Inacceptable impunité

18/12/2013
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Haïti, le pays de l’impunité et de l’injustice. Un cycle infernal et ininterrompu depuis plusieurs décennies.
 
Le dernier film du cinéaste Arnold Antonin, « Le règne de l’impunité », documente plus d’un demi siècle d’histoire récente caractérisée par le crime et l’injustice, en particulier les 29 ans de la dictature des Duvalier père et fils.
 
En 65mn, l’auteur nous transporte dans un univers extrêmement macabre. Sorte de « voyage au bout de l’enfer ». L’enfer entretenu par un État criminel.
 
Les témoignages de victimes et parents de victimes de toutes catégories sociales s’entrechoquent, se complètent, se prolongent dans une trame qui soulève l’émotion autant qu’elle force à l’introspection et la réflexion.
 
Pas moins d’une cinquantaine de « témoins à charge » défilent à l’écran. Et racontent l’insoutenable. Les récits des rescapés de la géhenne duvaliériste (1957-1986) sont les uns plus poignants que les autres. Citadins et paysans s’expriment. La machine a tuer, à fracasser des vies, roule à vive allure de la capitale jusqu’aux confins des villages les plus éloignés, le milieu paysan ayant payé le plus lourd tribut en vies humaines.
 
Certains/certaines ne savaient même pas pourquoi ils/elles ont été jetés en prison, torturés, humiliés. Prisons tristement célèbres comme Fort-Dimanche, les Casernes Dessalines (aujourd’hui physiquement disparus) ou centres d’incarcération et de torture clandestins.
 
Hommes, femmes, enfants. Chacun devient une cible. Durant les années 60, sous François Duvalier (père), et les années 70, sous Jean-Claude Duvalier (fils), les frontières de la barbarie se confondent à celles du « pays réduit au silence ».
 
Même si la résistance ne meurt pas. Au fort de la sanglante répression, « nous n’avions pas abandonné le pays. Nous avions cherché à y faire face », explique une militante.
 
Le « premier contre attaque » en règle contre le régime, c’est durant la deuxième moitié des années 70. Au moment où, aux Etats-Unis, l’administration du président James Carter fait de la question du respect des droits humains un axe important de sa politique étrangère.
 
On voit alors se soulever une vague démocratique, portée entre autres par des médias et journalistes, dont certains témoignages sont empreints d’émotion forte. Ils sont parmi les principales victimes de la grande rafle de novembre 1980 qui précède de peu l’arrivée du cow-boy républicain Ronald Reagan à la maison blanche.
 
Puis, à travers des voix sereines et indignées nous voyons s’esquisser l’après-Duvalier, au lendemain de février 1986. Encore des crimes et la négation du droit, en dépit d’une résistance farouche. Vient l’éclairci démocratique de décembre 1990. Un grand cri. Un nom scandé par tout un peuple : Aristide !
 
De sursaut démocratique en coup d’État militaire ou instauration de pouvoirs autoritaires. Ainsi de suite. Les voix dénoncent le soutien des grandes puissances à l’arbitraire, en particulier la France et les Etats-Unis. Elles disent aussi « la violence d’Aristide contre ses opposants politiques ».
 
Avec le retour en Haïti de Jean-Claude Duvalier en janvier 2011, un an après le terrible séisme de janvier 2010, la boucle est bouclée. Processus judicaire contre le tyran, plaintes et mobilisation des défenseurs de droits humains, dans un contexte de « réhabilitation du duvaliérisme avec la complicité des autorités ».
 
Pourtant, plus d’un demi-siècle plus tard, c’est un moment exceptionnel. Le bourreau fait face à ses victimes pour la première fois ! Simulacre ? Pour certaines victimes, « les plaintes ne servent a rien ». Pour d’autres, « le plus dur c’est le mépris ».
 
L’impunité est « une catastrophe humaine, pire que le tremblement de terre », souligne une psychologue. Par temps d’impunité, « toujours une enquête ouverte, mais aucun résultat ». C’est aussi le silence qui se fissure sous l’effet du combat sans merci livré par des secteurs de défense de droits humains.
 
Quand-est ce que la justice haïtienne pourra-t-elle se transformer en lieu de rencontre de la société avec elle-même, en lieu de mémoire et de fixation des responsabilités. Quand-est ce que les pouvoirs d’État pourront-ils faire le pari de la vérité sur l’histoire et sur nous-mêmes en refusant le révisionnisme et le négationnisme ?
 
Voilà des questions qu’amène sur le tapis le film d’Arnold Antonin. C’est un jalon posé dans la quête de mémoire et la longue marche vers la vérité.
 
En attendant que d’autres pas soient franchis, il appartient à chacun et chacune de s’en approprier en vue de contribuer à l’œuvre indispensable de communication et d’éducation pour la restitution des valeurs.
 
Photo : Arnold Antonin (2e personne à gauche) dans un panel après la projection du film le 10 décembre dernier à la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL)
 
 
https://www.alainet.org/es/node/81800
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