Nouveau capitaine à bord d’un navire têtu

27/07/2006
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Une nouvelle administration, complétée en juin dernier avec l’entrée en fonction du premier ministre Jacques Édouard Alexis, ratifié par le parlement après sa nomination par le président René Préval, cherche à prendre en main la situation d’Haiti, qui s’avère encore délicate. L’esprit de concertation qui a marqué le retour de Préval au pouvoir avec les élections du 7 février 2006, s’est maintenu après la passation des pouvoirs, le 14 mai. Cet esprit est clairement perceptible à travers le choix du premier ministre, sa ratification et la formation du gouvernement. Les différents partis représentés au parlement ont été consultés sur le choix de Jacques Édouard Alexis, qui a déjà été chef de gouvernement durant le premier mandat de René Préval (1996-2001). La formation du gouvernement a fait l’objet de négociations avec divers secteurs politiques et l’équipe d’Alexis a bénéficié d’un vote presqu’unanime au niveau des deux chambres. Le 24 mai, le sénat a ratifié la politique générale de Jaques Édouard Alexis ainsi que son gouvernement par 22 votes favorables sur 24 sénateurs présents et une abstention. Le jour suivant, la chambre des députés s’est prononcée dans le même sens par 79 votes favorables sur 82 députés présents et deux abstentions. Au moment de l’installation du nouveau gouvernement, le 9 juin, le président Préval, a relevé que la composition du cabinet ministériel est le fruit d’un processus de dialogue et de concertation directs, « sans intermédiaires ». Préval a cependant reconnu que le chemin devant mener à la confiance, « à une absence de méfiance entre les différents secteurs nationaux », sera long et parsemé d’embûches. Préval a plaidé en faveur d’une « démarche nouvelle » à construire dans la concertation et la collaboration de tous les secteurs « pour combattre le vol, la drogue, l’insécurité, et aménager les infrastructures appropriées (routes, hôpitaux, logements) ». L’appareil gouvernemental Le gouvernement en place en Haiti, apparemment hétéroclite, est globalement composé de personnalités de la mouvance sociale-démocrate ou démocrate chrétienne, issues des principaux partis politiques représentés au parlement ou des proches du président René Préval. Au moins huit personnalités, ayant déjà occupé des postes ministériels dans le pays, sont reconduites par Alexis dans un gouvernement composé d’une vingtaine de membres. Parmi eux, on souligne la présence du juriste, René Magloire, revient à la tête du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique. Paul-Antoine Bien-Aimé, passe du Ministère de l’Éducation Nationale, où il a eu des problèmes avec les syndicats d’enseignants entre 1999 et 2001, au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales. L’agronome François Séverin, du haut état-major du parti Espoir de Préval, redevient Ministre de l’Agriculture et l’ingénieur Frantz Verella, ancien cadre de la Banque Mondiale, revient au Ministère des Travaux Publics. Militante féministe, Marie Laurence Jocelyn Lassègue prend la tête du ministère à la condition féminine où elle a été chef de cabinet pendant les 2 dernières années. Sous le premier mandat de Jean-Bertrand Aristide, en 1991, Marie Laurence Jocelyn Lassègue était Ministre de l’Information et de la Culture. D’autre part, le père Gabriel Bien-Aimé, nommé ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, appartient à l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL), qui a longtemps combatu le régime de l’ancien président Aristide. Maguy Durcé, nommée Ministre du Commerce, vient aussi de l’Alliance Démocratique (ALYANS), appartenant à l’ancienne opposition. Il en est de même du docteur Robert Auguste, un des responsables du parti Fusion des sociaux-démocrates haïtiens (FUSION), qui est titulaire de la Santé Publique. L’ancien candidat au Sénat sous la bannière de l’Union nationale chrétienne pour la reconstruction d’Haïti (Uncrh), Jean-Marie Claude Germain, est nommé ministre de l’Environnement. L’ancien député Joseph Jasmin, du bloc anti-néolibéral sous le premier mandat de René Préval et devenu haut responsable de la Plate-forme politique Lespwa, est nommé Ministre Délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement. Jean-Max Bellerive, qui obtient le portefeuille de la Planification et de la Coopération Externe est membre du parti Fanmi Lavalas. Le ministre des affaires étrangères Jean Rénald Clérismé, est un ancien prêtre du mouvement de la théologie de la libération, qui a aussi accompagné une des principales organisations paysannes d’Haiti, Tét Kole Ti Peyizan Ayisyen (Union de Petits paysans Haitiens). Clérismé a été représentant d’Haiti à l’Organisation Mondiale du Commerce. Le ministre de l’économie, Daniel Dorsainvil, est un ancien cadre de l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID). Avec son équipe, Alexis entend mettre sur pied en Haiti un « État stratège déconcentré et un État de droit ». Dans sa déclaration de politique générale, il a souligné que les deux grandes orientations du gouvernement sont, d’une part, la construction de l’Etat moderne et du renforcement des institutions démocratiques et, d’autre part, la création des conditions favorables à l’investissement en vue de la création de richesses au bénéfice de l’ensemble de la population. Le premier ministre a annoncé le lancement d’un Programme d’apaisement social (PAS), qui prévoit la constitution d’une banque de fiches de plus de trois cents projets et interventions à réaliser dans les divers secteurs de la vie nationale et dans les différents départements et communes d’Haiti. Lors de son investiture, le nouveau chef de gouvernement a proposé à ses ministres d’horizons divers « un pacte de solidarité et de loyauté pour nous guider dans la gestion des affaires de la nation », dont la finalité est de les « amener collectivement à placer les intérêts de la nation au-dessus de toutes autres considérations. » Le Premier Ministre invite ses ministres, également, à lutter contre la corruption et le népotisme. « Je compte sur vous pour assurer une gestion saine des comptes publics et je compte sur vous encore pour établir des relations harmonieuses avec les députés et sénateurs qui auront à rendre compte à leurs mandants de la façon dont ils veillent à leurs intérêts », a lancé Jacques Édouard Alexis. Selon Alexis, « la vision qui se dégage de la déclaration de politique générale rejoint la demande fondamentale de la majorité de la population qui réclame une société d’inclusion et de réconciliation », qui veut résoudre ses problèmes par le dialogue et dans la recherche de consensus. Initiatives, contexte et revendications Une des premières initiatives de la nouvelle administration est la réalisation le 25 juillet 2006 d’une conférence internationale sur le développement socio économique d’Haïti, qui a réuni à Port-au-Prince les principaux organismes et pays donateurs qui procurent traditionnellement de l’aide à ce pays. De nombreuses délégations étrangères, dont celles de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), l’Organisation des États Américains (OEA), la Communauté Économique de la Caraïbe (CARICOM), l’Union Européenne (UE), ainsi que celles des États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne et l’Espagne ont pris part à cette sixième conférence internationale sur Haiti en l’espace de plus de 2 ans. A l’issue de la journée l’ensemble des délégations a annoncé une aide de 750 millions de dollars en faveur d’Haiti pour la prochaine année fiscale (aout 2006-septembre 2007). Le premier ministre Jacques Edouard Alexis a interprété l’engagement de la communauté internationale comme un succès, du au fait que les demandes du gouvernement pour la prochaine année ne totalisaient que 540 millions de dollars. L’administration du président René Préval envisageait pourtant de défendre auprès de ses partenaires internationaux des projets de l’ordre de 7,1 milliards de dollars américains pour la mise en place de « grands chantiers » au cours des 5 prochaines années. A la veille de la conférence du 25 juillet des mouvements sociaux ont plaidé dans un débat public à Port-au-Prince, en faveur de l’annulation des 1.4 milliards de dollars américains considérés comme l’ensemble de la dette externe d’Haïti. Ces organisations, dont le Mouvement Démocratique Populaire (MODEP), ont souligné que « la dette externe est un instrument politique. Elle ouvre la voie à l’application des programmes d’ajustement structurel ». De 2001 à 2006, la majeure partie des fonds décaissés par Haïti a servi à payer les institutions de financement internationales, suivant les données tabulées présentées lors de cette session. La dette externe est préjudiciable au développement économique et social des pays du Sud, ont soutenu des intervenants, soulignant que les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’environnement, sont les plus affectés par la politique néolibérale. L’initiative gouvernementale s’est aussi déroulée dans un contexte où la violence et l’insécurité ont recommencé à se manifester dans quelques quartiers de la capitale, après quelques mois d’apaisement. De nouveaux cas d’assassinats et de kidnappings sont quotidiennement enregistrés, tandis que des affrontements entre bandes rivales ont déjà fait près d’une trentaine de morts en quelques semaines. Parallèlement, le président Préval annonce des opérations urgentes de réformes profondes au sein de la justice et de la police haïtiennes afin de faire face à la situation, car, dit-il, des criminels arrêtés circulent dans les rues en toute quiétude. « Cela donne des effets pervers au point où le policier est démotivé », insiste-il. Le premier ministre Alexis déclare clairement que « la carotte et le baton » seront offerts aux fauteurs de troubles. Mais l’attente se fait longue pour des secteurs sociaux qui subissent de plein fouet les contrecoups de cette situation socio-économique. La Solidarité des Femmes Haitiennes a demandé dans un récent communiqué s’il n y a pas de « capitaine dans ce navire ».
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