cela fait plus de 50 ans que les Etats-Unis continuent à imposer le honteux blocus de Cuba avec de graves violations des droits humains, de même que la situation subie par les 5 Cubains, détenus aux Etats-Unis sans même permettre à leurs familles de leur rendre visite.
La démocratie qu’ils préconisent, où est-elle?...
Si un canard chemine comme un canard, se déplace comme un canard…
Est-ce que c’est un canard ou un éléphant?...
Qu’en pensez-vous? Est-ce qu’il s’agissait d’une tentative de coup d’Etat, d’une réclamation salariale … ou y avait-il un canard caché?...
Adolfo.
Buenos Aires, octobre 2010.
* Nestor Kirchner, ex-président de l’Argentine et Président de UNASUR est décédé le 27 octobre.