La sentence de la Cour constitutionnelle dominicaine, un devoir de solidarité

09/10/2013
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Comme tant d’autres, j’ai lu avec stupéfaction cette incroyable nouvelle : le 23 septembre 2013, la Cour Constitutionnelle dominicaine, dans un document de près de 147 pages, a tordu le cou à sa propre constitution et à ses propres lois migratoires, à tous les principes moraux et légaux auxquels l’Etat dominicain a adhéré, à tous les accords, conventions et traités internationaux auxquels l’Etat dominicain est partie et relatifs au respect des droits humains, des droits civils, politiques, économiques et culturels des populations migrantes. Cette entité du pouvoir judicaire dominicain a renié les déclarations de principe et les engagements de l’Etat dominicain à combattre la discrimination et le racisme sous toutes ses formes. En enjoignant la Junte Centrale Electorale (JCE) de procéder, dans un délai d’un an, à un « tri » des citoyens sur la base du statut légal de leurs parents au moment de leur naissance et de mener un processus de « dénationalisation » de ceux qui auront été jugés indignes d’être Dominicains, car descendant de parents « illégaux » et en « transit prolongé sur le sol dominicain » (quelle superbe trouvaille !), l’Etat dominicain risque de se mettre au ban des nations démocratiques, en rééditant des pratiques fascistes, et la création d’apartheid sur cette portion d’île.
 
L’Exécutif dominicain lui, a gardé un lourd silence. L’ambassadeur dominicain en Haïti, le professeur Ruben Silié a expliqué la position de l’Exécutif dominicain « SE PA NOU, NON ! ». Oh que non ! « Il ne s’agit pas d’une décision du gouvernement dominicain qui est lui-même préoccupé ». Finalement les déclarations de Leonel Fernandez à New York et celle du président Danilo Medina hier à Santo Domingo confirment la politique de « laissez-faire » du PLD. Ils tirent de leurs manches les deux cartes habituelles : celle, légaliste de la séparation des pouvoirs et celle politique et idéologique, des prérogatives régaliennes de l’Etat dominicain. C’est une affaire de souveraineté nationale, un point c’est tout. Ces cartes suffiront-elles pour permettre au gouvernement dominicain de tirer son épingle du jeu ?
 
Car, comme l’ont souligné de nombreux Dominicains eux-mêmes, nous sommes en face d’un « génocide civil », de racisme caractérisé, de discrimination et d’exclusion sociale à l’encontre d’une frange importante de la population dominicaine, sur la base de ses origines haïtiennes. La décision, bien sûr ne vise pas que les descendants d’Haïtiens, les autres étrangers sont aussi frappés, mais pour qui connaît l’histoire migratoire dominicaine, « l’étranger » qui est visé en premier lieu, c’est bien le migrant haïtien et ses descendants établis sur le sol dominicain depuis … tenez-vous bien…- 1929 !.
 
Cette décision est tellement aberrante et déconcertante qu’elle suscite toutes sortes de supputations, d’analyses et d’hypothèses. Si la plupart des analystes s’accordent sur le caractère raciste et discriminatoire de la mesure, servant les intérêts de l’aile ultra-nationaliste dominicaine, certains y voient des manœuvres politiciennes contradictoires, soit pour discréditer et déstabiliser le gouvernement du Président Medina, soit pour contrôler l’électorat et assurer la réélection de l’ex-président Leonel Fernandez en 2016 et permettre au secteur néo-nationaliste anti-haïtien de sortir ses griffes en toute quiétude. D’autres analystes prêteraient même à la JCE l’intention de révoquer, en passant, la nationalité dominicaine de Francisco Peña Gomez ! Pour certains, la mesure de la Cour Constitutionnelle viserait aussi à éluder l’obligation faite à l’Etat et aux entrepreneurs dominicains de payer leur dû et leur pension aux travailleurs haïtiens. Quoi qu’il en soit, la décision de la Cour Constitutionnelle, jugée irrecevable par une grande majorité de la population dominicaine a provoqué des remous et des manifestations en République dominicaine, à Porto-Rico, à New York, et dans d’autres pays où la diaspora dominicaine est nombreuse. « Les Dominicains de bonne foi veulent faire savoir au monde entier qu’ils ne se feront pas complice d’une telle iniquité ».
 
Curieusement, cette vague de protestation n’agite pas trop la société haïtienne, « assise sur son bloc de glace », semble-t-il. Certains partis politiques et parlementaires haïtiens ont été prompts à condamner. L’Exécutif haïtien a gardé le silence « pour mieux s’informer ». Des membres du secteur des affaires des deux pays se sont réunis mais sans informer la population du contenu de leurs discussions. Des organisations haïtiennes de défense des droits humains ont élevé d’énergiques protestations, mais la société at large n’a pas suivi. Et ceci devrait nous interpeller. Un sit-in convoqué le jeudi 3 octobre devant les locaux de l’Ambassade dominicaine à Pétion-Ville n’a pas amené la grande foule. Frileuse, la société haïtienne n’exprime pas de solidarité agissante. Timidité ou indifférence ? Si l’on peut comprendre la prudence toute diplomatique du gouvernement haïtien qui craint de marcher sur les œufs dominicains - rapatriements et des refoulements massifs obligent- l’on peut se demander pourquoi la société haïtienne, et en particulier les élites, se taisent-elles. Serait-ce qu’elles ne sentent pas concernées par le sort de ces « gens-là » ?
 
A la différence des Dominicains de tous âges et de toutes catégories sociales qui font entendre leur voix, prennent leur plume, sortent dans les rues et se mobilisent contre cette décision inique de la Cour Constitutionnelle, aurions-nous perdu notre capacité d’indignation et d’empathie ? Ou serait-ce que nos propres pratiques discriminatoires nous aveuglent au point de nous faire oublier qu’il s’agit d’une communauté avec laquelle nous avons une filiation, un héritage et des liens culturels et symboliques très forts.
 
Mutisme inqualifiable en 1937, mutisme inacceptable en 2013...
 
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- Rachelle Charlier Doucet est anthropologue
 
https://www.alainet.org/es/node/79982?language=es
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