Quelques réflexions pour le débat sur le renouvellement du Forum Social Mondial

09/12/2020
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Merci à Francine pour son excellent texte, stimulant et inspirant. Et merci de lancer le débat de fond dont nous avons besoin pour renouveler le Forum social mondial.

 

Ce texte, dont je partage largement les réflexions, analyse sans complaisance la situation du FSM et met l’accent sur les limites du fonctionnement et les responsabilités des formes d’organisation. Il souligne les insatisfactions et les limites du processus dans son état actuel. Il souligne aussi certains succès passés des FSM. Et il met l’accent sur les attentes qui sont encore très fortes par rapport au FSM dans les mouvements sociaux et citoyens.

 

Je voudrais entrer dans le débat en abordant un aspect complémentaire, celui de l’évolution de la situation politique mondiale. Si l’analyse sans complaisance des faiblesses et des limites de l’orientation et de l’organisation est indispensable, il faut aussi prendre en compte les conséquences de l’évolution de la situation sur la vitalité du processus. Je voudrais aborder quelques propositions et quelques pistes en suggérant que nous menions collectivement une réflexion sur l’histoire du FSM par rapport aux enjeux et aux questions posés par la situation actuelle.

 

Dans un premier temps, le Forum Social Mondial a joué un rôle novateur et a contribué à une période de luttes et de mobilisations, dans le prolongement de Seattle en 1999 jusqu’à la crise financière de 2007-2008. Il sera intéressant de revenir sur cette période, des forums de Porto Alegre et Mumbai, pour réfléchir sur les avancées dont il serait encore utile de tenir compte aujourd’hui.

 

Le Forum Social Mondial a bien abordé la crise de 2008, et le forum de Belém en 2009 a été excellent de ce point de vue. Il a vu la montée en puissance de nouveaux mouvements (les droits des femmes, la Via Campesina, les peuples autochtones), il a mis en avant les rapports entre l’espèce humaine et la Nature. Il a ébauché une démarche stratégique en soulignant la nécessaire résistance (propositions contre la financiarisation et la mondialisation néolibérale) et mis en avant la recherche d’alternatives et de ruptures en mettant en avant de nouvelles notions (les communs, le buen vivir, la propriété sociale, la démocratisation de la démocratie, …). Dans la période à venir, nous pourrons actualiser ces questions : les mouvements émergents ; l’écologie ; la démarche stratégique.

 

Ce forum de Belém avait été bien préparé par le forum polycentrique de 2006, à Bamako, Karachi et Caracas. Ce forum polycentrique avait mis en avant deux questions toujours actuelles : une organisation tricontinentale et l’ouverture, parfois difficile, du débat sur la nature du FSM avec l’Appel de Bamako. Parmi les questions posées, toujours d’actualité, rappelons l’interrogation sur les rapports entre les formes-mouvements et les formes partis et celle des rapports entre les mouvements et les gouvernements et de la place des rapports aux Etats dans les stratégies.

 

A partir de 2011, le FSM est interpellé par rapport à l’évolution des mouvements avec les mouvements de 2011 dans le Maghreb et le Machrek, les indignés, les occupy, … Le FSM n’est plus l’espace reconnu où se retrouve tous les mouvements en lutte contre le néolibéralisme. Il reste une référence et il maintient des liaisons. Les mouvements du Maghreb et du Machek sont très présents aux Forums de Tunis en 2013 et 2015. Le débat avec le mouvement écologiste est entamé au Forum social européen de Malmo en 2008, à celui de Dakar en 2011 et à Tunis en 2013. Mais le mouvement écologiste, sans rompre avec les FSM va construire sa propre dynamique. Plusieurs essais avec les occupy, à Porto Alegre et Montréal) restent cordiaux mais non concluants. Le Forum de Salvador de Bahia a été marqué par la mobilisation afro-féministe qui renouvelle le mouvement des femmes et le mouvement contre le racisme.

 

Plusieurs leçons peuvent être proposées pour l’avenir des FSM. Les nouveaux mouvements n’ont pas rejeté les forums sociaux mondiaux mais ils ne s’y sont pas reconnus et ne les ont pas rejoints. Mon hypothèse, qui est à vérifier, est que le décrochage a été profondément culturel. Les mouvements qui se sont retrouvés dans les FSM partagent une culture qui fait référence au mouvement ouvrier et aux mouvements de libération nationale. Les nouveaux mouvements et les nouvelles générations ne rejettent pas cette culture mais ils ne s’y reconnaissent pas totalement dans ses présupposés et dans les modes d’action. Le débat a porté notamment sur les formes de représentation et de délégation. Certains mouvements peuvent faire le lien, le mouvement des femmes, les peuples autochtones, les mouvements antiracistes. C’est pourquoi l’intersectionnalité (classe, genre, origine) est à approfondir. L’alliance avec le mouvement écologique et l’urgence climatique est fondamentale. Le FSM doit être l’espace des nouveaux mouvements. C’est à Dakar aussi qu’a été actée l’évolution vers un processus FSM avec la montée en puissance et la multiplication des forums nationaux, régionaux et thématiques. Et même dans certains pays des tentatives non abouties de forums sociaux locaux.

 

A partir de 2013, le changement de période est brutal. A une période de montée des luttes succède une période de reprise en main par les classes dirigeantes du capitalisme mondial. Le néolibéralisme devient austéritaire et les répressions se durcissent. Les idéologies sécuritaires, identitaires et racistes se renforcent et s’imposent dans plusieurs pays avec des poussées fascisantes. Les gouvernements progressistes, notamment en Amérique Latine, ont été renversés ou se sont épuisés. Les forums sociaux mondiaux ont marqué le coup du changement de période. Les mobilisations ont continué mais les résistances sont devenues prédominantes. Les mouvements ont eu tendance à se recentrer sur leur espace national et les relations internationales entre les mouvements se sont affaiblis. L’absence d’un projet commun qui soit issu et porté par les mouvements s’est traduit par un repli au niveau de chaque pays, parfois au niveau des grandes régions. L’opposition Nord-Sud s’est complexifiée mais elle reste très présente comme on a pu le constater au Forum Social de Montréal.

 

La crise de la pandémie et du climat est venue renforcer cette tendance de reprise en main par des Etats autoritaires. Elle a bouleversé les situations et les équilibres ; elle interroge la solidarité internationale, l’internationalisme et l’altermondialisme. A une crise par définition mondiale, les réponses ont été surtout nationales et étatiques. Les institutions internationales ont été peu écoutées et ont été marginalisées. Les mouvements ont répondu par des actions de solidarité locale et par la résistance à leurs Etats. Les contradictions se sont accentuées. Les affrontements opposent dans beaucoup de pays des alliances sécuritaires, de droite populiste, aux mouvements qui revendiquent les libertés démocratiques, la défense des droits sociaux, l’urgence écologique.

 

Le débat devra permettre de tirer les leçons pour l’avenir des FSM. La crise de la pandémie et du climat prolonge les tendances de la période ouverte depuis 2015. Mais elle introduit beaucoup de discontinuités dont devront tenir compte les mouvements pour définir leur stratégie ; elle pèsera sur les évolutions possibles du FSM. Notamment, quelle sera l’évolution de la mondialisation et du néolibéralisme ; quelle sera l’évolution des politiques étatiques sécuritaires ; comment les institutions internationales réagiront-elles à leur marginalisation ; comment évoluera la bataille contre l’hégémonie culturelle du néolibéralisme à partir d’une prise de conscience de la nécessaire égalité pour l’accès aux droits fondamentaux. En résumé, quelles évolutions possibles des luttes de classes dans leurs différentes dimensions sociales, politiques, idéologiques, culturelles. C’est le débat principal de la période immédiate.

 

La surprise vient de la capacité de rebondir qui marque l’évolution des FSM. Je ne vais pas insister là-dessus puisque c’est le moment que nous vivons ensemble. Après un moment d’interrogations, de nombreuses initiatives ont été lancées pour reconstruire des réseaux internationaux de mouvements. Elles démontrent la résilience du mouvement altermondialiste et internationaliste. Tout en recherchant une ouverture internationale, les initiatives ont eu des assises plus fortes dans les grandes régions. La question a été posée de la place des Forums sociaux mondiaux (FSM) dans cette situation. Il y avait un accord sur la nécessité d’un profond renouvellement des FSM et même d’une nouvelle phase du mouvement altermondialiste. En rappelant que le mouvement altermondialiste ne se résume pas aux Forums sociaux mondiaux. Il faut féliciter les mouvements encore actifs dans le Conseil International du FSM qui ont décidé de poser la question de la situation du FSM et de son renouvellement. Et particulièrement les quelques personnes qui se sont investies dans le groupe de facilitation et les groupes finances et communication.

 

Les réunions ont démontré l’intérêt et la vitalité du FSM en tant que réseau international altermondialiste. Elles ont montré la volonté des mouvements de construire des réponses communes par rapport à la mondialisation capitaliste néolibérale aggravée par la crise pandémique et climatique. Elles ont permis de vérifier que le Forum Social Mondial reste une des références importantes du mouvement altermondialiste. A la demande de confirmation de leur participation au Conseil International, 77 associations l’ont fait ou sont en train de le faire dont plus d’une trentaine d’importants réseaux internationaux ou continentaux. Le CI reste donc un des rares réseaux internationaux de mouvements et le Forum social mondial l’espace international des mouvements altermondialistes le plus large et le plus accepté.

 

On ne peut pas expliquer toutes les faiblesses et les limites du FSM par les problèmes d’organisation interne et l’insuffisance du débat politique ; on ne peut pas sous-estimer les changements et les conséquences de l’évolution mondiale et de ses ruptures. D’autant qu’aucun réseau international n’a réussi. Pour autant, les formes d’organisation sont essentielles pour tenir compte de l’évolution et faire évoluer le processus. Le débat porte sur comment analyser la nouvelle période, quelles stratégies, quelles propositions, quelles mobilisations, quelles formes d’organisation. Ce sera l’enjeu des prochaines échéances du Forum Social élargi de fin janvier 2021, d’une mobilisation contre Davos en mai 2021, du prochain Forum social mondial, probablement à Mexico, en 2022.

 

5-12-2020

 

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/210106?language=es

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