FSM 2004
Les partis politiques et les mouvements sociaux
20/01/2004
- Opinión
A la tribune : David Choquehuanca (Bolivia), Fausto Bertinotti
(Italy), Luis Ayala (Chile), Joao Vaccari Neto (Brazil), Prakash
Karat (India), Aruna Roy (India), Alejandro Bendana (Nicaragua),
Grazia Francescato (Italy), Suniti (India), Olivio Dutra (Brazil),
Kerstin Müller (Allemagne)
Les relations entre les partis politiques et les mouvements sociaux,
ou plutôt les composantes d'un mouvement social multiforme, sont un
peu à l'image de celles de frères jumeaux : inséparables malgré
leurs incessantes querelles.
Ces relations sont étroites : comment imaginer avancer vers un autre
monde possible sans unir l'ensemble des forces qui y aspirent,
comment imaginer changer le monde, acte politique, en laissant au
bord du chemin des acteurs incontournables de la politique ?
Ces relations sont parfois (souvent ?) conflictuelles : ce qui
sépare les acteurs du mouvement social des partis est la
participation, souhaitée ou réalisée, de ces derniers au pouvoir de
gouvernement à une échelle quelconque, de la commune à l'état
national ou à une organisation internationale.
Le débat est sous-jacent dans toutes les manifestations
altermondialistes d'une certaine ampleur, donc présent dans les
forums sociaux, celui de Mumbai n'échappe pas à la règle. Au forum
de Mumbai les partis politiques sont très présents ; tout en
maintenant le respect de la charte de Porto Alegre, les
organisateurs du forum ont manifestement souhaité poser la question
des relations des forums au politique ; le contexte régional, où la
guerre est vécue comme une agression qui n'a rien d'extérieur,
renforce cette présence de la question politique dans nombre de
débats.
Le débat, en séance plénière, sur " les partis politiques et les
mouvements sociaux " a permis de préciser comment était vécue sur le
terrain, sur des terrains très divers, cette question. La diversité
des contextes se traduit par la diversité des propos.
Joao Vaccari Neto vient du Brésil, syndicaliste de l'Union Centrale
des Travailleurs. Il a insisté sur l'autonomie des syndicats
brésiliens par rapport aux partis politiques. Les mouvements sociaux
ont contribué à l'émergence des partis brésiliens, nombre de
ministres du gouvernement actuel sont issus de ce mouvement, et
conservent une grande indépendance vis à vis des partis et entre
eux.
Forums nationaux, réforme agraire.
Pour Suniti, qui est indienne, il y a toujours conflit entre le
gouvernement d'un état et le mouvement social.
Croissance de l'impérialisme états-unien soutenue par des
gouvernements locaux
La question centrale est de transformer les partis, les mouvements
populaires ont provoqué un début de changements entre 1977 et 1989
mais beaucoup reste à faire.
L'objectif des luttes est d'imposer une démarche " bottom -> top",
alors que les gouvernements et les partis raisonnent le plus souvent
en " top -> bottom ". Le mot clé est changer la politique par les
luttes.
Pour Kerstin Müller, parti des verts européen, les forums sociaux de
Porto Alegre ont montré la nécessité d'une réflexion sur la liaison
entre partis politiques et mouvements social.
Cette réflexion suppose une définition claire des concepts : le
mouvement social ou les mouvements sociaux ? les mouvements sociaux
sont-ils toujours des forces progressistes ? Comment placer les
mouvements religieux ?
Le débat entre les partis et les syndicats est ancien ; en Europe,
avant la seconde guerre mondiale, le lien est étroit, avec un
contrôle des partis sur les syndicats. En France, les grandes grèves
de 1947, les conflits politiques liés à la décolonisation, la
situation particulière de l'Algérie (et des travailleurs algériens)
ont favorisé une autonomie des syndicats par rapport aux partis
politiques. Le mouvement des années 1968 a cristallisé les
différences d'approche entre les défenseurs de la réforme et les
tenants de la révolution, avec l'importance des mouvements
politiques activistes. La fin de cette période est marquée par la
défaite de la social-démocratie, qui sera suivie, dans les années
quatre vingt par la chute du parti communiste et la montée du
mouvement social. L'émergence des partis " verts " met en évidence
la nécessité d'une réponse globale, sociale, écologique et
politique, que les organisations traditionnelles ne fournissent plus
(cette perte de crédibilité des organisations traditionnelles se
manifeste aux États Unis par la montée des mouvements comme " vote
never ").
Les questions clés pour l'avenir portent sur les choix politiques
cantagonistes comme refus et propositions ou développement et
antiproductivisme.
Partis et mouvements sociaux sont les deux faces d'une même lutte,
les partis ont vocation à être la voix du mouvement social, mais
toute compromission sera refusée par le mouvement social. Une sorte
de nouveau contrat de partenariat, en quelque sorte.
David Choquehuanca, bolivien, décrit la situation insupportable
imposée à son pays, mis en coupe réglée par les firmes
transnationales (destruction de la biodiversité en Amazonie, main
mise sur l'eau, etc.).
La misère et la situation de colonisés ont provoqué des
insurrections depuis le mois de septembre. L'ALCA construit un
espace laissant libre cours aux transnationales soutenues par une
oligarchie corrompue. En face les mouvements sociaux luttent pour
rétablir des équilibres de justice sociale, pour se réapproprier
leur vie. Les objectifs d'une nouvelle société à construire sont de
retrouver l'équilibre entre l'homme et la nature, de recréer une
société de liberté qui prenne en compte la femme comme complément de
l'homme, l'homme comme complément de la nature. La démocratie passe
par le consensus et la réhabilitation des valeurs, des droits
humains, des droits cosmiques.
Prakash Karat est membre du parti communiste indien. Les partis et
les mouvements sociaux sont complémentaires, les premiers assurent
la représentation, au sein du pouvoir, des travailleurs, les seconds
véhiculent les luttes sociales.
La justice sociale est indissociable de la démocratie, les
changements politiques sont les succès des luttes. Le néolibéralisme
crée la division, il est nécessaire d'arriver à une plateforme
commune. Parmi les questions qui se posent, et qui divisent : quel
est le rôle de la gauche ? Quel est le rôle de l'état, et de son
gouvernement qui doit apporter la justice et un système de
régulation, dans la lutte contre la montée de l'impérialisme appuyé
par la Banque Mondiale ?
Le mouvement social est souvent opposé à l'état, privilégiant le
développement des régions par elles mêmes. Les partis de gauche
n'ont pas surmonté l'effondrement de l'Union Soviétique qui a créé
une situation nouvelle.
Pour Luis Ayala, chilien, les partis sont au centre du processus
politique, ils ont joué un rôle clé dans la transition vers la
démocratie qu'ont connus des pays d'Afrique et d'Asie.
La perte de crédibilité des démocraties doit être recherchée dans
leur incapacité à tenir leurs promesses dans les domaines de
l'équité sociale (pauvreté, santé, éducation). Pour redonner une
confiance dans la démocratie il faudra inventer des systèmes
électoraux honnêtes, transparents et ouverts à la société civile.
Personne ne gagnera dans une lutte fratricide entre partis et
mouvements sociaux qui ne représentent que des façons différentes de
faire de la politique. La victoire, le succès d'une alternative
globale au capitalisme, se gagneront ensemble en construisant un
système plus juste, qui respecte l'égalité entre hommes et femmes.
Grazia Francescato, italien, est un militant de refondation
communiste. Le monde ne changera pas sans une transformation
politique, de Porto Alegre à Paris, en passant par Florence,
l'inclusion de la politique dans le mouvement altermondialiste est
devenu une réalité. Mumbai représente un élargissement dans la même
direction : l'inclusion des mouvements d'exclus, comme les dalits
(intouchables), la mobilisation contre l'agression militaire états-
unienne qui dévaste le monde et renforce le terrorisme, etc.
La mobilisation mondiale pour la paix, en 2003, a marqué une étape
importante pour le mouvement, les conflits de classes s'étendent
dans de nombreux pays. Au delà des manifestations contre la guerre,
le mouvement altermondialiste doit construire des alternatives à la
mondialisation libérale, construire une nouvelle façon de faire de
la politique. Seule le politique permettra de rendre possible un
autre monde, mais pour y arriver la politique doit se transformer
elle-même en recréant la démocratie, en retrouvant une radicalité
critique. Tel est l'objectif pour le vingtième siècle.
Un point de passage obligé pour atteindre cet objectif est
d'analyser les défaites du vingtième siècle : la conception du
pouvoir, le rôle des partis dans une culture de pouvoir central. Il
faut compléter la critique du capitalisme par la critique du
pouvoir.
Pour changer le monde il faut changer la politique, travaillons-y
ensemble.
Aruna Roy décrit la situation en Inde, pays marqué par des génocides
dont le parti responsable a été élu au pouvoir.
La situation politique est fortement marquée par un mélange de
suspicion et de dialogues entre partis de gauche et mouvements
sociaux qui éprouvent des difficultés à trouver des convergences
dans le combat contre le libéralisme.
La situation électorale en Inde, avec la montée de partis d'extrême
droite et la marginalisation du peuple, est d'autant plus complexe
que ce pays est à l'échelle d'un continent. Les principales
questions qui se posent pour l'avenir proche touchent à la
dialectique micro-macro, quelle articulation trouver pour assurer
une meilleure justice, une éducation pour tous, l'emploi, la
nourriture ?
Aruna Roy termine son intervention par un vibrant appel au peuple,
fortement relayé dans la salle.
Olivio Dutra est ministre des villes du gouvernement brésilien de
Lula.
Le parti des travailleurs de l'expérience d'un parti de la gauche de
la gauche dans un gouvernement. Ce parti, issu du mouvement
populaire, a toujours respecté l'autonomie du mouvement, et cette
autonomie est respectée par le gouvernement fédéral. Les expériences
de démocratie participative ont ouvert une nouvelle voie, illustrée
lors des forums sociaux de Porto Alegre.
Le gouvernement brésilien a du faire face à des défis importants :
le logement, les transports, l'éducation de base. Pour affronter ces
défis, la démocratie brésilienne est fondée sur la diversité, le
parti des travailleurs ne gouverne pas seul, mais il fait partie
d'une coalition qui va de la gauche au centre. Une nouvelle forme de
démocratie se met en place, qui respecte le mouvement, les
libertés : équilibre entre démocratie représentative et démocratie
participative, élaboration d'un nouveau pacte social, mise en place
de relations entre les municipalités et les entreprises, résolution
des conflits.
Au niveau international un élément incontournable, pour le Brésil,
est la renégociation de la dette. Au niveau intérieur un processus
de dialogue entre l'état et les communes met en place des plans de
développement social, économique, fiscal, dans un souci de dialogue
avec la société civile.
Olivio Dutra conclut son intervention par une évocation qui rappelle
un slogan devenu célèbre : " ce n'est qu'un début… ".
* Weber Jacques. Attac France
http://www.france.attac.org/i2368
https://www.alainet.org/es/node/109193
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