Rien de nouveau sous le soleil du quotidien politique en Haïti !

02/09/2013
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Il semble que nous ne faisons que tourner en rond, faire du surplace, coudre et recoudre - comme dans la tragédie homérique de L’Iliade - les tissus de notre triste histoire de peuple, maintes fois déchirés par les mauvaises mœurs et pratiques politiciennes de nos gouvernants.
 
Les citoyennes et citoyens de ce pays, nous respirons un air de déjà-vu, en voyant défiler, devant nos yeux, avec une mixture de frayeur et d’humeur, les vieilles crises politiques, les mêmes discours des voix tonitruantes trop connues, les menaces maintes fois proférées et les éternels scénarios apocalyptiques pointant à l’horizon.
 
Retour au chef d’œuvre « Le Manuscrit de mon Ami », en quête d’éclairage
 
La lecture de « Le Manuscrit de mon Ami » - de l’écrivain miragoânais Fernand Hibbert (1873-1928) - nous laisse patois, tant que ce chef d’œuvre décrit si bien les impasses, auxquelles fait face actuellement notre pays.
 
Mort suspecte d’un juge en charge du dossier de corruption impliquant la famille présidentielle, des conflits d’intérêts et d’ego entre les pouvoirs (Exécutif et Parlement), abus de pouvoir contre les droits et libertés fondamentales, dont celle de la presse, présidentialisme outrancier et surtout ce sentiment citoyen de déception et de désespoir face à l’avenir incertain du pays…
 
Agrémenté de réflexions philosophiques sur la vie, en général, et de passages romancés de la biographie de son auteur, « Le Manuscrit de mon Ami » passe en revue, avec lucidité et luminosité, tous les problèmes qui font le lot du quotidien politique du pays aujourd’hui.
 
La banalité de la mort et la gratuité du mal
 
Dans ce pays, la mort est banale.
 
« On » tue ceux qu’on croit être « un obstacle à l’état de chose ».
 
Serait-ce une stratégie psychologique pour contrôler la situation politique, les crises à répétitions, se demande Hibbert, perplexe ?
 
Notre romancier va plus loin.
 
Il avance une hypothèse qui refait surface aujourd’hui : il faut que certaines personnes, à l’instar du personnage Yoyo, meurent, et ce « en vertu d’un plan machiavélique », ourdi dans l’ombre et mis en œuvre par des mains cachées, manœuvrant des marionnettes.
 
Et l’auteur nous invite à nous incliner et à prier « pour le repos de l’âme de l’infortuné Yoyo et de tous les ‘Yoyo’ passés et futurs ». De tous ces citoyens qui sont assassinés avec impunité et, comme seule raison valable, il s’agit d’ « une mauvaise fortune qui poursuit ce pays ».
 
La liste des victimes est trop longue pour l’énumérer ici : citons simplement les noms de Jean Dominique, Jean Marie Vincent, entre autres.
 
Pas la peine de demander que justice soit faite !
 
C’est un pays qui « gaspille » ses citoyens, dont celles et ceux figurant parmi les meilleurs. La banalité de la mort et la gratuité du mal !
 
Un peuple aliéné, dirigé par des gouvernants intéressés uniquement au pouvoir
 
Le sénateur Bergier, toujours avec son « discours biscornu », se dit inquiet de « l’attitude du vieux président », mais laquelle ?
 
C’est que le sénateur n’arrive pas encore à déchiffrer la pensée intime du « chef » autour du thème transcendantal pour nos hommes et femmes politiques : le pouvoir et, de façon concrète, les élections ou la réélection.
 
Et, selon Hibbert, « il n’y a pas lieu de s’occuper de ce que feront nos gouvernants - par la raison que leur unique préoccupation est de vivre au jour le jour ».
 
Nous ne sommes pas encore un peuple civilisé, parce que nous ne faisons pas des prévisions lointaines, renchérit Hibbert.
 
Aujourd’hui, nous comprenons pourquoi la prévention des risques sismiques, la planification de la reconstruction post-séisme à long terme, la mise en œuvre de projets de logement à long terme, cela ne nous intéresse pas avec la même intensité que les conflits entre les pouvoirs, les engueulades de nos gouvernants, le carnaval, les élections, etc.
 
Nous vivons le présent, le prochain ; mais le futur, le lointain, que le bon Dieu ou nos loas s’en occupent !
 
Un peuple « non civilisé », dirigé par des gouvernants « sauvages », qui, selon Hibbert, ne pensent qu’au pouvoir et « au jour le jour ».
 
Le présidentialisme, l’un des grands maux du pays
 
Hibbert présente les œuvres de nos présidents, tels que « des Rivière Hérard [1], des Faustin Soulouque [2], des Sylvain Salnave [3], des Michel Domingue [4] et autres mauvais plaisants ivres de sang, d’or et d’honneur et qui ont été au-dessous des hautes fonctions - où ils s’étaient juchés - en préparant, au milieu de démonstrations surannées, de propos insanes et de salves puériles » (on pourrait continuer la liste jusqu’à aujourd’hui, avec quelques exceptions près).
 
Œuvres, qui « attestent la faillite imméritée de la nationalité haïtienne ». En revanche, l’auteur affirme qu’ « il est plus glorieux et plus honorable pour un pays d’avoir produit des Thomas Madiou, des Beaubrun Ardouin, des Saint-Rémy, des Edmond Paul, des Delormes, des Edmond Laforest, des Price, des Oswald Durand (pour ne parler que des morts), dont les œuvres attestent la vraie valeur haïtienne ».
 
Heureusement, il y en a d’autres illustres Haïtiennes et Haïtiens qui ont pris la relève.
 
Hibbert profite pour mettre la main sur une autre plaie qui ronge le pays : les attaques orchestrées contre les journalistes dans l’exercice de leur métier. Par exemple, sa plume de journaliste lui a valu (à J.J. Audain) la prison et l’exil, parce que « il a eu maille à partir avec tout le monde : avec les gouvernements et avec les conseils communaux… »
 
Combien est-il difficile de « soutenir dans ce pays le droit de la liberté de penser » ?
 
Question plus qu’actuelle !
 
Un pays, qui devrait admirer ses intellectuels, ses braves hommes, ses journalistes courageux (comme J.J. Audain) et toutes ses filles et tous ses fils qui font la fierté haïtienne, au lieu d’encenser ces gouvernants ivres de sang, d’or, d’honneur et au verbe insane !
 
C’est Fernand Hibbert qui parle dans son livre « Le Manuscrit de mon Ami », publié d’abord en feuilleton dans le journal Le Matin en Juillet 1910.
 
Que nous est-il permis d’espérer ?
 
Pourtant, face à ce tableau sombre, Hibbert nous déconseille de nous plaindre que « la vie n’est pas supportable en Haïti ».
 
Il nous convoque plutôt à jouir des beautés de notre pays, par exemple à déguster « nos splendides nuits de lune », « faire des promenades sur ce lac qu’est la rade de Port-au-Prince », « prendre goût à l’existence », « avoir un peu d’imagination » et surtout à recevoir « de sensations au contact des choses et des êtres ».
 
Et pourquoi pas ! Saisir la « circonstance [qui] nous réunit, femmes et hommes d’Haïti » dans ce beau coin de terre, en vue de rompre avec la monotonie de notre vie personnelle et de notre long et cauchemardesque quotidien politique de peuple. Avec ses histrions, performant sur une scène de plus en plus macabre et de mauvais goût ! [wel rc apr 03/09/2013 0:30]
 
[1] Charles Hérard dit Rivière Hérard , également connu sous le nom de Charles Hérard Aîné /16 février 1789 - 31 août 1850.
 
[2] 1782 - 1867, mieux connu sous le nom de Faustin 1er, Faustin Soulouque fut président et empereur d’ Haïti de 1847 à 1859.
 
[3] né le 7 février 1826 au Cap-Haïtien et mort en 15 janvier 1870 à Port-au-Prince, Sylvain Salnave fut président d’ Haïti du 14 juin 1867 au 15 janvier 1870.
 
[4] Il fut le 13e président d’Haïti, du 14 juin 1874 au 15 avril 1876. Né en 1813 aux Cayes, Michel Domingue est mort le 24 mai 1877 à Kingston. Du 8 mai 1868 à décembre 1869, il a été président des États-autonomes du sud d’Haïti. Le 11 juin 1874, le général Domingue est élu pour un mandat de huit ans en tant que président d’Haïti. Domingue démissionna le 15 avril 1876 et s’exila à Kingston en Jamaïque, où il mourut un an plus tard.
 
 
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