Quelle intégration pour l’Amérique du Sud ? Retour sur les sommets de Cochabamba
- Opinión
Les deux rencontres qui ont eu lieu à Cochabamba en Bolivie - le Sommet sud-américain des Nations (8 et 9 décembre) et le Sommet social pour l’intégration des peuples (du 6 au 9 décembre) - sont un nouveau signe des changements que vit actuellement l’Amérique latine. Cependant, il est encore tôt pour juger si le processus d’intégration qui s’ébauche dans le sud du continent marquera réellement un nouveau cap pour le développement économique, politique et social, ou s’il ne sera qu’une prolongation du modèle antérieur, enrobé d’un discours innovant.
Alors que le Sommet officiel a obtenu de timides progrès dans les accords pour institutionnaliser le processus d’intégration sud-américaine, le Sommet social, pour sa part, a été marqué par les avancées proposées par les mouvement sociaux de la région qui cherchent à donner corps à un modèle d’intégration mettant en avant les droits humains, la justice sociale, la coopération entre les peuples et la solidarité. Dans ce dernier rassemblement, quelque 4 400 personnes (chiffre qui dépasse de 50% ce qu’on attendait), principalement des réseaux et des organisations sociales d’Amérique latine et de Bolivie, ont participé aux ateliers, aux débats et aux 14 tables rondes thématiques ou sectorielles qui ont élaboré des propositions à présenter aux gouvernements et aux peuples de la région.
Le caractère des deux sommets - surtout le social - a été fortement marqué par la réalité du pays d’accueil,
Confronter les visions
Le Sommet social n’a pas eu la prétention d’être un contre-sommet, mais plutôt un espace d’accompagnement, de proposition et de dialogue avec le Sommet officiel - sans écarter la critique -, à partir d’un espace autonome des mouvements sociaux et citoyens. S’il est vrai que l’appui du gouvernement bolivien a été important, ce sommet a eu néanmoins le caractère d’un rassemblement auto-organisé par les mouvements et les organisations sociales regroupés dans l’Alliance sociale continentale,
Selon le Manifeste de Cochabamba [[1]], la déclaration politique du Sommet social, on vit actuellement un « nouveau moment politique et social, avec la formation de gouvernements sensibles aux demandes populaires qui se distancient du programme du gouvernement des États-Unis et des transnationales et qui cherchent un chemin qui leur soit propre » ; cette conjoncture constitue une « opportunité historique... d’avancer vers une véritable intégration souveraine et pour les peuples ».
En plus des débats internes, des espaces formels de dialogue avec le Sommet sud-américain ont été créés : une délégation a été invitée à l’espace officiel pour échanger avec les vice-présidents des 12 pays de la région. Cette délégation a présenté ses inquiétudes et ses propositions sur le caractère général de
Divers-es participant-e-s ont souligné que le Sommet est arrivé à une vision plus élaborée et solide des différents thèmes, comme on peut le voir dans les textes de conclusion des 14 tables rondes [[2]]. La volonté de promouvoir une intégration qui ne soit pas construite sur le libre-échange « fondé sur l’exportation de produits de base et de biens naturels, sur l’endettement et l’inégale distribution de la richesse », selon le Manifeste de Cochabamba, s’est aussi renforcée.
Cependant, beaucoup de personnes expriment aussi leur préoccupation sur certaines tendances présentes dans le sommet officiel. Il est certain que sous beaucoup d’aspects
Ce projet, qui consiste en 300 mégaprojets pour améliorer la connexion physique du continent, a justement été durement critiqué lors du Sommet social parce qu’il répond uniquement aux intérêts des grands groupes économiques. Il prévoit la construction de grands axes qui constituent autant de corridors d’exportation « générant sur leur passage des corridors de misère et l’augmentation accélérée de la dette », comme le signalent les conclusions de la table ronde sur ce thème. Cela correspond à un modèle économique d’exportation de matières premières et d’extraction de biens naturels.
Le Sommet social : avancées dans les propositions
Les réunions thématiques du Sommet social pour l’intégration des peuples ont abordé les questions de la militarisation, de l’eau, du commerce, de l’agriculture, de la terre et des territoires, de l’énergie, de la revalorisation de la feuille de coca, de la justice et de l’impunité, des migrations, des infrastructures, de la communication, du financement, de l’environnement et des industries d’extraction minières, des droits sociaux et des peuples autochtones. Les tables rondes sur l’énergie, les infrastructures et les peuples autochtones ont été particulièrement productives.
Les récentes mesures, en Bolivie notamment, pour récupérer le contrôle et les bénéfices des hydrocarbures, ont servi de point de départ aux débats sur l’énergie. Les propositions insistent sur la nécessité de renforcer les entreprises publiques, de nationaliser les réserves énergétiques, de garantir l’accès de tous à l’approvisionnement énergétique et de développer un modèle gaspillant moins d’énergie.
Pour ce qui est des infrastructures, il y a eu des progrès dans la formulation d’une contre-proposition à l’IIRSA qui appelle à la construction d’« infrastructures pour l’intégration et le développement des communautés de tous les pays d’Amérique du Sud, étant entendu qu’elles doivent inclure des aspects politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux ». Cela passe par la rénovation des chemins de fer, la création d’entreprises publiques de transport maritime et par l’interconnexion des réseaux de télécommunications.
Les peuples autochtones, de leur côté, ont élaboré une proposition dans laquelle ils revendiquent l’intégration régionale qu’eux-mêmes sont en train de mettre en œuvre, partant du principe qu’ « aujourd’hui nos peuples doivent être les acteurs d’une intégration pour Vivre Bien en termes d’identité culturelle, d’harmonie entre nous et avec notre mère la terre ». La proposition souligne que « nous ne sommes pas le folklore des démocraties et nous ne demandons pas seulement des droits sectoriels. Nous sommes des acteurs cherchant à obtenir des changements structurels allant dans le sens du Tout Pour Tous ». Les propositions indigènes touchent d’autres thèmes (comme les industries d’extraction minières, l’eau, l’environnement) et ont influencé les différentes propositions finales ; et ce d’autant plus qu’il s’agit aujourd’hui de répondre à des réalités politiques qui exigent des réponses plus urgentes.
L’appel indigène porte sur des thèmes divers et, notamment la nécessité de politiques publiques interculturelles, la représentation directe des peuples indigènes au sein de
Quelques thèmes ont été récurrents dans les différents espaces thématiques : ainsi par exemple presque toutes les tables rondes demandent des mécanismes concrets pour garantir la participation citoyenne au processus d’intégration. Plusieurs tables exigent l’abrogation des traités bilatéraux de protection des investissements et refusent la présence militaire étrangère dans le sous-continent, et en particulier le Plan Colombie.
D’autres propositions ont été avancées : faire de l’accès à l’eau un droit humain, interdire sa privatisation, protéger les réserves d’eau et préparer une convention sud-américaine de l’eau ; sur la question des droits sociaux, l’élaboration d’une charte sociale de l’Amérique du Sud et l’établissement d’une citoyenneté régionale ; sur la question du financement, une juridiction pour les dettes, un fonds commun de réserve et la création de
Le Sommet social s’est caractérisé aussi par l’affirmation des diversités. Par exemple, on a pu noter la présence du secteur LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) qui a participé à la commission d’organisation et s’est mobilisé dans tout le pays pour apporter sur les divers thèmes des propositions en lien avec la lutte contre la discrimination basée sur l’identité. De leur côté, les femmes se sont « autoconvoquées » pour revendiquer un droit de parole et de présence dans les processus d’intégration des peuples. S’il est vrai qu’en règle générale ces diversités ont été reconnues, les protestations n’ont pas manqué face à la présence majoritaire d’hommes aux postes de représentation et devant certaines expressions de sexisme et d’homophobie.
Pour l’avenir, il reste un autre défi, car il ne suffit pas de faire de bonnes propositions, il faut aussi consolider les forces sociales qui les feront avancer. S’il est vrai que l’on part avec des acquis importants des mouvements sociaux dans la région, il reste encore à définir comment réorienter et soutenir le dynamisme et les divers niveaux d’articulation obtenus par
Le Sommet officiel : le poids de
Mais c’est surtout dans les accords institutionnels que l’on commence à entrevoir la proximité du projet avec les modèles antérieurs d’intégration, avec le risque qui s’en suit d’hériter de ses défauts et de ses travers. Ainsi, par exemple, une coopération des secrétariats de
U
Un développement plus complet de certains thèmes se trouve dans le second document émis par le Sommet officiel,
Divers acteurs des mouvements sociaux remettent en question ce processus qui est perçu comme trop marqué par les influences cumulées de
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RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : ALAI, Agencia Latinoamericana de Información (http://www.alainet.org/index.phtml.es), 14 décembre 2006.
Traduction : Jacqueline Blanchy, pour Diffusion d’information sur l’Amérique latine (DIAL - http://www.dial-infos.org/). Traduction revue par l’équipe du RISAL.
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