Haïti le dos au mur
27/04/2004
- Opinión
Le Brésil a accepté de prendre le commandement de la force
internationale de paix des Nations Unies en Haïti à partir du
1er juillet prochain quand les Casques bleus assureront la
relève de la force menée par les États-Unis qui a ex4pulsé le
président Jean- Bertrand Aristide du pouvoir le 29 février.
Cette force armée est actuellement composée de 3.700 soldats
des États-Unis, du Canada, de la France et du Chili.
Pour sa part, le gouvernement intérimaire a signé un accord le
4 avril avec les partis politiques (parmi lesquels ne figure
pas le parti Lavalas de Aristide) et des représentants de la
société civile en vue de la tenue d'élections l'année
prochaine. Le président démocratiquement élu assumera le
pouvoir au plus tard le 7 février 2006.
Entre-temps, la population continue d'être soumise à la
pénurie et au chaos, à une quasi absence de services de base
et d'ordre public. Il n'y a plus d'électricité dans la
capitale depuis des semaines et les détritus s'amoncellent
dans les rues. Une « chasse aux sorcières » s'est déchaînée
contre les partisans d'Aristide. Beaucoup d'entre eux sont
toujours cachés mais des dizaines ont été assassinées. Les
bandes armées continuent de faire la loi à leur manière,
surtout dans la zone intérieure du pays où l'on n'a pas encore
nommé les nouvelles autorités locales. Dans certaines régions,
la nourriture manque.
Le gouvernement du premier ministre intérimaire, Gérard
Latortue, se bat pratiquement sans aucune ressources pour
rétablir un certain ordre dans ce pays de presque 8 millions
d'habitants. Le gouvernement sortant, faisant face au gel de
quelques 500 millions de dollars d'aide internationale après
avoir été accusé de fraudes fiscales, a laissé un déficit
budgétaire de 100 millions de dollars. Une bonne partie de
l'infrastructure étatique a été détruite au cours des émeutes
de février - ces dégâts sont estimés entre 100 et 300 millions
de dollars- et la capacité de collecte d'impôts est réduite à
son minimum. L'aide annoncée récemment par les Etats-Unis, de
9 millions de dollars pour la démocratie, qui sera administrée
par l'Organisation des Etats américains (OEA), ainsi que 55
millions de dollars d'aide économique et humanitaire,
paraissent être des montants dérisoires face à l'envergure des
besoins.
Le désordre public est encore aggravé par la complaisance des
autorités et de la dite force de paix envers les rebelles
armés. Ni les autorités, ni les forces étrangères ne semblent
pressées de les désarmer. Les rebelles, composés en majeure
partie d'anciens militaires ayant participé au coup d'état et
par des forces paramilitaires de droite, se rengorgent de la
qualification de « combattants pour la liberté » que leur a
reconnu Latortue, en promettant de les intégrer dans les
forces de police. Actuellement, un des leaders des rebelles,
l'ex colonel de l'armée Remissainthe Ravix, réclame également
la reconstitution de l'armée. Ravix, qui dit commander 1.681
anciens soldats, prétend que « nous sommes l'armée
haitienne ». Selon lui, il s'agirait d' « une force
constitutionnelle ». L'armée a été dissoute par Aristide quand
il est revenu au pouvoir en tant que président constitutionnel
il y a dix ans, après un intervalle de trois ans de dictature
militaire.
La complaisance des Etats-Unis avec les forces rebelles n'est
pas surprenante si l'on sait qu'ils les appuient déjà depuis
un certain temps. Fin mars, les résultats préliminaires d'une
Commission d'investigation sur Haïti ont été rendus public à
Saint-Domingue. Cette Commission, instaurée par l'ancien
procureur général des États-Unis Ramsey Clark, enquêtait sur
les événements de février. Elle a révélé que les gouvernements
américain et dominicain auraient participé à l'armement et à
l'entraînement des rebelles haïtiens sur le territoire
dominicain. La Commission a été informée du fait que les
forces spéciales américaines étaient arrivées en République
dominicaine afin de participer à des exercices militaires en
février 2003 avec l'autorisation spéciale du président
Hipólito Mejía. Ces exercices ont eu lieu plus près de la
frontière que de coutume, dans une zone à partir de laquelle
les rebelles se livraient à des attaques régulières en Haïti
contre des installations de l'Etat. Certains centres
d'entraînement se trouvaient au sein ou à côté des
installations militaires dominicaines. La Commission a
également reçu plusieurs rapports concernant le transport
d'armes depuis la République dominicaine vers Haïti, par voie
terrienne et maritime.
Désaccord dans les Caraïbes
Une vive polémique internationale s'est développée quant à la
façon dont Aristide a été forcé d'abandonner le pouvoir et
quant au rôle des Etats-Unis et de la France dans le
déroulement des événements. De nombreux courants, en
particulier au sein des gouvernements membres de la Communauté
du bassin des Caraïbes, Caricom, et le gouvernement du
Venezuela, entre autres, ne reconnaissent pas le gouvernement
intérimaire. Ils estiment que les Etats-Unis et la France ont
mené un coup d'Etat pour obliger Aristide à abandonner le
pouvoir, en infraction avec la loi internationale. La Caricom
a menacé de demander une enquête sur le sujet à l'ONU. Elle a
toutefois tardé à formaliser cette demande, laissant entrevoir
qu'elle était la cible de pressions.
La préoccupation des pays de la région est sans aucun doute
fondée. L'histoire des Caraïbes abonde en gouvernements
destitués par la volonté des Etats-Unis. Cuba et le Venezuela,
en particulier, craignent d'être la cible d'une possible
intervention américaine. Certains analystes considèrent en
outre que les Etats-Unis trépignent d'impatience à l'idée
d'établir une base militaire permanente, une plate-forme
stratégique en Haïti pour pouvoir intervenir plus facilement
dans la région. De fait, une mission de députés qui a visité
Haïti récemment, est revenue en recommandant que les Etats-
Unis prolongent leur présence dans l'île au-delà de juillet.
Entre-temps, Aristide est en Jamaïque. Il y est finalement
arrivé après son départ de la République centrafricaine où il
avait été conduit dans un avion militaire américain le 29
février. L'Afrique du Sud a fait également savoir qu'elle
était disposée à l'accueillir. Pour le gouvernement
intérimaire d'Haïti, la présence d'Aristide dans un pays aussi
proche est embarrassante. Les Etats-Unis, quant à eux,
maintiennent la pression sur l'ex président. Lorsque Colin
Powell a visité Haïti à la mi-avril il a annoncé que les
autorités américaines enquêteraient sur les liens possibles
d'Aristide avec le trafic de stupéfiants pour vérifier la
validité des accusations qui affirment qu'il a empoché des
millions de dollars issus du trafic de drogues comme l'a
affirmé un narcotrafiquant jugé à Miami ou s'il avait fermé
les yeux pour ne pas mettre en péril les contributions des
narcotrafiquants à ses programmes sociaux.
« L'intervention nous a confisqué la victoire »
A l'intérieur du pays, de nombreux secteurs sociaux et
démocratiques défendent une position plus nuancée. Les
secteurs sociaux qui réclamaient le départ d'Aristide pour sa
corruption et pour son style dictatorial de gouvernement,
accordent un soutien critique au gouvernement intérimaire en
considérant que celui-ci pourrait entamer un processus
démocratique dans le pays.
Les organisations haïtiennes, membres de l'Assemblée des
Peuples des Caraïbes, où l'on trouve entre autres des
organisations de défense des droits humains, des organisations
de développement rural, de femmes et des églises populaires,
ont publié un communiqué le 15 mars à l'attention de leurs
homologues caribéens dans lequel elles leur demandaient de
dénoncer la présence de Aristide en Jamaïque. Elles
considèrent que Aristide a trahi les objectifs et les idéaux
du mouvement populaire de 1986 (qui a eu raison de la
dictature des Duvalier), que son régime appliquait docilement
les consignes de Washington et du FMI et qu'il a détruit les
institutions du pays et une bonne partie de sa capacité
productive.
Ces organisations demandent aux ami(e)s du peuple haïtien
qu'ils les aident à consolider le processus actuel, c'est-à-
dire, qu'ils donnent la priorité à la lutte contre
l'occupation actuelle de leur territoire. Elles condamnent les
circonstances dans lesquelles Aristide a abandonné le pays,
l'intervention du département d'Etat américain dans la
politique interne du pays ainsi que l'insurrection armée
appuyée par la CIA. Elles dénoncent le fait que : « les forces
américaines sont intervenues en Haïti pour gâcher et
confisquer la victoire du peuple haïtien contre la dictature
de Aristide », en précisant que c'est Aristide lui-même, et
non le peuple haïtien, qui a demandé l'intervention de troupes
étrangères.
Source : ALAI, América Latina en Movimiento, 28-04-04.
Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL.
https://www.alainet.org/es/active/6062
Del mismo autor
- Which digital future? 27/05/2021
- ¿Cuál futuro digital? 28/04/2021
- Desafíos para la justicia social en la era digital 19/06/2020
- É hora de falar de política de dados e direitos econômicos 06/04/2020
- Es hora de hablar de política de datos y derechos económicos 01/04/2020
- It’s time to talk about data politics and economic rights 01/04/2020
- 25 de enero: Primer día de protesta mundial contra la 5G 23/01/2020
- January 25: First global day of protest against 5G 23/01/2020
- « En défense de Julian Assange » 02/12/2019
- "En defensa de Julian Assange" 29/11/2019
![Suscribirse a America Latina en Movimiento - RSS](https://www.alainet.org/misc/feed.png)