Haïti-Elections Sénatoriales:

Quand le processus démocratique est en panne, la dictature est à deux pas…

22/04/2009
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Les dirigeants, la classe politique et une bonne partie de la communauté internationale se rappellent que le peuple haïtien a une existence active à chaque fois qu'il y a une consultation électorale. Cette réalité a déjà vingt deux ans et on persiste à croire qu’elle peut encore perdurer. Un jour ou l'autre tous finiront par apprendre la leçon : le peuple haïtien sait aussi se moquer de ceux qui se moquent de lui.  Il sait comment mettre en panne une démocratie réduite à sa simple dimension électoraliste, il a appris par la force des choses comment tourner en dérision ceux qui se servent de sa misère pour s’enrichir et il a fini par comprendre qu’il est définitivement pris pour le dindon de la farce et qu'il n'a aucune dividende à percevoir dans cette entreprise de démocratie dont on sait qu’il ne connait même pas le mécanisme de fonctionnement.  Les indicateurs d’ajustement structurel n’étant pas formatés pour prendre en compte son bien-être, il peut continuer à crever de sa belle faim dès lors que les dépenses publiques restent parfaitement équilibrées et que l’inflation ne dépasse pas un certain seuil. Pendant des décennies, il peut même continuer à vivre dans la crasse, dans des taudis, pendant que les pourfendeurs de cette caricature de démocratie dépensent des dizaines de millions de dollars dans des opérations électorales qui ne sont pas souvent au-dessus de tout soupçon.

Le peuple le sait, le pouvoir est la source de richesse la plus sure en Haïti et les prétendants comme les tenants cherchent toujours bon gré mal gré sa bénédiction pour aller se la couler douce aux timons des affaires. Le peuple en n’est pas dupe, il sait que les dirigeants savent comment se passer de son appui effectif pour échafauder un dispositif dictatorial et le vendre à la communauté internationale sous un label démocratique. A ce propos, les dernières élections du 19 avril 2009 n’en sont pas une exception.  Déjà, les dénonciations frisent de toute part et d’aucuns disent qu’elles ont été organisées à l'arrachée pour faire taire les appréhensions des envoyés onusiens et assurer aux hommes forts de l'exécutif une assise législative leur garantissant la jouissance tranquille du pouvoir.

Ces élections ont eu le taux de participation qu'on connait, mais le Conseil Electoral a l'autorité nécessaire pour annoncer ce qui lui plait et certains rapports d'observateurs nationaux et internationaux seront toujours là pour l'entériner, l'idée étant de conserver un semblant de stabilité, obtenu par des procédés artisanaux et dans lequel tous les acteurs trouvent leur compte, sauf le peuple. Au nom de la démocratie, les dépositaires du pouvoir politique ont appelé ces élections de tout leur vœu, mais force nous a été de constater que des dispositions ont été systématiquement prises pour limiter la participation populaire et ex-ante on se justifie en disant que le peuple se désintéresse toujours des élections législatives et les taux de participation à ces joutes ne dépassent jamais les 10%. Cette justification est à la fois mensongère et insultante. Mensongère, car les élections législatives du 25 juin 1995, bien qu'ayant affichées un déficit avéré d'organisation, ont connu un taux de participation qui dépassait la barre des 60% ; deux ans plus tard ont eu lieu les élections présidentielles du 17 décembre 1997 qui ont vu l’arrivée du Président Préval au pouvoir avec moins de 7% de participation de l’électorat. Cette justification est insultante aussi, car elle infantilise le peuple et implicitement elle sous-entend que celui-ci est tellement immature qu'il n'a pas été et ne sera jamais en mesure de comprendre les enjeux d'une élection législative. Comme si la culture politique haïtienne était irréversiblement présidentialiste.

Partant de cette justification abracadabrante, on a assumé pleinement l'effet négatif des interdictions annoncées par la Police Nationale d'Haïti sur la participation populaire lors du scrutin du 19 avril 2009. Ce jour-là on n'a pas eu le droit au transport en commun (voitures et motocyclettes) ou même d’utiliser son propre véhicule privé. Et puis la veille, il y avait la déclaration peu motivante du Président qui sonnait comme un aveu d’impuissance mais que plus d’un interprétait comme un calcul électoraliste très intelligent. A peu de choses près, toutes ces choses équivalaient carrément à une interdiction d'aller aux urnes pour un nombre très important de citoyens haïtiens, si l'on part du fait que la majorité des électeurs ont été invités par le Conseil Electoral Provisoire (CEP) ou l’Office National d’Identification (ONI) à parcourir plusieurs kilomètres pour trouver leurs bureaux de vote.

Le CEP le sait, seuls des fous ou des malades de la démocratie accepteraient de parcourir à pieds de longues distances pour aller accomplir un devoir civique dont on sait a priori qu’il n'aura pas beaucoup d'effet sur la qualité de la vie de la population. On est encore moins disposé à le faire quand des rumeurs persistantes et des faits évocateurs laissent croire que la machine électorale, du moins dans ses démembrements, a été acquise à la cause des hommes forts du régime en place dans le seul but de maintenir le statu quo et d'empêcher toute forme d'alternance démocratique réelle. Les choses étant biaisées dès le départ, la volonté et la détermination de quelques uns des membres du CEP ne suffisaient pas à garantir l'impartialité, la transparence et la crédibilité du processus électoral. Bref, le contexte qui prévalait à la veille des élections était en soi une invitation à rester chez soi pour plus d'un.

Quand le peuple ne participe pas ou participe très peu dans un scrutin de ce genre, c'est la légitimité des élus qui est mise en cause. Quand ces mal-élus qui ne représentent aucune frange importante de la population siègent avec une bénédiction autre que celle des populations, c'est le pouvoir qui est personnalisé. Quand les tenants de ce pouvoir ne se sentent redevables qu`à eux-mêmes ou à ce chef qui leur a fourni les moyens nécessaires pour réaliser leur rêve, on s'achemine tout droit vers une dictature déguisée à support électoraliste. Pour s’en convaincre, un peu de patience suffit. En novembre prochain on aura probablement de nouvelles élections législatives et locales et un an après – mois pour mois – on aura des élections présidentielles. Oui, des élections en cascade boudées par la population pour des raisons que l’on sait et attribuant le pouvoir à des Sénateurs, des Députés et des Maires issus à 80% ou 90% de la même famille politique constituent le meilleur ingrédient à la mise en place d’une dictature durable. Qui vivra, verra… !

Contact : golius @ excite.com

Source: Alterpresse  www.alterpresse.org

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