Le droit à la communication confronté à de grands défis
- Opinión
Un conflit oppose l’agence en ligne dominicaine, Espacinsular, partenaire d’AlterPresse, au président de Unión Nacional Azucarera (Unazucar), César Heredia, autour d’une interview accordée à ce média par le cinéaste italien Adriano Zecca à propos de son documentaire « L’Enfer du sucre ».
Le directeur de Espacio Insular, José Luis Soto, a réalisé en date du 10 mai 2009 une interview via courrier électronique avec Adriano Zecca pour « connaître les motivations ayant poussé le cinéaste à réaliser un documentaire sur les conditions d’exclusion sociale dans lesquelles se trouvent les travailleurs des centrales sucrières dominicaines », selon les propos du journaliste dominicain.
Le magnat du secteur de l’industrie sucrière dominicaine, César Heredia, n’a pas tardé à réagir, usant de son droit de réponse, pour dénoncer, dans une lettre adressée au directeur de Espacinsular, une prétendue « campagne de secteurs nationaux et internationaux qui, à travers des reportages et des documentaires, tentent de miner les efforts de nos autorités législatives et exécutives de chercher des solutions au problème haïtien dans notre pays, Les faisant passer aux yeux des organismes internationaux comme des violateurs des droits humains des plus endurcis ».
Pour sa part, le cinéaste italien a exprimé dans une missive à Heredia que « mon intention (en faisant le documentaire) n’était pas de dénigrer l’industrie du sucre, mais de montrer les conditions de vie lamentables des travailleurs haïtiens plongés dans la misère ».
José Luis Soto a aussi répondu au président du secteur de l’agro-industrie sucrière dominicaine que « son intention n’était pas de salir l’image de la République Dominicaine ».
« Notre média continuera à exercer le droit qu’il a de promouvoir la défense des droits humains, le libre accès des citoyennes et citoyens à l’information et l’exercice d’un journalisme libre, indépendant et attaché à la vérité », a martelé le journaliste dominicain.
Thèmes tabous
Comment exercer le droit à la communication dans un pays où des thèmes (comme les conditions de vie des travailleurs migrants haitiens) sont considérés comme des tabous sur lesquels il faut garder le silence ou bien reproduire le discours dominant ?
Pourtant, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a consacré dans son article 19 le droit à la communication en stipulant que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
C’est en vertu de ce droit humain fondamental que « Espacio de Communicación Insular et son site web Espacinsular ne s’imaginent pas que votre dernière lettre réponse publiée sur notre site web a l’intention de nous menacer, de nous intimider ou de vouloir réprimer le droit au libre exercice du journalisme et du droit à la communication », écrit Jose Luis Soto dans sa lettre au patron de Unazucar,.
« Nous sommes convaincus que réaliser une communication pour le changement social ne plaira jamais à certains secteurs », conclut le journaliste.
Quel peut être le sort du droit à la communication quand certains groupes puissants se sentent lésés par un travail d’information réalisé avec sérieux par des médias en quête de vérité ?
L’interview réalisée par José Luis Soto avec le cinéaste italien envoie un coup de projecteur sur la situation des travailleurs dans les bateyes et les plantations de canne de la Région Est de la République Dominicaine. Une situation qui est infrahumaine, comme tout le monde le sait, en dépit des efforts médiatiques déployés par l’État dominicain et des magnats de l’industrie sucrière dominicaine pour la cacher, voire la nier !
Le réalisateur italien a mis le patron de Unazucar au défi de prouver ce qu’il avance quand il écrit que « les conditions de vie des coupeurs de canne et de leurs familles se sont améliorées, que les bateyes sont pourvus d’écoles, de structures de santé pour les enfants (…), de maisons de retraite pour les personnes âgées » et « qu’une attention est portée à la nourriture et à la santé des femmes enceintes ».
« Ces améliorations des conditions de vie des travailleurs ont eu lieu ces 2 dernières années, étant donné que quand j’ai réalisé le documentaire (en 2007) je n’ai sincèrement rien vu de tout cela », ironise le cinéaste.
Une fois ces preuves fournies, le cinéaste s’est dit prêt à « montrer (dans un autre documentaire) que tout ce que j’ai filmé n’existe plus : que les travailleurs qui ont coupé la canne pendant 30 ans reçoivent une retraite, que l’assistance médicale est gratuite, qu’il existe des écoles pour les enfants et que les habitations dans les bateyes ne sont plus des ghettos où vivent des hommes, des femmes et enfants sans la moindre hygiène ».
Mais, faute de preuves, le patron contre-attaque en présentant le documentaire et l’interview comme « faisant partie d’une campagne nationale et internationale qui prétend présenter la République Dominicaine comme violatrice des droits humains ».
Le patron fait tout de suite allusion au « problème haïtien » auquel, selon lui, « nos autorités législatives et exécutives cherchent des solutions dans notre pays ». Pourtant, c’est bien connu qu’il y a également des Dominicains qui vivent et travaillent dans les bateyes et dans les plantations de canne.
En réalité, le documentaire n’a fait que pointer du doigt une réalité ponctuée par la souffrance et des conditions d’existence inhumaines dans lesquelles pataugent des êtres humains (Haïtiens et Dominicains, hommes et femmes, enfants, jeunes et vieux) en plein XXIème siècle et dans un pays qui se dit « moderne ».
Des acquis fragilisés
En dépit de grands efforts réalisés par les autorités dominicaines pour créer un État de droit dans ce pays, il reste beaucoup à faire pour mettre en place toutes les conditions nécessaires et suffisantes pour défendre et protéger les droits humains.
Évidemment, depuis la mort du dictateur dominicain Rafael Trujillo en date du 30 mai 1961, de grands pas ont été franchis en vue de concrétiser le droit à la communication dans la république voisine.
C’est le fruit d’efforts multiples, dont ceux du Collège dominicain des journalistes (sigle espagnol CDP), entité la plus représentative du secteur journalistique dans le pays voisin, a été créé par la Loi 10-91.
Le CDP est lui-même le résultat de longues luttes menées par le Syndicat National des Journalistes Professionnels (sigle espagnol SNPP) et d’autres entités de la société civile dominicaine pour défendre le droit à l’information et la liberté de la presse.
Ces deux acquis sont mis à mal lorsqu’il est interdit d’aborder le « problème haitien » d’une manière différente de celle des groupes puissants dominicains qui contrôlent l’industrie sucrière, les pouvoirs politique, économique et religieux dans le pays.
Quand une personne ou un groupe refuse de reproduire le discours dominant sur le « problème haïtien », il est très vite qualifié de « traître », de « pro-haïtien », d’« anti-dominicain ». Et dès lors, cela devient une affaire de souveraineté nationale, domaine absolument réservé à l’État qui ne tarde presque jamais à réagir. Et ce, sous la pression constante de secteurs forts.
Les pères Pierre Ruquoy et Christopher Hartley ont été obligés de quitter la République Dominicaine parce que tout simplement ils dénonçaient les conditions de vie des coupeurs de canne dans les bateyes.
Le droit à la communication est confronté à de grands défis en République Dominicaine. C’est dans ce cadre que l’agence Espacinsular fait face à des récriminations d’un grand patron du secteur sucrier dominicain. La solidarité avec cette agence est un devoir pour ceux et celles qui travaillent à la défense de ce droit humain fondamental universel.
Source: Alterpresse www.alterpresse.org
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