La question du salaire minimum
- Opinión
Depuis plusieurs semaines la question de l’augmentation du salaire minimum est au centre des préoccupations et est à la base d’un nouveau cycle de mobilisation et de répression. Depuis le 1er Mai 2009,
Afin d’éclairer davantage l’opinion publique sur cette question et face à la confusion introduite à dessein autour de ce débat, nous tenons à réaffirmer les éléments suivants :
1.- Le fait d’avoir refusé d’augmenter le salaire minimum entre le 17 avril 2003 et juin 2009 constitue à la fois une violation du Code du travail[1] et une violence exercée par l’État et les classes dominantes contre les ouvriers/ouvrières, les travailleurs et travailleuses et contre la nation. Comme on le sait au cours des années 2006 – 2008, le pays a connu une inflation[2] importante et soutenue avec des conjonctures particulièrement difficiles pour le consommateur haïtien qui a assisté parfois au doublement des prix de vente au détail de certains produits de première nécessité en particulier les denrées alimentaires. De 2003 à 2009 le pouvoir d’achat des salariés du pays s’est effondré avec une massification de la pauvreté et des pans entiers de la société haïtienne (couches moyennes et classes populaires) ont été plongés dans l’extrême pauvreté. Celui qui sème la misère ne peut que récolter la colère, l’insécurité et l’instabilité.
2.- Comme l’ont déjà souligné de nombreux analystes, le pouvoir d’achat des travailleurs et travailleuses de notre pays n’a cessé de s’effondrer au cours des dernières décennies[3]. Le salaire minimum des années ‘70 fixé par des Décrets de 1971 (5 gourdes) et de 1974 (6.50 gourdes) est inférieur en termes de pouvoir d’achat réel au salaire perçu par les salariés dans les années 50. Cette tendance est maintenue au cours des décennies ‘80, ‘90 et 2000. Entre 1971 et 1995, 4 relèvements sur 6 n’ont pas permis le rattrapage du pouvoir d’achat antérieur. Ce qui signifie que l’État haïtien ne s’est jamais préoccupé des conditions de vie, de travail et de reproduction des travailleurs. Aujourd’hui, tous les analystes s’accordent pour signaler que le pouvoir d’achat réel des 70 gourdes est insignifiant et ne peut permettre à quiconque de manger convenablement ni de reproduire sa force de travail individuelle encore moins de faire face aux besoins primaires de la famille. Tous les calculs, tenant compte de l’évolution de l’inflation, au cours des 6 dernières années tendent à définir un salaire minimum raisonnable entre 500 et 600 gourdes par jour.
3.- Au cours de la période 2003-2009, les profits des classes dominantes haïtiennes ont explosé sous l’impulsion de plusieurs facteurs. Citons notamment l’augmentation des flux de transferts venant de la diaspora qui, selon certaines estimations, atteignent 1.6 / 1.8 milliards de dollars l’an, la financiarisation de l’économie avec une accumulation croissante des bénéfices déconnectés de l’économie réelle (Les Banques privées haïtiennes n’ont jamais engrangé autant de profits sur un exercice fiscal qu’au cours de la période 2007-2008), l’exonération fiscale accordée sur une période de 3 ans par le Gouvernement Boniface / Latortue au secteur privé, la volatilité des prix des produits de base, massivement consommés en Haïti, sur le marché international avec une pratique arbitraire d’indexation pénalisant directement le consommateur final. Cette augmentation sans précédent des niveaux de profit confirme une tendance constatée depuis le début des années 90[4]. Les données disponibles indiquent que plus de 61% de la richesse créée dans notre pays est absorbée par les profits et seulement une partie infime de cette richesse est consacrée à la rémunération des travailleurs et travailleuses. La pratique courante confirmée par de nombreuses enquêtes sur le secteur de la sous-traitance montre que, face à toute augmentation du salaire minimum légal, les patrons modifient les ‘tarifs’ pratiqués dans les ‘modules’ en récupérant des niveaux de plus-value encore plus élevés. Le No 143 du Journal Libète publié le 21 juin 1995 cité par Nathalie Lamaute Brisson[5] donne des informations très éclairantes à ce sujet : « Ainsi, pour contourner le relèvement du salaire minimum établi à 36 gourdes par jour en 1995, il fallait, dans une entreprise de confection, fabriquer 250 douzaines de pantalons contre 36 gourdes, alors que le « tarif » précédant la promulgation du décret stipulait qu’un salaire de quinze gourdes constituait la contrepartie de 70 douzaines de pantalons (« 15 goud pou 70 douzèn, 36 goud pou 250 douzèn »
4.- Le comportement de l’État en la matière est choquant prolongeant l’image de politiciens totalement au service des intérêts mesquins d’une oligarchie aveugle et attardée, complètement étrangère aux dynamiques nationales. Comment un gouvernement peut en même temps prétendre que son objectif stratégique prioritaire est la lutte contre la pauvreté et refuser de promulguer une Loi qui ne s’attaque que de façon très limitée à l’extrême pauvreté ? Cette position de l’Exécutif ne peut que contribuer à saper la légitimité des gouvernants qui mettent à nu leur parti pris et leur manque de vision. Ce comportement ne saurait finalement nous étonner compte tenu de la nature structurelle de l’État haïtien et l’application aveugle et criminelle des options néolibérales dont l’un des principaux axes a toujours été le «gel » des salaires provoquant une aggravation de la polarisation sociale et l’augmentation de la quantité de personnes affrontant des situations de misère extrême. Contrairement aux discours dominants sur les DSNCRP et autres programmes mystificateurs, les politiques néolibérales et les politiques dominantes en Haïti depuis plusieurs décennies sont productrices de misère[6].
5.- Le comportement des classes dominantes haïtiennes ne saurait non plus nous surprendre.
6.- La question du Salaire minimum est loin d’être une simple question conjoncturelle. Elle doit être mise en relation avec la vision et le modèle de développement prônés. Il est évident que l’option proposée par les forces onusiennes, par Washington et par les classes dominantes, c’est de transformer Haïti en un « pays atelier » avec de nombreuses zones franches sur l’ensemble du territoire dans le cadre de la mise en application de
Les récents « investissements » effectués par un entrepreneur dominicain dans le Nord-Est confirment les inquiétudes que nous exprimons dans cette note. Leur caractère illégal est manifeste et ils montrent encore une fois la primauté accordée aux intérêts des investisseurs étrangers qui se sont implantés dans une zone agricole riche en potentialités et capable de contribuer à résoudre les problèmes d’insécurité alimentaire du pays. Encore une fois, les intérêts des capitalistes étrangers sont priorisés au détriment des intérêts évidents des petits producteurs paysans, des initiatives économiques de petites industries nationales et de la nation dans son ensemble. Un avenir de prospérité pour notre pays exige de rompre avec cette division du travail et de repenser les bases de l’économie haïtienne tout en modifiant radicalement notre mode d’insertion dans les échanges au niveau régional et mondial. Il est urgent d’adopter une vision alternative de développement pour le pays.
7.- Il est évident que les arguments évoqués par les responsables de l’ADIH et d’autres associations d’entrepreneurs ne tiennent pas la route. Avec un salaire journalier de 70 Gourdes pendant 6 longues années et dans le cadre d’une Loi HOPE en vigueur depuis le mois de décembre 2006, nous n’avons pas vu affluer les « Investissements Direct à l’Etranger (IDE) » dans notre pays. Les études récentes, notamment celles de
8.- Le calcul de la honte. Les 70 Gourdes par jour sont déjà largement dépassées à CODEVI et dans certaines usines du Parc industriel de
9.- Le camp de ceux qui luttent pour la promulgation de la Loi fixant le nouveau salaire minimum légal à 200 Gourdes doit grandir.
Tenant compte de tous ces éléments d’analyse et de considération,
a) Exhorte les Parlementaires des 2 Chambres à maintenir les 200 gourdes comme salaire minimum légal. La proposition du Chef de l’État (soit 125 gourdes) est de nature à prolonger les souffrances de la classe ouvrière en maintenant les travailleurs et les travailleuses dans l’extrême pauvreté ; ainsi Elle doit être rejetée en bloc.
b) Demande à l’Exécutif de respecter les vœux de
c) Demande à l’Exécutif, en particulier le Ministère des Affaires Sociales, d’honorer la mission qui lui est confiée en renforçant ses capacités de supervision et de régulation en empêchant que cette augmentation soit rapidement neutralisée par de brusques changements dans les tarifs et l’organisation des modules au sein des entreprises. Le Ministère des Affaires devrait profiter de cette crise pour être beaucoup plus présent dans les parcs industriels et s’assurer que la notion de « travail décent » défendu par l’OIT se matérialise dans les relations de travail dans notre pays.
d) Demande au Gouvernement haïtien de renoncer à l’application du cadre macroéconomique néolibéral qui est une option qui a clairement échoué et qui est massivement abandonné par les tenants les plus orthodoxes de ce paradigme dans les États des pays du Nord. Seule cette rupture peut nous donner une chance d’attaquer avec succès le problème angoissant et massif du chômage. Il faut mettre en place une nouvelle vision du développement économique et social qui priorise les investissements productifs dans le secteur agricole, accorde la priorité au marché interne, à l’articulation des secteurs productifs au bénéfice des principaux acteurs économiques du pays. Ceci exige aussi une renégociation de notre mode d’insertion dans le système économique mondial. Pour arriver à un minimum de stabilité, il convient de changer radicalement les rapports entre l’oligarchie dominante et l’Etat pour créer des mécanismes réels de participation populaire dans les grandes décisions qui engagent l’avenir du pays.
e) Condamne fermement l’odieuse répression déclenchée depuis le 1er mai 2009 qui a entrainé de multiples violations de
f) Demande à toutes les organisations qui croient vraiment en un avenir meilleur pour notre pays de rejoindre la mobilisation pour les 200 gourdes et de contribuer à construire des plateformes unitaires de revendications permettant de renforcer le mouvement populaire et sa place dans les processus de prise de décision
Port-au-Prince, le 22 juin 2009
Signatures :
Camille Chalmers
Bureau Exécutif
Organisations membres de
Fruck Dorsainvil
ANDAH
Marc-Arthur Fils-Aimé
ICKL
Chenet Jean Baptiste
ITECA
William Thélusmond
CRAD
Olga Benoit
SOFA
Benoit Silencieux
MITPA
Organisations qui appuient cette déclaration :
Sony Estéus
SAKS
[1] Le Code du Travail en vigueur précise en son article 137 : « Le salaire minimum… sera périodiquement ajusté en fonction des variations du cout de la vie ou toutes les fois que l’indice officiel de l’inflation fixé par l’IHSI accuse une augmentation d’au moins 10% sur une période d’une année fiscale »
[2] Selon les données de
[3] « De la publication du décret du 27 aout 1984 à la promulgation de la loi du 17 avril 2003, nominalement le salaire minimum haïtien a été multiplié par 4. Mais en termes réels, il s’est contracté de l’ordre de 44.7% passant de 3.00 $ US à 1.66 $ US » Tiré de l’article de Guichard Dore publié dans le quotidien Le Matin du 9 février 2009.
[4] Pour ne citer qu’un exemple la marge de bénéfices des distributeurs de produits pétroliers est passé de 4 centimes le gallon (0.04 $ US) à une moyenne de 20 centimes le gallon (0.20 $ US) entre les années 80 et aujourd’hui.
[5] Informations tirées de l’excellente étude réalisée par l’économiste Nathalie Lamaute Brisson pour
[6] Même
[7] On peut consulter en la matière l’étude réalisée en janvier 2009 par l’économiste du développement Paul Collier pour le Secrétaire Général des Nations Unies intitulée : « Haïti : des catastrophes naturelles à la sécurité économique »
[8] Ces calculs nous ont été communiqués par l’anthropologue Mark Schuller qui a minutieusement étudié l’industrie haïtienne de la sous-traitance.
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