Élections législatives et présidentielles
La méfiance gagne du terrain
18/07/2010
- Opinión
Des milliers de personnes gagnent à nouveau les rues à Port-au-Prince et dans quelques villes de province pour réclamer le départ du président René Préval.
La trêve n’aura duré qu’un mois, le temps que les Haïtiens prennent part à la fête mondiale du football, qui leur a apporté un peu de bonheur, en dépit des conditions désolantes qui prévalent dans les régions dévastées par le tremblement de terre du 12 janvier.
Moins d’une semaine après le coup de sifflet final du dernier match de la Coupe du monde, des milliers de personnes gagnent à nouveau les rues à Port-au-Prince et dans quelques villes de province pour réclamer le départ du président René Préval et du Conseil électoral provisoire (CEP), chargé de l’organisation des prochaines élections législatives et présidentielles prévues pour le 28 novembre prochain.
Des responsables de plusieurs partis et plateformes d’opposition, dont l’Alternative pour le développement et le progrès d’Haïti (Alternative), qui regroupe plusieurs formations politiques ayant une représentation parlementaire, ne veulent pas entendre parler d’élections tant que que Préval est au pouvoir.
Rony Smarth, ancien premier ministre de Préval lors de son premier mandat en 1996, est lui aussi descendu dans les rues pour dire son refus des élections qui seront organisées sous l’administration de l’actuel chef de l’État. Il craint, dit-il, une nouvelle « mascarade électorale ».
En province également, des acteurs sociopolitiques rejettent la perspective d’élections avec le gouvernement en place et s’organisent en conséquence.
Lui aussi ancien ministre de Préval, l’agronome Gérald Mathurin dirige le Mouvement alternatif pour la décentralisation et la reconstruction d’Haïti (MADREH). Cette organisation qui fédère les tenants d’un renversement du processus en cours a déjà organisé plusieurs manifestations à Jacmel (sud-est), là où il est basé.
De même, les dirigeants du parti Fanmi Lavalas, de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, ne mettent pas en sourdine leurs critiques du pouvoir en place. Ils affirment leur rejet du CEP et réclament le retour de leur leader, qui a dû abandonner le pouvoir et quitter le pays lors de la crise de 2004.
Très minoritaires, les duvaliéristes s’engouffrent également dans le train en marche. Même discours, avec à la clé le retour de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier.
À droite comme chez sociaux-démocrates, les ponts sont donc coupés avec Préval, accusé de vouloir se maintenir au pouvoir, soit personnellement, soit par personne interposée.
Les soupçons ont commencé à se préciser à la fin de l’année dernière lorsque le président a mis en place son propre parti Unité en vue des élections législatives de fin février, qui n’ont pas eu lieu à cause du tremblement de terre. Préval avait alors raflé des parlementaires ou cadres de divers partis et secteurs, ce qui lui avait valu de nombreuses critiques, d’autant que l’opposition disait craindre l’éventuel établissement d’un parti unique.
Le brusque changement de la conjoncture à partir du 12 janvier n’a pas fait reculer Préval, qui a profité de sa majorité au parlement pour faire voter une loi d’état d’urgence pour 18 mois, donnant à l’exécutif pleins pouvoirs pour effectuer des dépenses en dehors des procédures normales.
Parallèlement, le parlement a approuvé la prolongation du mandat de Préval jusqu’à mai 2011, si les élections n’ont pas lieu avant la fin de l’année, alors que la date de fin de mandat du chef de l’État fixée par la constitution est le 7 février.
Ces deux décisions, ratifiées entre autres par des députés en fin de mandat, ont apporté de l’eau au moulin des anti-Préval, en dépit des déclarations du président faisant savoir qu’il ne souhaite pas garder le pouvoir, mais seulement assurer une transmission régulière des responsabilités d’État. « Je veux conduire le pays sur la voie de la stabilité », fait-il valoir, en avertissant que « la contestation du CEP et du président [...] n’empêchera pas la tenue des élections ».
Certains secteurs, comme l’Initiative de la société civile (ISC), craignant que des problèmes politiques ne viennent aggraver la crise actuelle, souhaitent un consensus pour la tenue des élections, quitte à apporter des changements au CEP. Cependant, dans l’histoire politique récente du pays, les élections n’ont pas toujours arrangé les choses. Les élections de 2000, largement contestées, ont conduit à l’éclatement de 2004 qui a forcé Aristide à partir.
Au-delà de l’enjeu politique que sous-tend le processus en cours, d’un côté comme de l’autre, on ne peut nier que la reconstruction occupe désormais le centre de la scène. Qui, en tant que leader ou secteur politique, prendra les rênes de la reconstruction qui a suscité des promesses internationales de 10 milliards de dollars ? Telle est la question qui se pose aujourd’hui.
« Dans le fond, il y a beaucoup d’argent qui va être dépensé dans le pays et chacun se positionne » pour être aux commandes, estime Gérald Mathurin. « Il y a également des gens qui ne peuvent être en dehors du pouvoir car ils ne veulent pas avoir à rendre des comptes », fait-il remarquer. « Voilà le drame que nous vivons », martèle-t-il.
Le drame, c’est aussi l’effondrement des ressorts de la société haïtienne et la mise à la rue de plus d’un million de personnes déplacées. Sous les tentes crasseuses de Port-au-Prince, on se demande quel leader est véritablement prêt à mener à bien la reconstruction.
Source: Alterpresse. Repris du quotidien canadien Le Devoir (Collaboration spéciale)
https://www.alainet.org/es/node/142892
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