La marginalisation des jeunes dans l’univers politique en Haiti

01/10/2014
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Assaillis par un long processus de criminalisation de leur mouvement, de barrières légales et les contre-coups de la misère, les jeunes haïtiens sont encore en marge de l’univers politique du pays.
 
La population haïtienne est jeune. L’âge médian en 2010 est de 21,6 ans et il ne sera que 27,2 ans en 2030 d’après les projections. Mais ils ne sont pas représentés dans les postes de décision. Si l’on regarde la 49e législature qui vient de boucler sa dernière session ordinaire, l’âge moyen d’un parlementaire se situe à un peu plus de quarante ans.
 
Depuis 2006, une simulation, le parlement jeunesse d’Haiti, permet à des jeunes d’expérimenter le rôle de parlementaire et d’être sensibilisés sur la participation politique.
 
Au-delà de cette simulation, peu de moyen pour les jeunes d’accéder réellement à ces postes.
 
Des barrières juridiques et systématiques
 
Pour Jean Daniel Sénat, coordonnateur de l’Association haïtienne des étudiants en communication sociale (Ahecs), « il y a une certaine volonté pour les jeunes de participer », selon ce qu’il observe à travers l’Ahecs.
 
De manière générale, « les jeunes ont la volonté, mais se heurtent à une certaine gérontocratie ; parce qu’on pense que les jeunes manquent d’expérience, on ne leur fait pas confiance ».
 
Mais en plus de cette méfiance, Lens Jean François, professeur de psychologie à l’université d’Etat et docteur en psychosociologie, relève un problème structurel.
 
« Les jeunes participent mais plus de façon cosmétique dans la vie sociale, dans la vie économique… Structurellement, les jeunes ne sont pas acceptés », indique-t-il.
 
Selon lui, non seulement la société marginalise les jeunes, mais ces derniers, en raison de l’éducation reçue, contribuent eux aussi dans leur infantilisation.
 
« [Dans l’état actuel des connaissances] sur le développement de l’individu, à 15-16 ans, une personne a déjà toutes les capacités pour agir comme un adulte que cela soit sur le plan émotionnel, physiologique ou cognitif », souligne Lens Jean François, parlant des capacités d’innovation et de la fougue liées à la jeunesse.
 
Selon une étude en 2012 du réseau de jeunes pour l’environnement et la santé, 25% des jeunes étudiants s’intéressent à la politique. 15% de ce chiffre participent à un parti et 10% ont eu une expérience syndicale.
 
Cependant, pour Roudy Stanley Penn, promoteur de l’Initiative des jeunes candidats et président de l’organisation Jeunesse montante, il faut chercher au-delà de la volonté des jeunes qui est réelle. « Les freins sont à la fois systématiques et juridiques », souligne-t-il.
 
En Haïti, pour être élu sénateur, il faut « être âgé de trente (30) ans accomplis » et « être propriétaire d’un immeuble au moins dans le département ou y exercer une profession ou une industrie », selon l’article 96 de la Constitution de 1987.
 
Pour être député, il faut suivant l’article 91, « être âgé de vingt-cinq (25) ans accomplis » et « Etre propriétaire d’un immeuble au moins dans la circonscription ou y exercer une profession ou une industrie ».
 
En oûtre, pour participer aux élections, il faut des moyens que les jeunes n’ont pas.
 
« Le système est fait de telle sorte qu’il favorise ceux qui ont de l’argent et même ceux qui trafiquent de la drogue. Mais ceux qui veulent faire la politique en ayant un projet, un plan, l’Etat que nous avons, je pense, ne les encourage pas à participer à la vie politique », dénonce Roudy Stanley Penn.
 
Il fait aussi remarquer que la manière de faire de la politique en Haïti porte préjudice à la participation des jeunes.
 
« Si une élection tarde à se réaliser, un an, deux ans passent, beaucoup de jeunes qui voulaient y participer, à force de payer des experts pour étoffer leur plan, se retrouvent pratiquement ruinés. Il peut arriver qu’un jeune ayant l’intention de participer aux élections ne puisse plus, s’il n’a plus de ressources et si ceux qui le supportaient ne peuvent plus », se préoccupe-t-il.
 
L’Initiative Jeunes candidats est un projet lancé le 7 aout 2013 par des organisations de jeunes afin d’encourager la participation de ces derniers aux élections.
 
Elle a déjà mobilisé une centaine de jeunes à travers le pays, selon Roudy Stanley Penn, et les partis politiques rencontrés ont bien accueilli l’idée.
 
La loi portant formation, fonctionnement et financement des partis politiques fixe à 18 ans l’âge minimum pour intégrer un parti ou son directoire. « Ce sont des efforts déjà réalisés » et il y a un certain « dynamisme qui est enclenché », nuance Penn.
 
Les jeunes s’organisent, mais…
 
« Depuis les années 80, les jeunes sont présents dans la vie politique [et cela] jusque dans les dernières années. Mais attention ! Cette participation est instrumentalisée. Le jeune n’est pas acteur et n’a aucun contrôle du processus, même s’il est actif », explique Lens Jean François.
 
Les jeunes étaient en première ligne pour combattre la dictature de Jean Claude Duvalier. Ils l’étaient encore au tout début du processus de démocratisation du pays. Mais cet élan s’est essoufflé. Les mouvements de jeunes sont des tremplins pour la réussite sociale et de plus en plus mal vus socialement.
 
« Depuis le coup d’Etat contre le régime Lavalas en 1991, on a remarqué que ces organisations que ce soit en milieu urbain ou rural, ont commencé à disparaitre de façon systématique. Et cela n’est pas arrivé par hasard. Il y a eu tout un plan pour casser [la progression de] ces organisations », signale Lance Jean Francois.
 
Ce plan s’est opéré soit par la violence ou la criminalisation ou la clientelisation de ces organisations. Plusieurs structures plutôt spontanées appelées Organisations populaires (Op) ayant au départ un rôle social et politique sont devenues des gangs tout bonnement, phénomène observé notamment à la suite du départ en exil de Jean Bertrand Aristide en 2004.
 
Aujourd’hui, les organisations et associations sont « plus des espaces de survie » pour que les jeunes partent à l’étranger, obtiennent un petit boulot ou fuient la misère, analyse le psychosociologue.
 
« Le sauve-qui-peut s’impose encore plus aujourd’hui dans la vie des jeunes », ajoute-t-il. Et il est difficile de dire si les jeunes vont pouvoir renverser la situation, « les signes » ne sont pas visibles.
 
Pour Jean Daniel Sénat de l’Ahecs, qui considère la situation générale du pays, il ne faut pas miser uniquement sur les jeunes. « Ce ne sont ni les jeunes ni les moins jeunes, ce ne sont pas des groupes stigmatisés qui vont sortir le pays de sa situation… ».
 
Le plus important, c’est que l’on se mette déjà à réunir les conditions pour que les jeunes ne partent plus à l’étranger pour chercher les moyens de leur survie, dit-il.
 
25 septembre 2014
 
https://www.alainet.org/es/node/103857
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