Chypre : La troïka persiste et signe
Le premier « corralito » européen
21/04/2013
- Opinión
Comme en Espagne, le modèle de développement avec le taux de croissance élevé des années 2000 en large partie dû au secteur de construction et du tourisme semble avoir atteint ses limites. Chypre est secouée par les politiques d’austérité qui traversent la Grèce, les attaques spéculatives et les pressions de ses créanciers. Pourtant, la dette publique chypriote ne dépasse le niveau requis par Bruxelles (60% du PIB) qu’après l’éclatement de la crise en Europe et passe de 48.9% en 2008 à 71,1% en 2011. Elle serait de 84% du PIB au troisième trimestre 2012 selon Eurostat[1] et pourrait dépasser les 109 % du PIB cette année.
Suite à de nombreux rebondissements, finalement, ce ne sont plus 18 milliards dont a besoin le gouvernement chypriote pour la période 2012-2016 mais au moins 23 milliards d’euros. Alors que les négociations courent toujours entre les autorités chypriotes et russes sur la restructuration du prêt de 2,5 milliards d’euros accordé en 2011 à Chypre par la Fédération de Russie, la troïka a donné son verdict avant d’être validé par les Parlements nationaux[2] : l’austérité, comme on pouvait s’y attendre, sera brutale voire mortelle et dévastatrice à Chypre. En échange d’un prêt de 10 milliards d'euros (9 milliards de la zone euro, via le Mécanisme européen de stabilité (MES), et 1 milliard du FMI), la troïka impose ses recommandations habituelles :
- allongement de la durée du travail en repoussant l’âge de départ à la retraite de deux ans ;
- réduction de 4500 fonctionnaires jusqu’en 2016 ;
- gel des pensions retraites et salaires jusqu’en 2016 ;
- augmentation de 17 à 19% de la TVA à raison d’un point en plus par an en 2013 et en 2014 (le taux réduit de TVA augmentera de 8% à 9%) ;
- augmentation des impôts/taxes sur le tabac, l’alcool, l’énergie, les transports et l’essence ;
- coupes claires dans l’éducation et la santé...
Chypre rejoint ainsi le club des pays sous perfusion de la troïka. La population chypriote est sommée de se serrer la ceinture pour sauver des banques privées insouciantes et irresponsables qui ont perdu des milliards en spéculant sur la dette grecque.
Sur les 10 milliards « d’aide », seulement 3,4 milliards doivent servir au besoin de financement du gouvernement. 2,5 milliards sont destinés à recapitaliser le secteur bancaire (la somme totale nécessaire est estimée à 10,4 milliards d’euros) et les 4,1 milliards restant repartiront aussitôt en remboursement de la dette arrivant à échéance.
Signalons au passage que le montant prêté par la troïka est à peu près équivalent à la fortune de 11,5 milliards de dollars détenue par le milliardaire chypriote John Fredriksen. D’après Forbes, les 3 milliardaires de Chypre totalisent 13,6 milliards de dollars.[3]
Mais ce n’est pas tout, pour satisfaire ses créanciers, le pays doit dégager 13 milliards d’euros, au lieu des 7 milliards prévus fin mars. Ces 13 milliards supplémentaires (soit 75 % du PIB annuel actuel de l’île) seront à la charge des Chypriotes qui pâtissent d’un effondrement de leur pouvoir d’achat et dont le taux de chômage a brutalement augmenté de 3,7% en 2008 à 14% en février 2013.[4]
Chypre, ce paradis fiscal de moins de 1,5 millions d’habitants où les entreprises ne payent officiellement que 10% d’impôt sur leurs bénéfices, devrait s’engager à porter ce taux au niveau de celui de l’Irlande à 12,5 %. Une bien maigre compensation suite à la chute vertigineuse de cet impôt de 9 points qui était de 19% en 2000. Par ailleurs, le programme de privatisations est porté à 1,4 milliard d’euros et la banque centrale doit vendre une partie de l’or qu’elle détient en réserve pour 400 millions d’euros.
La particularité de cette crise est qu’elle met en doute la sécurité des dépôts bancaires de la population, dorénavant, on touche au portefeuille des citoyens. Le projet initial élaboré en mars prévoyait d’instaurer une taxe exceptionnelle de 6,75 % sur les dépôts bancaires en-deçà de 100 000 euros et de 9,9 % au-delà de ce seuil. Il a été rejeté par le Parlement le 19 mars 2013. Après avoir été empêchée de violer sa propre loi protégeant les avoirs bancaires de moins de 100 000 euros par les députés chypriotes, l’Union européenne propose désormais de mettre à contribution les dépôts de plus de 100 000 euros à hauteur de 60 % selon le FMI. Malgré un soi-disant contrôle sur les capitaux et la fermeture des banques pendant 12 jours en mars, d’énormes fuites ont eu lieu sous les yeux de la BCE.
Cela rappelle fortement la crise argentine de 2001 lorsque le " corralito " fut décrété le 1er décembre 2001 (il resta en place jusqu’au 1er décembre 2002) et entraîna la chute du gouvernement de Fernando de la Rúa trois semaines plus tard. Ce qui se passe à Chypre, bien que ne représentant que 0,2 % de l'économie de la zone euro (son PIB annuel est d’environ 17,8 milliards d'euros), constitue une première en Europe et a de fortes probabilités d’étendre la crise de la zone euro et au-delà. Malgré les récents discours du FMI appelant à réduire l’austérité, l’institution persiste et signe. Il s’agit de contrôler la mise en œuvre des politiques austéritaires afin de poursuivre les mêmes objectifs d’ajustement. L’austérité doit passer coûte que coûte, outre la réprobation de la Cour constitutionnelle comme au Portugal ou l’impasse au Parlement comme en Grèce[5].
Le problème des banques chypriotes, c'est la dette grecque que les banques du Centre leur ont refourguée
Les actifs du système financier chypriote, extrêmement exposé à la dette grecque, sont devenus 8 fois plus importants que le PIB du pays. En 2009 et 2010, les banques privées chypriotes - dont les 2 plus importantes, la banque Laiki et la banque de Chypre – ont massivement investi en bons de la dette grecque à hauts risques à la recherche de rentabilité sur le marché secondaire (où s’échangent les bons de la dette « d’occasion ») et cela alors que les autres banques européennes tentaient par tous les moyens de s’en défaire. La Deutsche Bank a ainsi pu se débarrasser de ses titres de la dette grecque pour les revendre à bon prix aux banques de Chypre. Avec la dévaluation des bons de la dette grecque négociée avec la troïka et la Grèce en décembre 2012 comme condition au déblocage d’une nouvelle tranche d’endettement, les détenteurs de la dette grecque ont été soulagés et c’est tout le système bancaire chypriote qui a subi d’énormes pertes. La banque Laiki et la banque de Chypre se sont alors effondrées. Une fois encore la population est appelée à sauver la mise d’un secteur bancaire privé qui a perdu des milliards en spéculant de manière totalement aberrante.
Article publié en Espagne dans la revue Diagonal, le 19/04/2013. https://www.diagonalperiodico.net/global/bancos-la-europa-central-arrastran-chipre.html
[1] Eurostat, 23 janvier 2013. http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/2-23012013-AP/FR/2-23012013-AP-FR.PDF
[2] Le 18 avril 2013, les députés allemands du Bundestag ont approuvé le plan. Sur les 600 députés présents, 486 ont voté oui, 103 ont voté contre et 11 se sont abstenus.
[3] The World’s Billionaires, Forbes 2013. http://www.forbes.com/billionaires/#page:1_sort:0_direction:asc_search:_filter:All%20industries_filter:Cyprus_filter:All%20states
[5] Les 2 premiers Memorandum de la troïka ne sont pas passés devant le Parlement grec, violant ainsi la Constitution.
https://www.alainet.org/pt/node/75528?language=es
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