Le Pape François dans une lettre aux mouvements et organisations populaires

« Continuez à lutter et à prendre soin de chacun de vous comme des frères et sœurs »

13/04/2020
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Aux frères et sœurs des mouvements et organisations populaires

 

Chers amis,

 

Je pense souvent à nos rencontres : deux au Vatican et une à Santa Cruz de la Sierra et je vous avoue que ce « souvenir » me fait du bien, me rapproche de vous, me fait repenser à toutes nos discussions durant ces rencontres et aux nombreux projets qui sont nés et qui ont grandi à partir de ces conversations et qui sont maintenant devenus réalité. Aujourd’hui, en pleine pandémie, je pense particulièrement à vous et je tiens à vous dire que je suis proche de vous.

 

En ces jours de grande angoisse et de difficultés, nombreux sont ceux qui ont parlé de la pandémie dont nous souffrons en utilisant des métaphores guerrières. Si la lutte contre le COVID-19 est une guerre, alors vous êtes une véritable armée invisible qui combattez dans les tranchées les plus périlleuses. Une armée sans autres armes que la solidarité, l’espérance et le sens de la communauté qui reverdissent en ces jours où personne ne peut se sauver seul. Vous êtes pour moi, comme je vous l’ai dit lors de nos rencontres, de vrais poètes sociaux qui, depuis les périphéries oubliées, trouvent des solutions dignes pour tenter de résoudre les problèmes les plus graves qui touchent ceux qui sont exclus.

 

Je sais que très souvent vos mérites ne sont pas reconnus à leur juste valeur, car dans ce système vous êtes vraiment invisibles. Les solutions prônées par le marché n’arrivent pas dans les periphéries, pas plus que la présence protectrice du gouvernement. Pour réaliser sa fonction, vous n’avez pas non plus de ressources nécessaires. Vous êtes considérés avec méfiance parce que vous allez au-delà de la simple philanthropie à travers l’organisation communautaire ou pour réclamer vos droits au lieu de vous résigner à attendre de voir arriver quelques miettes de ceux qui détiennent le pouvoir économique. Vous prouvez souvent de la colère en vous sentant impuissant face aux inégalités qui persistent, et lorsque tous les prétextes sont bons pour maintenir les privilèges. Toutefois, vous ne restez pas enfermés à vous plaindre : vous retroussez vos manches et vous continuez à travailler pour vos familles, pour vos quartiers, pour le bien commun. Votre ténacité me soutient, m’interroge et m’apprend beaucoup.

 

Je pense à toutes les personnes, surtout aux femmes, qui multiplient le pain dans les cantines communautaires, en préparant avec deux oignons et un paquet de riz un délicieux ragoût pour des centaines d'enfants ; je pense aux malades, je pense aux personnes âgées. Les grands médias les ignorent. Pas plus qu’on ne parle des paysans ou des petits agriculteurs qui continuent à travailler pour produire de la nourriture sans détruire la nature, sans l’accaparer ni spéculer sur les besoins vitaux du peuple. Je veux que vous sachiez que notre Père céleste vous regarde, vous apprécie, vous reconnaît et vous soutient dans votre option.

 

Comme il est difficile de rester chez soi pour ceux qui vivent dans une petite maison précaire ou sans toit. Comme cela est difficile pour les migrants, pour les personnes privées de liberté ou pour ceux qui sont en cure de désintoxication d’une addiction. Vous êtes là, physiquement présents auprès d’eux, pour rendre les choses plus faciles et moins douloureuses. Je vous félicite et je vous remercie de tout mon cœur.

 

J’espère que les gouvernements comprendront que les paradigmes technocratiques (qu’ils soient étatiques ou basés sur le marché) ne suffisent pas pour affronter cette crise, ni d’ailleurs les autres grands problèmes de l’humanité. Aujourd’hui plus que jamais, ce sont les personnes, les communautés, les peuples qui doivent être au centre de tout, unis pour soigner, pour sauvegarder, pour partager.

 

Je sais que vous avez été privés des bénéfices de la mondialisation. Vous ne jouissez pas de ces plaisirs superficiels qui anesthésient tant de consciences. En revanche, vous devez toujours subir les préjudices qui en découlent. Les maux qui affligent tout un chacun vous frappent doublement. Beaucoup d’entre vous vivent au jour le jour sans aucune garantie juridique pour vous protéger. Les vendeurs ambulants, les recycleurs, les forains, les petits paysans, les bâtisseurs, les couturières, ceux qui accomplissent différentes tâches de soins. Vous, les travailleurs informels, indépendants ou faisant partie de l’économie populaire, n’avez pas de salaire fixe pour résister à ce moment… et les quarantaines vous deviennent insupportables. Sans doute est-il temps de penser à un salaire universel qui reconnaisse et rende leur dignité aux nobles tâches irremplaçables que vous effectuez, un salaire capable de garantir et de faire de ce slogan, si humain et chrétien, une réalité: aucun travailleur sans droits.

 

Je voudrais aussi vous inviter à penser à « l’après », car cette tourmente va s’achever et ses graves conséquences se font déjà sentir. Vous ne vivez pas dans l’improvisation, vous avez une culture, une méthodologie, mais surtout vous avez la sagesse qui est pétrie du levain de sentir la souffrance de l’autre comme la vôtre. Je veux que nous pensions au projet de développement humain intégral auquel nous aspirons, fondé sur le rôle central des peuples dans toute leur diversité et sur l’accès universel aux trois T que vous défendez : un Toit, du Travail, et la Terre inclus la nourriture,

 

J’espère que cette période de danger nous sortira du pilotage automatique, secouera nos consciences endormies et permettra une conversion humaniste et écologique pour mettre fin à l’idolâtrie de l’argent et pour placer la dignité et la vie au centre de l’existence. Notre civilisation, si compétitive et individualiste, avec ses rythmes frénétiques de production et de consommation, ses luxes excessifs et les profits démesurés pour certains, a besoin d’un changement, de se repenser, de se régénérer.

 

Vous êtes des bâtisseurs indispensables pour ce changement inéluctable. Bien plus, vous avez une voix qualifiée pour témoigner que cela est possible. Vous connaissez bien les crises et les privations… que vous parvenez à transformer avec pudeur, dignité, engagement, efforts et solidarité, en promesse de vie pour vos familles et vos communautés.

 

Continuez à lutter et à prendre soin de chacun de vous comme des frères et soeurs. Je prie pour vous, je prie avec vous et je demande à Dieu, notre Père, de vous bénir, de vous combler de son amour et de vous protéger sur ce chemin, en vous donnant la force qui nous permet de rester debout et qui ne déçoit pas : l’espérance. Veuillez aussi prier pour moi, car j’en ai besoin.

 

Fraternellement,

 

Francisco

 

Cité du Vatican, dimanche de Pâques, le 12 avril 2020

 

 

 

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