Pour Haïti : Appel au gouvernement canadien
19/09/2004
- Opinión
Le Canada invité à réagir au climat de violence, à l'impunité et
à l'intimidation des défenseurs des droits humains en Haïti
Concertation pour Haïti
La Concertation pour Haïti, regroupant 11 organisations
québécoises de coopération et de solidarité, lance un cri
d'alarme face à la grave détérioration de la situation en Haïti.
En effet, des groupes d'anciens militaires et d'anciens membres
du Front pour l'avancement et le progrès haïtien (FRAPH), ont
pris le contrôle de grandes parties du territoire haïtien, alors
que les anciens chimères de l'ex-président Aristide, également
armés, continuent d'opérer. « La situation est explosive »
disent les organisations de femmes, membres de la Coordination
nationale de plaidoyer pour les droits des femmes (CONAP).
Rappelons que le FRAPH est l'organisation paramilitaire qui,
avec les militaires, ont semé la terreur pendant la période du
coup d'état de septembre 1991 à septembre 1994, faisant près de
5 mille victimes civiles. Assassinats, tortures, vols, viols,
constituent les pratiques connues de cette organisation.
Cette violence grandissante inquiète le Secrétaire général des
Nations Unies, Kofi Annan, qui, dans un communiqué du 7
septembre dernier, énumérait « assassinats, violations de
domicile, représailles, enlèvements, activités de bandes,
affrontements entre membres de la Police nationale haïtienne et
anciens soldats des forces armées haïtiennes dissoutes, actes
d'autodéfense, crimes et délits divers ».
Le désarmement traîne
Pendant ce temps, quelques centaines d'armes à peine, ont pu
être récupérées, sur les milliers (on estime environ 20,000)
toujours en circulation. Le gouvernement de transition de M.
Latortue a montré une faiblesse déconcertante, sinon un manque
flagrant de volonté, pour lancer des opérations efficaces en vue
de désarmer.
Après avoir repoussé par deux fois la date butoir pour une
opération de désarmement à travers le pays, le gouvernement
vient de renoncer à la date du 15 septembre, dernière date
annoncée. Le Commissaire de police Coicou a expliqué la semaine
dernière à la presse que les détenteurs d'armes illégales ont
simplement été invités à rendre ces dernières « volontairement »
à la police ou à les faire enregistrer légalement.
Élections et reconstruction sont en péril
Dans de récents communiqués, l'ONU de même que l'OEA réitèrent
que la question du désarmement est essentielle, tant pour la
reconstruction du pays que pour la tenue d'élections prévues
pour 2005. Comment en effet organiser un processus électoral
crédible dans un tel climat de violence ? Comment attendre des
résultats efficaces d'un programme de reconstruction, alors que
règnent la terreur et l'insécurité ?
Le Canada, a l'instar de plusieurs pays de la communauté
internationale, a participé à l'élaboration du Cadre de
coopération intérimaire (CCI) pour Haïti, vaste projet d'aide
concertée, et a annoncé, par communiqué de presse en date du 18
juillet, une participation canadienne de quelques 180 millions
de dollars sur 2 ans. Cet effort est louable, mais il risque
encore une fois de se dépenser en pure perte, tant qu'on ne
prend pas les moyens de mettre un terme à la violence, à
l'insécurité et à l'impunité en Haïti.
C'est le principal message que le nouveau ministre des Affaires
étrangères, M. Pierre Pettigrew devrait transmettre au
gouvernement transitoire en Haïti, lors de sa prochaine visite
prévue pour les 27 et 28 septembre. Le Canada doit exiger des
efforts tangibles en vue du désarmement et prendre une part
active dans la concertation des pays de la communauté
internationale, afin d'accentuer la pression sur le gouvernement
Alexandre-Latortue pour qu'il agisse efficacement en ce sens.
L'impunité persiste
La Concertation pour Haïti tient à signifier sa grande
inquiétude face au verdict d'acquittement, en août dernier, de
Louis Jodel Chamblain et de Jackson Joanis, membres du FRAPH.
Ils étaient tous deux accusés pour le meurtre de M. Antoine
Izméry, survenu le 11 septembre 1993, meurtre pour lequel
Chamblain avait été condamné par contumace ainsi que pour sa
participation dans le massacre de Raboteau en avril 1994.
Le procès de ces deux accusés vient mettre en lumière les
faiblesses du système judiciaire haïtien qui permet un procès où
le seul témoignage entendu a été celui d'un témoin de la
Couronne. Il n'y a eu à ce procès aucune preuve matérielle
déposée : aucun procès-verbal de constat, pas de rapport de
police, pas de rapport d'autopsie, pas de cahier d'instruction,
pas de rapport de la MICIVIH ni de la Commission nationale
Justice et Vérité. Il semble que le système judiciaire actuel ne
soit pas en mesure de contrer les influences politiques, ou les
menaces, qui agissent sur lui.
Ce procès bâclé vient encore une fois confirmer l'impunité pour
les auteurs des crimes et des massacres en Haïti, impunité qui
perdure depuis l'époque de Duvalier. L'instauration d'un État
de Droit en Haïti ne peut se permettre un système judiciaire qui
viole les principes mêmes de son existence.
La Concertation pour Haïti alerte le gouvernement canadien pour
qu'il fasse pression sur le gouvernement haïtien et lui rappelle
l'iniquité de ce procès. L'impunité ne peut être négociable,
l'impunité doit cesser.
Persécution des défenseurs des droits humains
Comme il se doit, les organisations de défense des droits
humains en Haïti ont réagi avec fermeté aux conclusions du
procès bâclé et à l'acquittement des accusés Chamblain et
Joanis. La Plate-forme des organisations haïtiennes de droits
humains (POHDH), le Comité des avocats pour le respect des
libertés individuelles (CARLI) de même que la Coalition
nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR) ont publié des
communiqués de presse à ce sujet, protestant de l'inefficacité
du système judiciaire; cet acquittement constitue un déni de
justice pour eux, comme pour Amnistie internationale et de
nombreux autres observateurs.
Or, à peine quelques heures plus tard, le tribunal acceptait de
recevoir une plainte pour diffamation, déposée par les avocats
de Chamblain et Joanis, contre 4 membres de ces organisations :
Vilès Alizar et Renan Hedouville du CARLI, Élifaite St-Pierre,
secrétaire général de la POHDH et Pierre Espérance, directeur de
la NCHR.
La Concertation pour Haïti est indignée face à la convocation
par devant les tribunaux de ces quatre membres d'organisations
de défense des droits humains qui ont dénoncé le verdict dans ce
procès. Il s'agit d'une tentative pour faire taire celles et
ceux qui s'élèvent pour dénoncer ce verdict de non culpabilité,
pour dénoncer l'impunité et l'iniquité de la Justice. Il s'agit
d'un acte d'intimidation, qui augure d'une campagne de
persécution contre les défenseurs des droits humains en Haïti.
Le Canada doit ajouter sa voix à celles qui protestent contre le
harcèlement juridique des défenseurs des droits humains en
Haïti. Leur liberté d'action et d'expression est une condition
indispensable, un baromètre certain, de l'état des droits et de
la démocratie en Haïti.
Montréal, 20 septembre 2004
Marie Marsolais et Marthe Lapierre pour
Concertation pour Haïti.
https://www.alainet.org/es/node/110572
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