Entrevue avec le père Fernando Cardenal
Nicaragua 2005: réactualiser la grande victoire de l
12/12/2004
- Opinión
25 ans après le triomphe sandiniste du 19 juillet au
Nicaragua, le prêtre jésuite Fernando Cardenel ne peut cacher
ses sentiments complexes et contradictoires, "une frustration
et un vécu extrêmement positif". Acteur de premier plan de
cette révolution qui secoua l'Amérique latine, Fernando
Cardenal fut tout d'abord coordinateur de la "Croisade
nationale d'alphabétisation" (en 1980), puis ministre de
l'Education nationale dans le gouvernement sandiniste (1984-
1990). Son accession à ce poste lui valut d'être sanctionné
par le Vatican, qui le fit expulser de l'ordre des Jésuites
(1). Aujourd'hui, âgé de 70 ans et réintégré dans son ordre,
Fernando Cardenal est directeur de "Fe e Alegría" (Foi et
joie), mouvement d'éducation populaire .
Un bilan complexe
La frustration par rapport à l'expérience sandiniste, dont
parle Fernando Cardenal, ne résulte pas de la défaite
électorale du FSLN (en février 1990), mais plus
particulièrement de la corruption d'une partie des dirigeants
postérieure à cette votation. "Je n'ai pas pu le supporter.
Ce fut une véritable agression éthique qui m'obligea à me
retirer. Mon organisme et mon âme n'y ont pas résisté".
Par contre, l'aspect le plus positif - "qui motive mon
espérance et mon utopie actuelle" - c'est "le souvenir vivant
de ces milliers de jeunes totalement engagés dans la
transformation de la société dans laquelle nous vivions",
affirme Fernando Cardenal. Des milliers de scènes
quotidiennes “d'héroïsme, de solidarité, d'un esprit de
service qui allait jusqu'à sacrifier même sa vie”, souligne
avec émotion le prêtre catholique en se rémémorant les 9
jeunes alphabétiseurs assassinés par les bandes contre-
révolutionnaires et la cinquantaine d'entre eux qui moururent
dans des accidents ou de maladie dans la montagne durant la
Croisade.
Faire revivre la valeur de cette geste
Religieux "pragmatique", citoyern engagé, Fernando Cardenal ne
laisse pas le bilan de la décennie écoulée paralyser sa
conviction présente. "Je regarde devant moi. Et le futur
prochain, c'est 2005, l'année où l'on commémorera les 25 ans
de la Croisade d'alphabétisation, qui reçut le prix Nadedja
Krupskaja de l'UNESCO pour avoir réussi en 5 mois la
prouesse de faire baisser le taux d'analphabétisme de (au
moins) 50 % à 13 %". Pour l'an prochain, est prévue une
journée qui durera de mars à août - à la même période où se
déroula en 1980 cette mobilisation citoyenne massive. Le but,
c'est que "ce soit quelque chose de grand et d'important pour
le Nicaragua d'aujourd'hui", souligne Fernando Cardenal.
Cette initiative a plusieurs objectifs. Le premier est
fondamental: "lancer une réflexion profonde sur ce que va
faire le Nicaragua en matière d'éducation, c'est-à-dire avec
son futur. Ou nous serons un pays de pauvreté et
d'émigration, ou une nation socialement et humaine
développée".
L'autre objectif, tout aussi crucial, "sera de moraliser la
jeunesse actuelle, en l'imprégnant de cet esprit
alphabétisateur pour qu'elle puisse affronter la profonde
crise économique, sociale, écologique, politique et morale
que nous vivons".
Cette journée - d'après Fernando Cardenal - se composera d'une
quantité énorme d'activités. Chacun la commémorera dans son
quartier, dans sa région, "nul n'est propriétaire de cette
geste collective qui appartient à nous tous".,
Parmi les activités concrètes, sont prévues l'édition de 5000
exemplaires d'un livre qui recueille les anecdotes de cette
geste citoyenne; la fabrication de 100.000 décalcomanies ("le
nombre des alphabétiseurs"); la progammation d'un CD
interactif qui constituera une encyclopédie de la Croisade.
De plus, on prévoit un congrès international dont le but sera
de "conceptualiser et théoriser notre pratique d'alors".
Pour mener à bien cette initiative, comme ce fut le cas 25 ans
auparavant, il est nécessaire "qu'un nouvel engagement de la
solidarité internationale appuie cette commémoration",
souligne Cardenal. Motivé par "la certitude de l'immense force
intérieure de l'être humain pour se vouer à l'amour et à la
solidarité, pour construire une nouvelle société. Malgré la
crise que nous vivons, je m'identifie à Paulo Freire, l'un
des inspirateurs de la croisade, qui disait que "la véritable
espérance se fatigue parfois, mais ne meure jamais".
Recréer l'espérance
"Lors d'une conférence en Espagne, mon frère Ernesto (2)
disait que le socialisme a échoué, parce qu'il ne s'est pas
réalisé, alors que le capitalisme a échoué, parce qu'il s'est
réalisé", souligne Fernando Cardenal qui reconnait que la
valeur de cette réflexion n'est pas toujours prise en compte.
En ce moment, poursuit-il, 3 milliards de personnes vivent en
ce monde avec moins de 2 dollars par jour. "Nous connaissons
tous beaucoup de statistiques à ce propos sur la situation du
Nicaragua, de l'Amérique latine et du monde entier. Ces
chiffres prouvent à l'évidence que le capitalisme a
totalement échoué sur tous les continents".
Et de rappeler qu'après la chute du mur de Berlin, George Bush
père (3) affirma triomphalement: "Il ne reste plus que nous".
"Ce fut une grande vérité, puisque l'Union Soviétique s'était
détruire. Il ne restait que les Etats-Unis et le
capitalisme", reconnaît le prêtre nicaraguayen, qui ajoute:
"14 ans plus tard, règnent sur notre planète la guerre, la
faim, la dénutrition et la misère. 3 milliards de personnes
vivent (ou meurent) dans une pauvreté extrême. Cela, les
Soviétiques n'en sont pas coupables, puisqu'ils n'existent
plus. Il ne reste que les capitalistes. C'est leur
responsabilité".
Une pause, suivie de la conclusion finale. Précisément, pour
tout cela, malgré "la confusion et le désenchantement, plus
que jamais c'est l'heure de l'utopie, des rêves. D'où la
valeur emblématique qu'acquiert la commémoration de la
Croisade d'alphabétisation de 1980, une utopie devenue
réalité".
1) A ce propos, Fernando Cardenal a rédigé fin 1984 une
"Lettre à mes amis" (texte publié en français dans le no 11
(février 1985) de "Nicaragua Aujourd'hui", revue du Comité
de solidarité avec le Nicaragua - France). Il y explique
notamment la démarche qui l'a amené à s'engager - en pleine
dictature somoziste - dans les rangs du FSLN. Ce texte peut
être demandé à l'adresse suivante: hp.renk@bluewin.ch
2) Ernesto Cardenal, fondateur de la communauté de Solentiname
et poète, fut de 1979 à 1990 ministre de la Culture dans le
gouvernement sandiniste.
3) George Bush: président des USA de 1988 à 1992 et père de
l'actuel président.
* Sergio Ferrari Service de presse E-CHANGER Trad H.P. Renk
https://www.alainet.org/es/node/111149
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