Quel avenir pour Baby Doc en Haïti ?
02/02/2011
- Opinión
Un quart de siècle après son départ précipité vers la France, l’ancien dictateur haïtien Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier est revenu sans tambour ni trompette sur le lieu du crime. C’était comme si Adolf Hitler était encore vivant et était soudainement apparu à l’aéroport de Berlin, a commenté l’historien Georges Michel dans les colonnes de Time Magazine. À en croire Véronique Roy, la compagne du dictateur déchu, la venue de Baby Doc aurait plutôt un caractère humanitaire : « Il voulait venir voir ses parents, ses amis, ses sympathisants qui étaient dans la souffrance. » Avec ce retour inattendu, la terre d’Haïti risque de connaître cette année un séisme politique aux conséquences incalculables.
C’est un Duvalier affaibli et prématurément vieilli par le « razeurisme » et les affres de l’exil qui est revenu sur l’arène politique bouleversée de « l’amère patrie. » Agé aujourd’hui de 59 ans, Baby Doc ne semble pas s’être beaucoup épanoui sur le plan intellectuel pendant son long séjour dans la Ville-Lumière. Comme au bon vieux temps de la dictature, il évite tout échange spontané avec la presse. « Je suis venu pour aider. » Telle a été l’unique et laconique déclaration de Duvalier à l’aéroport international Toussaint Louverture qu’il a appelé dans un lapsus révélateur « aéroport François Duvalier. » Au cours de sa première conférence de presse, dans sa luxueuse résidence de Montagne Noire, Jean-Claude Duvalier a évidemment refusé de répondre aux questions des journalistes. Il s’est contenté de lire une déclaration concoctée dans la langue de bois du Jean-Claudisme.
Le visage hagard, la mine inquiète et les yeux fuyants, Baby Doc ne semble pas avoir compris le caractère suicidaire de ce retour dans un contexte politique extrêmement volatile. Dépouillé de son passeport diplomatique, il lui faudra maintenant « nager pour sortir » du pétrin de Préval. Il y aura, bien sûr, les éternels masochistes pour s’empresser de « pardonner » et d’essayer d’arrêter ainsi la roue de la Justice. Le pardon, c’est très beau et très gentil. Cependant, les crimes du Duvaliérisme vont au delà du pardon individuel pour prendre une dimension humanitaire et planétaire. C’est dans ce contexte, que des centaines de commentateurs étrangers qui n’ont jamais mis les pieds en Haïti et qui n’ont jamais vécu personnellement la répression politique réclament le jugement de l’ancien dictateur. Comme le disait Aimé Césaire : « Il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé en qui je ne sois assassiné et humilié. » On connaît le sort qui a été réservé à l’ex-empereur Bokassa à son retour en République Centre-Africaine après son exil en France. Il fut immédiatement arrêté à sa descente d’avion, jugé et condamné. Plus près de nous, l’ancien homme fort du Pérou, Alberto Fujimori, est en train de purger une peine de 25 ans pour les crimes politiques et financiers perpétrés pendant les dix longues années de son régime de fer.
Jean-Claude Duvalier est revenu en Haïti avec la certitude que le climat d’impunité et d’amnésie lui permettrait soit de reprendre le pouvoir, soit de repartir immédiatement vers les cieux très cléments de « l’Afrance. » Une France qui était devenue dans les années 80 la destination privilégiée des anciens « dictateurs satisfaits, confortablement installés sur des milliers de cadavres. » Une France qui a permis à Baby Doc d’échapper à la justice pendant 25 ans et de se gaver en toute quiétude des centaines de millions volés au peuple martyr d’Haïti. Ce qui est évident, c’est que Baby Doc a fait cette fois un très mauvais calcul. Moins de quarante-huit heures après son arrivée en Haïti, le gouvernement Préval a dû, bon gré mal gré, le traîner en justice et l’inculper de vol et d’association de malfaiteurs.
Quel Avenir
« Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. » Avec le retour de Baby Doc, les partisans de l’Ancien Régime, ont recommencé à prendre du poil de la bête. Ils menacent. Ils gesticulent. Ils essaient d’intimider les victimes pour bloquer les témoignages accablants sur les exactions du Jean-Claudisme. Les zélés partisans du duvaliérisme que l’on croyait relégués à jamais au Musée de l’Horreur refont surface au grand jour.
En fin de compte, le sort de Jean-Claude Duvalier va dépendre grandement de l’issue de la crise électorale qui mine Haïti depuis des mois. « Duvalier est haïtien. Qu’il revienne, c’est la démocratie » a déclaré Michel « Sweet Micky » Martelly, l’un des favoris aux élections controversées. Devenu président, il serait prêt à embaucher l’ancien dictateur comme conseiller. M. Henri-Robert Sterlin, porte-parole éphémère de l’ancien président à vie a eu le temps de faire comprendre que Duvalier se préparait à reconquérir le pouvoir en son nom propre ou à soutenir la candidature de Sweet Micky. Avec le refus des pays amis d’Haïti d’accepter l’annulation des résultats de la mascarade du 28 novembre, on ne saurait écarter une restauration du Duvaliérisme par la voie des urnes. Encore une fois la Communauté Internationale semble vouloir s’engager dans une aventure politique sans lendemain en réclamant la poursuite d’un processus électoral émaillé de fraudes et d’irrégularités. Un gouvernement issu de ces élections bidon n’aura ni la crédibilité, ni la légitimité ni le support populaire pour faire face aux grands défis économiques et politiques du pays haïtien au cours des cinq prochaines années. Au contraire, on risque de sombrer à nouveau dans le cercle vicieux et infernal de la contestation permanente et de l’explosion sociale.
- Castro Desroches est enseignant. Contact : Cdesroches2000@aol.com
https://www.alainet.org/es/node/147241