Mouvements sociaux, action politique et front uni de l’indignation

07/10/2012
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Les enjeux du mouvement populaire et de l’action politique en Haïti posent un ensemble de problèmes dans un contexte mondial caractérisé par une crise durable du capitalisme ; le démantèlement des services publiques ; la dégradation des conditions de vie et de travail, la montée du chômage, de la précarité et des inégalités ; l’internationalisation accentuée du capital ou mondialisation ; la restructuration des États capitalistes ; l’aggravation alarmante de la crise environnementale ; les guerres impérialistes ; la montée de l’extrême droite et de l’idéologie religieuse. Tout cela s’est notamment traduit, au sein des mouvements sociaux, par une nouvelle manière, encore balbutiante, d’appropriation de l’action politique.

Renaissance des mouvements sociaux

En effet, le mouvement populaire, ces dernières années, s’est caractérisé par l’appropriation citoyenne de l’action politique autonome. Par exemple, il y a eu de très importantes mobilisations au Québec, en Espagne, en Grèce, en Israël, dans le monde arabe, sans oublier les mobilisations au Wisconsin durant les mois de février et mars et j’en passe. En Haïti, les citoyens et citoyennes, les organisations populaires, paysannes et syndicales combatives résistent du mieux qu’ils le peuvent. Mais, nous devons également reconnaitre que les conditions actuelles des luttes populaires sont dans un rapport de force plutôt défavorable, compte tenu des « divisions traditionnelles de la gauche haïtienne ».

On s’entend aussi pour reconnaitre que le mouvement populaire n’a pas non plus essuyé une défaite écrasante et irréversible avec la prise du pouvoir par l’extrême droite incarnée par le couple sulfureux Lamothe-Martelly. En fait, le mouvement populaire a démontré à plusieurs reprises, au cours de ces dernières années, qu’il pouvait résister, qu’il se mobilise depuis le début du mois de septembre 2012. Aujourd’hui, il s’agit d’élaborer une stratégie unitaire avec les citoyens et citoyennes en mettant en avant des revendications communes en vue d’arrêter l’offensive des néolibéraux et d’enrayer la dérive dangereuse empruntée par le pays.

Le problème fondamental est de développer un type de rapport innovant entre action politique et mouvement populaire

En fait, sortir de la situation défensive. D’emblée surgit le problème des contenus et formes d’organisations qui permettraient l’unité politique et stratégique des forces sociales et politiques progressistes ainsi que la prise de conscience de leur force, de leur capacité de mobilisation pour passer à l’offensive. On peut bien se mobiliser, par exemple, contre la cherté de la vie. Mais, aussi longtemps que l’on n’aura pas, à toute fin pratique, inclus, dans l’action collective, une dimension critique du système capitaliste, cette action ne peut pas dépasser le niveau de conscience politique des intérêts immédiats.

Cela impliquerait, donc, d’aborder les problèmes de stratégie. Ce qui nous semble émerger tranquillement en Haïti est la construction à la base de réseaux sociaux, de nouvelles organisations populaires et des formes de mobilisation en lien avec des actions décentralisées.

Dans une telle perspective, la construction d’une alternative politique à gauche qui explore, qui défriche des sentiers inexplorés, montre bien l’urgence d’un espace important pour faire apparaître et consolider une organisation politique, un front uni de l’indignation. Non pas un front qui renvoie à une orientation politique électoraliste, mais un front porteur de réponses, d’alternatives et donc d’espoir. Les citoyens et citoyennes, les militants désirent participer à la construction de l’alternative politique et ils souhaitent avant tout que la gauche prenne des initiatives politiques concrètes d’ouvertures démocratiques vers les masses populaires.

Parallèlement se pose la question de la conscience politique révolutionnaire

Marx pensait que la solution proviendrait de la concentration de la classe ouvrière qui impliquerait un haut niveau d’organisation et une conscience de classe plus aiguisée. De cette situation surgirait « spontanément » dans la conscience des dominés la nécessité de construire un monde nouveau. Il faut apporter une petite clarification ici. Dans plusieurs de ses écrits, entre autres, le 18 Brumaire et la Guerre civile en France, Marx explique que les luttes de classes génèrent des alliances et des projets multiples, y compris au sein des classes populaires. Il met de l’avant la perspective du politique et ne laisse pas sous entendre qu’on n’a qu’à attendre le jour inévitable, le grand soir ou l’effondrement du capitalisme pris dans les méandres de ses propres contradictions.

Les expériences du 19 ième et du 20 ième siècle ont montré que le capitalisme engendrait des divisions au sein même de la classe ouvrière, imprégnée de préceptes et de valeurs de l’idéologie dominante. Il faut comprendre que les conditions objectives de la domination se trouvent dans les relations de travail elles-mêmes parce que le travailleur n’est pas propriétaire des moyens de productions et du produit de son travail, qu’il ne fait que vendre sa force de travail et ne décide pas des objectifs de la production. Pour paraphraser Marx, l’ouvrier n’est qu’une pièce de la machine. Pour les citoyens et citoyennes, pour le travailleur en particulier, le monde moderne se compose de puissances mystérieuses et étranges. Leur existence semble dominée par des forces étrangères dont ils arrivent difficilement à comprendre la nature. Autrement dit, le capitalisme crée un monde d’illusion, de séduction, de fantasmes que les dominés consomment au quotidien.

L’appropriation de l’action politique par les mouvements sociaux, à travers des luttes contre le sexisme, l’exploitation, l’oppression, l’aliénation religieuse, les prépare à la prise du pouvoir politique. Un travail d’éducation populaire, politique et idéologique, parmi les citoyens et citoyennes permettrait de dépasser les luttes spontanées pour construire une mobilisation qui vise la conquête même du pouvoir politique que ce soit au niveau local, parlementaire et gouvernemental. Pour ce faire, il faut une conscience politique, une volonté de changement à la base de l’action politique, une pratique de décider collectivement la politique et qui est mise en place par des formes organisationnelles qui correspondent au cadre socioculturel de leurs genèses. Ces formes organisationnelles inédites devraient émerger des mouvements sociaux revendiquant un autre monde.

Pour la construction d’un front uni

Que dire alors de la forme-parti ? Historiquement le parti est une forme de l’action politique cohérente et organisée. Cependant, cette forme-organisation n’est plus aussi centrale qu’elle ne l’était auparavant. Il ne faut pas croire que la forme-parti échapperait à la division du travail, à l’aliénation. Par exemple, des alliances inédites se nouent en Amérique latine, portent le projet de transformation sociale, prennent diverses formes organisationnelles, ne sont pas assujetties aux mots d’ordre des partis, conservent leur autonomie.

Assistons-nous à une disparition de cette forme organisationnelle qu’est le parti politique de type révolutionnaire dans le contexte haïtien ? Rien n’est moins certain. Une telle organisation doit pouvoir se donner des outils, des méthodes, des moyens de résister collectivement en proposant des formes de pensées qui brisent l’idéologie dominante.

Le mouvement populaire pourrait gagner dans les luttes politiques en modifiant les rapports de force, en innovant dans la création de structures organisationnelles qui impliquent les citoyens et citoyennes tout en faisant l’expérimentation du pouvoir politique à la base. Il s’agit pour les classes populaires de forger des alliances de classe, de faire des gains et de préparer les rudes combats à venir. L’action politique émancipatrice est en ce sens une œuvre élaborée par l’ensemble des citoyens et citoyennes, une action collective dans le cadre d’une stratégie unitaire.

En somme, nous devons construire un front uni de l’indignation qui « calcule », qui comprend les rapports des forces en présence. Un front uni qui s’enracine dans le riche héritage des luttes passées. Un front qui élabore aussi de nouvelles stratégies, tactiques et perspectives, qui prime le travail d’enquête, de recherche, d’exploration, qui décortique et analyse le réel derrière les apparences. Un front uni pour agir, pour transformer la société au moyen de toutes les formes de luttes possibles.

Source: AlterPresse
http://www.alterpresse.org/spip.php?article13515

 

https://www.alainet.org/es/node/161681
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