Galápagos: De patrimoine de l’humanité à porte-avions des USA ?

17/01/2020
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Análisis
portaviones_usa_en_galapagos_custom.jpg
Ilustración: ALAI
-A +A

Les USA ont toujours voulu s’approprier des Îles Galápagos (qui appartiennent à l’Équateur) invoquant la politique de Bon Voisin et la Doctrine de Monroe. Pendant la seconde guerre mondiale, ils ont occupés manu militari l’Archipel pendant 7 ans. À présent, le gouvernement de Lénine Moreno a conclu un accord avec les USA – dont le contenu est gardé secret – qui permettrait aux militaires étrangers d’utiliser l’aéroport de l’Île San Cristobal.

 

C’est au mois de juin que les Équatoriens ont appris l’intention du gouvernement de Lenín Moreno de permettre aux forces militaires étasuniennes d’utiliser les Îles Galápagos, le ministre de la Défense du Pays Andin, Oswaldo Jarrín, avait alors déclaré que « les Galápagos sont un porte-avion  naturel ». L’indignation des citoyens équatoriens et la préoccupation mondiale ont été immédiates.

 

Lors d’une conférence de Presse avec les médias étrangers, le ministre a confirmé que dans les Îles Galápagos des avions étasuniens Orion P3 et Awaks, mèneront des opérations dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic et de la pêche illégale, en assurant que depuis ces îles, ils peuvent assurer « permanence, réapprovisionnement et facilité d’interception ». Il ajoute qu’en raison de ces opérations l’aéroport de l’Île de San Cristobal sera agrandi et que les USA vont se charger d’améliorer les conditions, spécialement de réapprovisionnement. Dans le but de calmer les voix qui questionnent cette manière de livrer le pays, il conclut en indiquant que « chaque opération sera escortée par des officiers équatoriens. »

 

Tant Jarrín que Norman Wray, président du Conseil de Gouvernement du Régime Spécial des Galápagos, ont affirmé qu’il n’y aura pas d’installation d’une base militaire étrangère et que donc la Constitution ne sera pas enfreinte. Pour éviter justement que se renouvelle une situation comme l’usage de la Base de Manta par des Forces étasuniennes, la Constitution approuvée par le peuple équatorien en 2008, dit dans son article 5 :

 

« L’Équateur est un territoire de paix. L’établissement de bases militaires étrangères ou d’installations étrangères à fins militaires ne sera pas autorisé. Il est interdit de céder des bases militaires nationales à des forces armées ou de sécurité étrangères ».

 

L’article de la constitution est très clair, il signale que ne seront autorisés ni l’établissement de bases étrangères, ni celle « d’installations étrangères à des fins militaires ». Cela recouvre le projet prévu aux Galápagos : s’il ne s’agit pas d’une base au sens classique, il s’agit, sans nul doute, d’installations étrangères (avions, équipement de réapprovisionnement, personnel militaire, etc.) dans un aéroport équatorien. En plus dans ce cas, serait cédée une base à des forces armées ou de sécurité étrangères comme le stipule l’article 5 de la Constitution.

 

A son tour, le président Lenín Moreno a manifesté via un tweet, que « la surveillance aérienne est une activité conjointe entre plusieurs pays pour prendre soin de ce patrimoine mondial ». Ce qui revient à dire que pour prendre soin de ce patrimoine le concours des USA est requis, mais aussi la coopération élargie avec les gouvernements de Pérou, Chili et Colombie, « pour adopter une posture régionale face à ce genre de menaces », comme le signale Norman Wray. En termes géopolitiques, ceci signifie que l’Équateur se soumet à la géostratégie militaire des USA qui vise le contrôle de l’Amérique du Sud et de tout le Pacifique Sud-Américain en fonction de leurs intérêts et objectifs impériaux, centrés actuellement vers une intervention au Venezuela, le combat du narcotrafic, les migrations – en particulier en Amérique Centrale, et la contention de la Russie et de la Chine.

 

Mais les Galápagos ne seront pas le seul « porte-avions » d’une force aérienne étrangère dans le pays, il y en aurait deux autres : celui de Guayaquil et à nouveau celui de Manta. Selon le journal « El Comercio » du 19 juin,

 

« une fois que les aéronefs seront opératifs depuis les Galápagos, l’idée du gouvernement est de créer le dit « Triangle de Sécurité », que les Îles forment avec avec Manta et Guayaquil. Cela se met en place, en ce moment l’Orion P3 et l’Awac volent déjà depuis le Port Principal et ils peuvent également le faire depuis la capitale de la province de Manabi  [Portoviejo]».(1)

 

En effet, dès septembre 2018, les avions d’intelligence étasunienne ont opéré depuis Guayaquil, pour des « voyages de reconnaissance », des prises de photographies et des détections », selon le ministre Jarrín.

 

Jarrín, qui chapeaute le réalignement et la soumission de l’Équateur aux USA, a une longue carrière militaire et est connu pour sa position ouvertement pro-étasunienne.

 

Il a débuté sa carrière militaire en 1966 et a occupé de hautes charges à l’intérieur des Forces Armées. Le 15 janvier 2003, il avait été nommé Chef du Commando Conjoint des Forces Armées par le président Lucio Gutiérrez alors en fonction, une charge qu’il abandonna le 18 juin de la même année en raison de rumeurs de déstabilisation du Gouvernement National. (2)

 

Le journaliste Kintto Lucas, dans son livre « Ecuador cara y cruz, tome 2 » informe de l’étroite relation qui existait entre le général Jarrín et le chef du Commandement Sud des USA, James Hill, et comprenait des randonnées dans la selva équatorienne et des réunions à Miami, au cours desquelles étaient abordée la question de la « sécurité à la frontière colombo-équatorienne », Hill argumentait alors que « la position de son gouvernement était de régionaliser les Opérations du Plan Colombie ».

 

Après le renversement de Gutiérrez, le président Alfredo Palacio, le désigna comme ministre de la Défense le 19 août 2005, fonction qu’il occupa jusqu’au 29 août de 2006. En une occasion, au sujet des luttes des mouvements sociaux qui réclamaient l’attention de l’État, Jarrín parla de former « une force de paix pour l’Équateur » et signala que « l’État va avoir besoin d’un pouvoir extérieur afin de contrôler la paix et l’ordre, de reconstruire la nation et (que) probablement àl’avenir nous aurons un Haïti en Équateur ». (3)

 

Puerto Baquerizo, Isla San Cristóbal.  Photo : ETG

 

Toujours les mêmes arguments

 

La présence militaire étasunienne annoncée dans l’Archipel des Galápagos est le résultat des accords de coopération conclus entre l’actuel gouvernement d’Équateur et les USA, en particulier dans le domaine militaire. Les USA prétendent se réinstaller dans le pays andin, après une décennie de prise de distance, avec le même argument utilisé pour installer la base de Manta : le prétexte de la lutte contre le narcotrafic.

 

Il faut se rappeler que le 2 août de 2018, le Ministre de la Défense informa que les USA disposait d’une Officine de Coopération de Sécurité (OCS) en fonction, résultat d’un accord entre USA et Équateur, selon le Ministre Jarrín : « par disposition présidentielle et autorisation des Ministères des Affaires Étrangères et de la Défense. »

 

D’après le département de la Défense des USA, les OCS, font partie de l’Agence d’Assistance de Sécurité de la Défense, et leur rôle est de réaliser des actions qui « promeuvent les intérêts de sécurité spécifiques des USA, incluant toutes les activités internationales de coopération en matière d’armement et d’activités d’assistance de sécurité ».

 

Utilisant la « coopération » en guise de justification, les forces militaires étasuniennes sont de retour en Équateur dix ans après en avoir été expulsées, quand le gouvernement de Rafael Correa décida de ne pas renouveler la Convention avec les USA pour l’usage de la Base de Manta (signé en 1999 et en vigueur jusqu’à 2009), après la mobilisation et à la demande de plusieurs organisation sociales.

 

Par la médiation de cette Convention, les USA avaient installé un Poste d’Opérations Avancées (FOL sigle en anglais : Forward Operating Location), qui alla beaucoup plus loin que ce qui était convenu. Les actions arbitraires des militaires étasuniens durant leur présence à Manta, sont toujours présentes dans les mémoires : bateaux équatoriens coulés par des frégates étasuniennes ; contrôle de la migration ; affectation de l’activité des pêcheurs ; contrat signé avec la compagnie DynCorp, qui avait immédiatement été dénoncée pour activités illégales en relation avec le système d’embauche de mercenaires d’autres pays ; entre autres.

 

Ce qui est essentiel, c’est que la base de Manta, selon les paroles du commandant de la FOL, Javier Delucca, était considérée comme stratégique pour le Plan Colombie, puisque de là ils surveillaient le conflit colombien. Il a également affirmé que le rôle de la Base de Manta avait été déterminant pour le bombardement d’Angostura, (province équatorienne de Sucumbíos) par des militaires colombiens en coopération avec les USA en 2008. Bombardement dans lequel mourut le dirigeant des Farc, Raúl Reyes, en même temps que 25 guérilleros et des civils qui se trouvaient dans le campement guérillero.

 

A présent l’histoire se répète. Dans le cas de la Base de Manta, le Ministère des Affaires Étrangères et le Ministre de la Défense étaient initialement parvenus à un accord avec l’Ambassade des USA. Toute la négociation et l’accord étaient restés secrets, jusqu’à ce que la pression populaire exige que le Congrès National se prononce à ce sujet.

 

Aujourd’hui il se produit la même chose en ce qui concerne les Galápagos. En plus, malgré les déclarations des plus hautes autorités du gouvernement d’Équateur qui ont annoncé que les USA procéderaient en coopération (avec l’Équateur) dans les Îles Galápagos, le Département de la Défense US dément disant qu’il n’y a pas eu d’accord signé avec le gouvernement d’Équateur pour l’utilisation de l’aéroport des Galápagos et qu’il n’y a pas de négociations formelles en ce sens (4). Qui devons-nous croire ? Tout cela met en évidence la nécessité de ce que soit révélé exactement ce que le gouvernement équatorien a accordé aux USA dans le dos des citoyens et de l’Assemblée Nationale.

 

Le fragile milieu ambiant mis en danger

 

Il faut se rappeler que l’Archipel des Galápagos, situé à 1000 kilomètres de la côte équatorienne, a été déclaré Patrimoine Naturel de l’Humanité en 1978 par l’UNESCO, parce qu’il remplissait 4 critères qui semblent n’avoir aucune importance pour ceux qui dirigent les politiques de défense :

 

– receler des phénomènes naturels extraordinaires ou des aires de beauté naturelle ; – être un exemple remarquable de l’histoire de la Terre ;

 

– avoir certaines caractéristique et processus géo-morphologiques et géologiques ;

 

– être un exemple de processus écologiques et biologiques du cours de l’évolution des écosystèmes et de la diversité biologique et d’espèces menacées.

 

Rappelons-nous que le chercheur anglais Charles Darwin a fondé sa théorie de l’évolution des espèces sur les observations qu’il avait réalisées aux Galápagos.

 

Il a été reconnu que, en raison de son isolement et après des millions d’années d’évolution, l’Archipel des Galápagos possède un écosystème unique au monde, lequel se verrait sérieusement menacé s’il se convertissait en « porte-avions » pour les militaires étasuniens, comme l’affirme le gouvernement équatorien.

 

À une courte distance de l’aéroport de San Cristóbal se trouve l’endroit connu sous le nom de La Lobería.

Photo: ETG

 

L’ex-ministre du Milieu Ambiant et actuelle membre de l’Assemblée de la Révolution Citoyenne, Marcela Aguiñaga (dans le programme de Telesur EnClave Politica du 20-06-2019) alerte au sujet des risques d’affectation du milieu ambiant à San Cristobal, autant à cause de l’agrandissement de l’aéroport qu’à cause des opérations nocturnes prévues. Elle signale que chaque opération de cette nature requière une étude d’impact ambiantal, concernant le bruit, les ordures et déchets qui auraient un impact sur la population et les espèces qui habitent les îles, d’autant plus que l’aéroport est situé à proximité d’un centre de population et d’un lieu où vivent les loups marins, connu comme La Loberia.

 

Si San Cristobal est utilisé comme centre de ravitaillement d’avion, Aguiñaga se demande comment va être transféré le combustible à 1000 kilomètres de distance, en quelle quantité et quels sont les plans de contingence. Question qui se pose avec d’autant plus d’acuïté si on considère qu’il avait été décidé de réduire l’usage des combustibles fossiles dans les Îles. L’idée de zéro combustible fossile pour les Galápagos est née justement après une catastrophe écologique causée par le naufrage du Jessica en face du Port Baquerizo Moreno en 2001, lors duquel s’échappèrent quelques 240 000 galons de combustibles, générant un grave problème ambiantal qui affecta plusieurs espèces. (5)

 

La membre de l’Assemblée conclut que cette décision du gouvernement met en risque la réserve de la biosphère, la réserve marine d’une grande importance mondiale, et le droit des populations à vivre dans un milieu ambiant sain. Pour cela Aguiñaga annonce que l’Assemblée a demandé que comparaissent les Ministres de la Défense et du Milieu Ambiant afin d’informer du contenu des accords et des impacts et plans de contingence prévus.

 

Combat contre le narcotrafic

 

Un des arguments invoqué pour l’installation du porte-avions étasunien au Galápagos est qu’il servira pour combattre la menace des maffias du narcotrafic et du crime organisé, qui utilisent les routes de l’Océan Pacifique pour transporter la drogue dans des bateaux rapides et sophistiquées ainsi que dans des avionnettes. Le général retraité Carlos Moncayo argumente qu’il « est nécessaire d’établir une coopération avec une autre nation, comme les USA, qui disposent de la capacité opérationnelle pour affronter le crime organisé et le narcotrafic », ajoutant que l’amélioration de l’aéroport est un bénéfice pour les opérations militaires propres à l’Équateur et non pas étasuniennes. (6)

 

A ce sujet on peut exprimer les considérations suivantes :

 

Premièrement

 

Il faut commencer par préciser l’approche qui doit guider la lutte anti-drogues, indubitablement un fléau qui cause chaque année des milliers de morts et de graves problèmes pour les personnes qui les consomment. Les USA ont une vision répressive, focalisée sur la question de l’offre et transfèrent la lutte en dehors de leurs frontières, avec toutes les conséquence que cela entraîne. Une autre approche considère que le problème des drogues est, avant tout, un problème de santé publique et d’éducation. En 2016 les USA comptaient 27 millions d’addicts, quelques-uns d’entre eux disposant d’un haut pouvoir d’achat, prêts à payer n’importe quel prix pour acquérir la drogue. Tant que ne se réduira pas la demande, il sera difficile de faire diminuer l’offre. L’Assemblée Générale des Nations Unies qui a abordé le thème de la drogue en 2016 et formulé des recommandations pour réduire l’offre et la demande, signale qu’il est nécessaire de prendre des mesures autant dans les pays qui produisent la drogue que dans les pays consommateurs.(7)

 

Deuxièmement

 

La lutte contre la drogue a été utilisée par les USA comme prétexte pour renforcer leur position de contrôle et de domination géostratégique du continent. Après la chute du mur de Berlin (1989) et l’implosion de l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes (1991), sous la tutelle de la puissance du Nord, se redéfinirent les agendas des Forces Armées de la région. La « lutte contre le péril communiste » qui en grande partie fut la raison d’être des Forces Armées Latino-Américaines fut remplacée. Premièrement par la « lutte contre la drogue » et ensuite, après l’attentat des Tours Jumelles (11septembre 2001), par la « lutte contre le terrorisme ». Le combat contre les drogues interdites se convertit en problème de sécurité nationale et impliqua de manière croissante les Forces Armées. Le résultat de ces interventions dans plusieurs pays, comme le Mexique ou la Colombie, sont désastreux, comme en témoigne les chiffres des assassinat, déplacés, disparus, torturés.

 

Troisièmement

 

Dans la complexe lutte contre la drogue, quelques analystes affirment qu’il faut mettre en œuvre une stratégie intégrale, qui consiste entre autres points, à s’attaquer au contrôle des précurseurs utilisés pour raffiner le cocaïne et autres drogues illicites, dont beaucoup sont fabriqués par les pays développés ; au contrôle du blanchiment de l’argent produit par le trafic et la vente de drogues interdites qui dans sa majorité aboutit dans des paradis fiscaux et les banques des pays riches ; affronter le problème comme un thème de santé publique et d’éducation ; ne pas écarter la possibilité de la légalisation de certaines drogues interdites pour que l’état et la société disposent d’une meilleure faculté de contrôle et d’intervention dans ce domaine ; prendre en main la substitution des cultures de coca avec l’aide de l’état , combattant la pauvreté, offrant des services et la participation aux paysans.

 

A quoi servent les bases ?

 

Le rôle des bases militaires des USA tant en Amérique Latine que dans le reste du monde dans le cadre de « la guerre contre les drogues » doit être débattu parce qu’il suscite biens des doutes. En Colombie, par exemple, les 7 bases militaires que les USA ont installées dans le pays et les centaines de millions de dollars investis depuis les débuts du Plan Colombie en 2000 n’ont assurément pas servis à diminuer ni la production, ni le trafic de la cocaïne et des autres drogues interdites. L’ONU nous a appris dans le Rapport Mondial sur les Drogues que la production mondiale de cocaïne en 2017 a atteint 1.976 tonnes, soit une augmentations de 25 % par rapport à 2016. Dans ce contexte, la Colombie, avec plus de 200.000 hectares semés de cocas, produit 70 % de la production mondiale de cocaïne d’une grande pureté. (8) On pourrait dire la même chose d’Afghanistan où la production et le trafic de l’héroïne ont augmenté depuis que les USA et les pays de l’OTAN l’ont envahi en 2001, après l’écroulement des Tours Jumelles à New York. (9)

 

Les bases peuvent s’appeler FOL ou porte-avions, ce qu’il faut analyser, c’est le rôle qu’elles jouent et leurs objectifs. La chercheuse mexicaine Ana Esther Ceceña, affirme que les USA ont deux objectifs généraux : garantir le maintien du capitalisme et la prééminence des USA ; se garantir la disponibilité de toutes les richesses du monde comme base matérielle du fonctionnement du système, assurant le maintient de leurs hiérarchies et dynamiques de pouvoir… » (10)

 

Après le remplacement ou l’affaiblissement des gouvernements progressistes et parallèlement au démantèlement des organismes régionaux comme l’Union Sud-Américaine des Nations (UNASUR), le gouvernement de Donald Trump a repris l’initiative et a établi des accords militaires avec les gouvernements de droite du Brésil, d’Argentine, d’Équateur et du Guatemala qui lui ont permis de déployer une nouvelle présence militaire, qui se joint aux contingents qui sont déjà présents au Honduras, à Panama, Cuba (Guantanamo), Curaçao, au Pérou, au Paraguay et en Colombie.

 

Parmi les « dangers » et « menaces » pour son pays, le Commandement Sud mentionne Cuba, le Venezuela, la Colombie, le narcotrafic, les réseaux illicites régionaux et transnationaux, une plus grande présence de la Chine, de la Russie et de l’Iran en Amérique Latine et Caraïbe et parle d’aide à déployer face à des désastres. D’après le journaliste cubain, Raúl Capote Fernández, « l’objectif de l’empire est d’augmenter la présence militaire dans la région afin d’assurer ses intérêts hégémoniques dans l’hémisphère, de consolider un front contre le Venezuela et de perpétuer sa domination sur les immenses ressources de l’Amérique Latine et Caraïbe ».(11)

 

Photo : ETG

 

Les USA ont toujours eu un œil sur les Galápagos

 

La prétention des USA de s’emparer des Îles Galápagos à des fins militaires et stratégiques n’est pas nouvelle. Depuis qu’elles ont été intégrées à l’Équateur, en 1832, tant les USA que les autres puissances coloniales, comme la France et le Royaume Uni ont tenté de s’emparer des Îles sous divers prétextes et motifs, comptant pour cela avec la collaboration de plusieurs gouvernements équatoriens.

 

Le président Juan José Flores proposa au Royaume Unis de les leur vendre pour apurer la dette contractée pendant la lutte pour l’indépendance ; plus tard le président conservateur Gabriel Garcia Moreno en 1861 les proposa à la France qui mettrait les Galápagos et la région amazonienne de l’Équateur sous protectorat. Heureusement ces initiatives n’aboutirent pas.

 

En 1883 le sénat des USA déclara les Galápagos « terre de personne » et proclama qu’il existait de sérieux doutes concernant la souveraineté équatorienne sur les Îles. (12) La résolution fut prise après que les USA aient envoyé en Amérique du Sud le Commissaire George Earl Church avec plusieurs missions, et parmi elles celle de démontrer que les Galápagos n’appartiennent pas à l’Équateur. Face à cela, le gouvernement équatorien, par l’intermédiaire du Ministre des Affaires étrangères Antonio Flores Jijón présenta une protestation officielle, mais les prétentions des USA de s’emparer de l’archipel ne cessèrent pas.

 

En 1910, pendant le gouvernement de Eloy Alfaro, les USA offrirent à l’Équateur 15 millions de dollars pour 99 ans de séjour dans les Îles. Alfaro soumit la proposition qui était attractive pour le développement du pays au débat national, et finalement, elle fut écartée.

 

Après la construction du Canal de Panama qui permit d’unir les océans Pacifique et Atlantique, œuvre initiée par la France au 19ème siècle et conclue par les USA au début du 20ème siècle, les Îles devinrent d’un grand intérêt stratégique pour la surveillance, le contrôle et la défense du nouveau canal.

 

Pendant la première guerre mondiale (1914-1918), les USA déployèrent un grand contingent militaire dans la mer Caraïbe pour défendre le canal de Panama mais ils devaient consolider leurs défenses dans l’Océan Pacifique, d’autant plus quand les navires allemands et japonais se mirent à rôder du côté des Galápagos. A cette fin, ils exercèrent de fortes pression sur le gouvernement de Léonidas Plaza Gutiérrez pour obtenir la vente ou la location des Îles Galápagos, parmi « leurs offres alléchantes, ils offrirent de solutionner les problèmes de l’instable Trésor National » (13).

 

L’équatorien Octavio Latorre, un des plus renommé des chercheurs de l’archipel, prétend que les USA « on tout préparédès 1920 pour une occupation des Îles, sur base du fait accompli et la politique de Bon Voisin, en réalité la Loi du Plus Fort » (14). On peut ajouter que les USA ont agit sous le principe de la doctrine de Monroe synthétisé par la phrase « l’Amérique pour les (nord) Américains » énoncé dans le cadre de la lutte pour avec les anciennes puissances coloniales européennes.

 

Après que le dictateur équatorien Federico Páez ait géré en 1935 l’échec d’un emprunt aux USA, le président Roosevelt suggéra la possibilité de convertir les Îles Galápagos « en un parc national pour protéger sa faune et sa flore, dont la propriété reviendrait à tous les pays membres de l’Union Panaméricaine, parmi eux, les USA » (15). Le but était d’empêcher l’usage militaire de l’Archipel par « un quelconque pays ennemi ».

 

Prenant comme prétexte la seconde guerre mondiale, les USA occupèrent militairement les Îles Galápagos, construisant une grande base sur l’île Baltra (aussi appelée Seymour Sud) et eurent une présence sur les îles Isabela, Española, entre autres. Ils établirent également une base sur la péninsule de Salinas, territoire continental équatorien.

 

 

Le 12 décembre 1941, 36 marines étasuniens débarquèrent aux Îles Galápagos afin d’y construire un dépôt de combustible, sans qu’il existe aucun accord formel avec l’Équateur. (16) Cela se produit 5 jours après l’attaque japonaise de la base hawaïenne des USA à Pearl Harbor qui fut l’événement qui motiva la déclaration de guerre faite par les USA au Japon.

 

Des mois plus tard (le 13 septembre 1941) le gouvernement équatorien présidé par Carlos Alberto Arroyo del Rio (17), par l’intermédiaire de l’ambassadeur à Washington, Colón Eloy Alfaro avait signé un document secret par lequel l’Équateur permettait que l’aviation militaire et navale des USA effectue des vols depuis leurs bases en Amérique Centrale jusqu’aux Îles Galápagos.

 

C’est seulement après l’occupation de fait des Galápagos par les USA que furent signés les accords entre la puissance du Nord et l’Équateur pour permettre la construction de bases étrangères à Salinas et aux Galápagos.

 

Le 24 janvier 1942, les représentants des Forces Armées des USA et l’Équateur souscrivirent un accord de coopération par lequel il était permis au « général commandant la Défense des Caraïbes d’occuper les terrains de la paroisse de Salinas et d’y construire des installations militaires » et il pourrait « également installer des bouées dans les eaux territoriales de la même juridiction, et utiliser les eaux pour l’amerrissage d’avions ou l’ancrage de navires » (18)

 

Le 2 février 1942 un autre accord est signé entre l’ambassadeur Colón Eloy Alfaro et le secrétaire d’État des USA Cordek Hull par lequel les gouvernements d’Équateur et des USA conviennent d’établir des « opérations à caractère de défense continentale en eaux et territoire de l’autre. » « Se servant de cette autorisation, mais sans avoir un statut précis et concret à ce sujet, ni une référence directe aux Îles, ni même une notification, les USA avaient occupé avec une base militaire l’île Seymour Sud (ou Baltra), et installé des stations de surveillance en d’autres lieux de l’Archipel » affirme l’écrivain Alfredo Luna Tobar. (19)

 

Le gouvernement de Arroyo del Rio céda les Galápagos aux USA « en accomplissement et conformité avec les pactes multilatéraux en vigueur, coopérant avec efficacité à la défense continentale, et donnant une preuve effective de solidarité américaine », selon ses propres paroles. Il le fit de manière gratuite « pour qu’il soit démontré que nous agissons sous l’impulsion d’un idéal et non avec le but mercantiliste de faire commerce avec le territoire national » et de manière temporaire « autrement dit, tant que dure le conflit belliqueux mondial et uniquement pour cette durée, les bases devront être restituées à la fin de cette conflagration, sans affecter notre souveraineté. » (20)

 

La guerre mondiale s’acheva en 1945 mais les militaires étasuniens restèrent aux Galápagos jusqu’en 1948. Le 1erjuillet 1946 eu lieu un acte officiel de restitution des Îles aux autorités équatoriennes, cependant les militaires des USA y séjournèrent de fait jusqu’en décembre 1948.

 

Les USA non seulement n’ont pas payé le moindre dollar pour occuper les Îles Galápagos, en plus quand ils se sont retirés, ils se défirent ou détruirent «des tonnes d’objets en tous genres et qualités» invoquant une clause secrète qui disait « à restituer telle que vous l’avez reçue ». Au lieu d’offrir l’infrastructure et la machinerie à l’Équateur, un pays qui leur avait facilité l’accès aux îles sans condition, les avions étasuniens larguèrent des falaises des îles ou dans la mer une grande quantité de matériel de la base en bon état comme les équipements hospitaliers, radios, pièces de rechanges d’avions et d’automotrices, vaisselle, etc. (22) Ils firent quelque chose d’équivalent à la base de Salinas, dont ils avaient délogés plus d’une centaine d’habitants auxquels ils donnèrent des indemnisations dérisoires. (23)

 

Mais ce qui oui resta sur l’île ce furent les passifs ambiantaux. On n’a pas connaissance d’une étude d’impact sur le milieu ambiant que laissa le passage des militaires des USA par les Galápagos, mais il est facile de déduire que la construction de la piste aérienne de Baltra, le bruit constant et les atterrissages d’avion tuant les iguanes, la production quotidienne d’ordures et de déchets de plus de 10 000 effectifs qui y ont transité pendant cette période, ont affecté la flore et la faune des Îles.

 

L’archipel des Galapagos, situé à 1 000 kilomètres de la côte équatorienne, a été déclaré site du patrimoine mondial naturel en 1978 par l’UNESCO. Photo: ETG

 

Pour finir

 

Les annonces des autorités équatoriennes relatives à la présence militaire étrangère dans l’Archipel des Galapagos essayent de minimiser les impacts que cela aura et de tranquilliser les citoyens, mais il y a des inquiétudes concernant la parole officielle surtout à cause des contradictions et du secrétisme qu’il y a autour de tout ce qui concerne ce sujet comme cela s’était déjà produit durant l’occupation des Îles Galápagos pendant la seconde guerre mondiale et lors de l’installation de la base de Manta en 1999. Face à cela il est légitime de poser quelques questions. Quel est le contenu et la portée des accords de coopération avec les USA ? Combien de temps durera l’occupation non seulement de l’aéroport des Galápagos mais aussi de Guayaquil et Manta ? Quel est le statut légal du personnel militaire des USA ? (24)

 

Il incombe à l’Assemblée Nationale de prendre connaissance et approuver cette sorte d’accords internationaux. Quelques membres de l’Assemblé ont montré leur préoccupation quant à la présence militaire des USA dans les Îles Galápagos, mais il existe de sérieux doutes concernant ce qu’il est possible de faire avec l’Alliance de la droite qui dirige actuellement l’Assemblée Nationale, présidée par le moréniste César Litardo.

 

La balle est à nouveau sur le terrain du champ populaire, dont la première tâche sera d’exiger que soit donnés à connaître tous les accords signés par le gouvernement de Lenín Moreno avec les USA, et en second lieu il faudra déployer de nouvelles luttes, comme celles menées dans la première décennie de ce siècle qui ont permis d’expulser les militaires étasuniens de la base de Manta et d’Équateur. Cette fois la lutte est pour la défense des Îles Galápagos en tant que Patrimoine de l’Humanité et pour la souveraineté nationale, et pour un but de plus large portée celui de préserver l’Amérique Latine comme territoire de paix, tel que l’a déterminé la Communauté des États Latino-Américains et Caraïbes (CELAC).

 

Notes

 

1.El Comercio, Naves de EE.UU. ocuparán pista de aeropuerto de Galápagos una vez al mes, 9-06-2010, Naves de EE.UU. ocuparán pista de aeropuerto de Galápagos una vez al mes  (consulté le 02/07/2019)

 

2.La Hora, En FFAA y Policía: Cambios sorpresivos, 18-06-2003, En FFAA y Policía: Cambios sorpresivos – La Hora , (consulté le 02/07/2019)

 

 3.El Universo, Jarrín habla de fuerza de paz para Ecuador, 22-02-2006 , Jarrín habla de fuerza de paz para Ecuador – FEB. 22, 2006 – El País – Historicos – EL UNIVERSO (consulté le 29-06-2019)

 

4.Mayor Chris Mitchell, Porte Parole du Pentagone, cité par Gisell Tobías, Voz de América, Washington.

 

5.El Telégrafo, Un buque encalló en Galápagos sin que haya derrame de contaminantes, 28-01-2015, Un buque encalló en Galápagos sin que haya derrame de contaminantes (Consulté le 29-06-2019)

 

6.Entrevue avec le général (r) Carlos Moncayo, Radio Pichincha Universal, 25-06-2019, Quito, Portaviones en Galápagos no implican entrega de soberanía, según general en servicio pasivo – Pichincha Universal (consulté le 29-06-2019)

 

7.Nations Unies,  « Declaración Política y Plan de Acción sobre Cooperación Internacional hacia una Estrategia Integral y Equilibrada para contrarrestar el Problema Mundial de las Drogas », www.unodc.org

 

8  Revista Semana, Producción de cocaína crece en el mundo y Colombia aporta el 70%, 26-06-2019, 
Producción de cocaína crece en el mundo y Colombia aporta el 70% , Bogota, (consulté le 2/7/2019)

 

9. Vicky Peláez, El opio, ¿el pretexto real de la guerra en Afganistán?, 28-06-2017,

El opio, ¿el pretexto real de la guerra en Afganistán? , consulté le 2/7/2019

 

10.James Patrick Jordan, Resistiendo las bases militares y las estrategias del Pentágono en Latinoamérica, 29/01/2018https://www.alainet.org/es/articulo/190678 , (consulté le 2/7/2019).

 

11. Raúl Capote Fernández, Bases militares de EE.UU. en América Latina y el Caribe. El Plan Suramérica, 9 de agosto de 2018,

 

http://www.granma.cu/mundo/2018-08-09/bases-militares-de-eeuu-en-america-latina-y-el-caribe-el-plan-suramerica-09-08-2018-17-08-04, (consulté le 02/07/2019)

 

 12. Hugo Hidrovo, Baltra-Base Beta, Ministère de la Culture d’Équateur, Quito, 2008, p.31

 

 13.Ibid, p.58

 

 14.Octavio Latorre, Historia humana de Galápagos, Artes Gráficas Señal, Quito, 2011, pp. 182-183

 

 15.Jorge W. Villacrés Moscoso, Las ambiciones internacionales por las Islas Galápagos, Maison de la Culture équatorienne, Guayaquil, 1985, p. 97

 

 16.Alfredo Luna Tobar, Historia Política Internacional de las Islas Galápagos, Ediciones Abya Yala, AFESE, Quito, 1997, p. 269)

 

 17. En Équateur on n’a pas accordé à l’occupation militaire des Galapagos l’importance qu’elle méritait, parce que l’attention était focalisée sur l’invasion militaire par le Pérou de l’Équateur qui a commencé le 5 juillet 1941 et se termina en janvier 1942 avec la signature du Protocole de Rio de Janeiro par lequel l’Équateur perdit 200 000 kilomètres carrés de son territoire. Dans le contexte de la seconde guerre mondiale, ce traité fut imposé à l’Équateur par la force. Un des pays garant du même fut les USA. Le gouvernement pro-étasunien et répressif d’Arroyo del Rio qui signa ce document fut renversé par une insurrection populaire le 28 mai 1944.

 

18.Équipe de Haut Niveau d’Analyses, Enquêtes et Publications, Ministère de Relations Extérieures y Mobilité Humaine, Bases Militares Norteamericanas en el Mundo, Capítulo Especial Ecuador, Quito, 2016, pp. 82-83

 

 19. Op. Cit., Alfredo Luna Tobar, pp.274-275

 

 20.Op. Cit. Hugo Idrovo, p. 128

 

 21. Ibid.  p102

 

 22. Ibid. p. 102

 

 23. Op. Cit., Equipo de Alto Nivel…, p. 115

 

 24. L’Accord sur la base de Manta publié le 25 novembre 1999 concède l’immunité diplomatique au « personnel étasunien et personnel dépendant en Équateur » et détermine que « dans l’éventualité où les autorités équatoriennes détiendraient un membre du personnel étasunien ou du personnel dépendant, elles devraient le notifier aux autorités des USA afin de coordonner une rapide remise entre leurs mains [du détenu]. Sur base de ces articles, l’assassinat de Pablo Vincente Jamarillo commis à Quito supposément par Peter Kamilowicz, membre de la sécurité de l’ambassade des USA et celui de Victor Manuel Mieles, commerçant de Portoviejo dont l’auteur présumé est Damon Pyler, fonctionnaire de la base de Manta restèrent impunis. Ce passera-t-il la même chose aux Galapagos ? Voir : Coalition No Bases Ecuador, Base de Manta, ojos y oídos del Plan Colombia, Quito, 2007, pp. 19-44-45.

 

NDT : J’ai choisi de traduire dans ce contexte « medio ambiante » par milieu ambiant plutôt que par environnement, en effet ces deux concepts supposent différentes manières d’être au monde, deux ontologies différentes. L’environnement comme cet extérieur qui nous entoure répond à une conception occidentale, le milieu ambiant dont on est partie suppose une autre manière de voir et percevoir le monde, comme celle développée en Amérique Latine depuis les cosmo-visions des Peuples Originaires.

 

 

 Article original en espagnol: Galápagos: ¿de patrimonio de la humanidad a portaviones de EEUU?, Alai, le 2 juillet 2019

 

Traduction par Anne Wolff

 

Copyright © Eduardo Tamayo G. et Helga Serrano Narváez, Alai, 2019

 

Mondialisation.ca, 08 juillet 2019

 

https://www.mondialisation.ca/galapagos-de-patrimoine-de-lhumanite-a-porte-avions-des-usa/5635180

 

 

 

https://www.alainet.org/de/node/204251?language=es
America Latina en Movimiento - RSS abonnieren