Ernesto « Che » Guevara (1928-1967), combattant internationaliste

12/10/2020
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Il y a 53 ans, le 9 octobre 1967, mourait en Bolivie Che Guevara, lâchement assassiné sur ordre d’un président bolivien (René Barrientos) et d’un agent de la CIA (Félix Rodríguez). Il avait été blessé à une jambe la veille et fait prisonnier à la suite d’un combat dans la Quebrada del Yuro, un lieu inhospitalier et isolé de la géographie bolivienne.

 

Mort à 39 ans, « le Che » demeure un demi-siècle après sa disparition une référence. Peu d’hommes auront suscité autant l’admiration et l’adhésion des Cubains de tous les âges. Sa vie, sa conduite et sa pensée en auront fait un modèle à imiter pour des millions de personnes à Cuba et dans le monde, une sorte d’icône mondiale du révolutionnaire conséquent, engagé dans la poursuite de ses idéaux jusqu’au sacrifice ultime.

 

Né à Rosario, en Argentine, Ernesto Guevara de la Serna est le petit-fils d'un chercheur d'or en Californie et un descendant du dernier vice-roi du Pérou. Sujet à des crises d’asthme, il va, pour conjurer le mal, pratiquer des sports intenses (football, rugby, natation, etc.). En 1951, il entreprend avec son ami Alberto Granado un long périple en Amérique du Sud (10 000 km). Ce voyage aura valeur initiatique : Guevara y fit la découverte de l’injustice, de la discrimination, de la pauvreté, des grandes inégalités, de la maladie. Il y puisera sa foi en la révolution nécessaire. Après avoir complété ses études de médecine à Buenos Aires, il reprendra la route vers le Nord. Au Guatemala, en 1954, il sera témoin du renversement du gouvernement Arbenz au terme d'une opération montée par la CIA.

 

À Mexico, il rencontre Fidel Castro – leur premier échange dura plus de huit heures – et se joint à l’expédition du Granma. Ayant fait preuve de courage et de détermination dans les combats dans l’Oriente, Che est fait commandant par Fidel. Chargé d’une colonne (la 8 : avec 139 hommes), il s’occupe de former des gradés et des soldats compétents; il crée un périodique, une radio et une école de recrutement en zone libérée. À la tête d'une colonne, il prend la direction de Las Villas, au centre de l’île, une terrible marche de 47 jours [554 km sur une carte] dans des conditions inhumaines (avançant à travers des marais putrides, sous des tirs incessants de l'armée de l'air cubaine). Le 28 décembre 1958, à Santa Clara, il prend d'assaut avec 400 hommes un train blindé de 19 wagons réputé imprenable et symbole de l’offensive gouvernementale.

 

Après la chute de la dictature, Che, devenu citoyen cubain, est chargé d’organiser les procès pour juger les criminels de l’ancien régime. Cette fonction lui vaudra la haine des familles des condamnés qui avaient été pourtant des tortionnaires et des assassins. Désigné ambassadeur itinérant, il voyage en Afrique, en Asie et en Europe. Les voyages à l'étranger seront désormais une composante essentielle de la mission cubaine du Che. Il se voit aussi confié des responsabilités économiques à titre de président de l'Institut national de la réforme agraire, puis de directeur de la Banque centrale et de ministre de l’Industrie.

 

À partir de 1965, il renoue avec la lutte armée contre l’impérialisme, d’abord au Congo, puis en Bolivie. Il croit à la nécessité de « créer deux, trois, de nombreux Viêt Nam ». Les paysans boliviens, bénéficiaires d’une réforme agraire en 1953, n’adhèrent pas à la guérilla. Encerclé par plus de 1 500 militaires encadrés par des conseillers états-uniens, le Che est blessé et capturé dans le canyon du Churo, exécuté le lendemain, et son corps, amputé de ses mains, est enterré clandestinement près de la piste de l’aéroport de Vallegrande. Ses restes, retrouvés 30 ans plus tard, reposent avec ceux de ses compagnons dans le mémorial qui lui est consacré à Santa Clara. Son journal de campagne sera microfilmé par la CIA en vue d’en faire l’analyse et d’en exploiter le contenu contre son rédacteur et contre Cuba. Une copie de l’original, demeuré en possession des Boliviens, parviendra à Cuba et servira à plusieurs éditions dans plusieurs langues et pays.

 

Lecteur boulimique, méthodique, discipliné en tout, Guevara prenait d'abondantes notes et consignait ses réflexions dans des carnets. Il a beaucoup écrit: des lettres, des discours, des essais. Il a tenu des journaux de ses voyages, de ses campagnes (à Cuba, au Congo, en Bolivie). Il a écrit sur la guerre, l'économie, le socialisme, la géopolitique. Ses discours dans les forums internationaux et ses entrevues sont d’une clarté et d’une franchise remarquables. On a conservé 431 manuscrits de sa main. Ils figurent au registre « Mémoire du monde » de l’Unesco. Les éditions François Maspéro, son principal éditeur en français, ont publié six tomes de ses œuvres.

 

Che fut un acteur et un théoricien révolutionnaires. Homme d’action, il était aussi un homme de réflexions. Il appliqua aux réalités sociales de son temps les outils du marxisme, telle l’analyse de classes, l’examen des rapports de forces, les alliances politiques, l’analyse sociale de l’impérialisme. Il avait un sens éthique élevé, au service de l’action révolutionnaire. La révolution le forma. C’est dans la guerre et comme cadre révolutionnaire qu’il développa sa stature de combattant, de dirigeant et de penseur. Alfredo Guevara qui a collaboré avec lui dès 1959 réconcilie les deux facettes de sa personnalité : « il fut toujours disposé à convertir ce qu’il pensait en action, mais en action intelligente. L’homme, au-delà de l’icône, était un intellectuel rigoureux et antidogmatique. »

 

L’œuvre du Che (en mots et en actes) s’inscrit dans un temps, répond aux défis de son époque. Elle est contextualisée. On le voit bien quand on lit Le socialisme et l’homme à Cuba (1965). Il y a des prémisses dans cet écrit : l’identité entre les dirigeants et les dirigés, entre l’avant-garde et la masse, entre la société civile et la société politique, entre les intérêts personnels et les intérêts collectifs, entre le peuple et la révolution (isolant la réaction), l’accent sur les devoirs ou le conditionnement des droits par les devoirs; la primauté de la défense. Ce sont les défis qui se posent dans la Cuba des années 60.

 

Mais en même temps, l’œuvre du Che est imprégnée d’une pensée dialectique qui lui permet de transcender son époque. Elle est portée par un souffle émancipateur et moral qui lui donne une valeur universelle dans le temps comme dans l’espace. L’idée d’« homme nouveau » est une utopie, mais une utopie mobilisatrice. Che croyait en l’homme dans toute sa plénitude, dans sa composante physique (travail manuel et sport), intellectuelle (étude), sociale (camaraderie). La solidarité était pour lui une valeur suprême au sein d’une société comme entre les peuples, ce qui explique que sa stature soit internationale, particulièrement dans le tiers monde.

 

Le Che et la mondialisation

 

Pour les partisans de la mondialisation, il s’agit d’un phénomène universel, irréversible, nécessaire, car fondé sur les structures économiques. C’est un système triomphant contre lequel on ne peut rien. Pour le Che, l’expansion du capitalisme à l’échelle planétaire était un phénomène essentiellement social et politique. Il donnait à ce phénomène un nom tombé en désuétude : l’impérialisme. Pour Che, l’impérialisme était un phénomène historique contradictoire dont l’expansion engendre des conflits nationaux et de classes qui le condamnent. Che a défié l’impérialisme à Cuba, au Congo, en Bolivie. La perspective politique du Che est un appel à l’action pour changer le monde. C’est l’antithèse de la passivité et du fatalisme. L’analyse des rapports sociaux doit partir des unités de travail et remonter aux entités nationales et aux institutions internationales.

 

Le Che et la conscience

 

Che a mis en valeur dans l’action révolutionnaire la place centrale de la conscience, de l’organisation disciplinée et de la cohérence idéologique. Il considérait que la subjectivité était un moteur de l’histoire, que la libération des travailleurs dépendait de leur action directe, d’où l’importance qu’il attachait à l’éducation, à la formation idéologique. Il institua à cette fin le travail volontaire. Il défendit avec ardeur la primauté des stimulants moraux alors que d’autres préconisaient le recours aux stimulants matériels.

 

Le Che et l’internationalisme

 

Le Che a toujours pensé le changement en termes internationaux. Il eut une stratégie internationaliste. Il échoua cependant au plan tactique, n’ayant pas trouvé les conditions locales propices sur les deux théâtres, le Congo et la Bolivie. Les mouvements actuels qui s’inspirent de Che ont en revanche une maîtrise du local. Ils inversent la relation local/international du Che.

 

Le Che et l’éthique politique

 

C’est en mon sens la plus grande contribution du Che : enseigner par l’exemple. Il combattit la distance entre dirigeants et dirigés. Il combattit la bureaucratie, démontrant sa préoccupation pour la démocratisation du pouvoir administratif dans le secteur productif (industriel). Il fut ennemi des privilèges. Menant une vie austère, il partageait la vie matérielle de son entourage. Il était proche des gens, des travailleurs, du peuple. Il mettait l’épaule à la roue, enseignant par l’exemple, payant de sa personne, en première ligne au combat comme au travail, sans égard aux dangers et à l’asthme qui le tenaillait. Il voyait dans le travail productif volontaire une école pour dépasser la coupure entre travail mental et travail manuel. Il participait aux « dimanches rouges ». Les organisations révolutionnaires doivent préfigurer la future société, d’où sa pratique d’instituer des écoles, des ateliers, des dispensaires dans les zones de combat. On a assimilé Oussama ben Laden à Che : jamais Che ne prôna l’assassinat ni l’action terroriste. Il avait un respect pour la vie, celle des ennemis comme celle de ses hommes. Plusieurs organisations reprennent cette vision éthique. Les intellectuels ne commandent plus. Les chefs doivent prendre avis des membres au sein d’assemblées.

 

Le Che comme militaire

 

Guevara a consigné son expérience militaire et ses réflexions dans La guerre de guérilla. C’est l’œuvre qui a le plus vieilli et celle qui aboutit à des échecs au Congo et en Bolivie. Guevara ne fut jamais un militariste. Ce sont les circonstances qui en firent un soldat. L’option militaire était une option découlant d’une analyse politique : le caractère non révolutionnaire de la bourgeoisie, la nature illusoire de la voie électoraliste. Ses erreurs de terrain découlaient d’informations déficientes rassemblées par d’autres et d’une transposition à d’autres milieux de leçons tirées de la lutte armée à Cuba. Le foquismo (la théorie du foyer insurrectionnel) avait réussi à Cuba : il échoua en Bolivie.

 

Et la Bolivie contemporaine

 

Il faudra attendre une trentaine d’années pour que des mouvements sociaux paysans, miniers et indigènes entreprennent une marche victorieuse vers le pouvoir. La révolution, cette fois, empruntera la voie électorale. En décembre 2005, Evo Morales, un syndicaliste d’ascendance aymara, est élu président à la tête du Mouvement vers le socialisme (MAS). Il sera réélu jusqu’à ce qu’un coup d’État orchestré par la droite bolivienne et les États-Unis l’oblige à démissionner et à s’exiler. Aujourd'hui nous sommes dans l'attente du retour du MAS au pouvoir et de la défaite des putschistes.

 

Le souvenir du Che est toujours présent en Bolivie, y compris comme épouvantail contre Morales et le MAS à une semaine du scrutin du 18 octobre. La présidente usurpatrice a profité de l’anniversaire pour honorer la mémoire des militaires boliviens morts dans les combats contre la guérilla du Che. Et d'y aller d’une mise en garde contre tout étranger « qu’il soit cubain, vénézuélien, argentin » qui viendrait « créer des problèmes, il trouvera la mort ». Ironie de l’histoire, le sergent Mario Terán Salazar, choisi par tirage au sort pour exécuter l’ordre d’assassiner le Che, non sans quelque hésitation et seulement après avoir absorbé des rasades d’alcool, devait être opéré pour des cataractes en 2006 par des médecins cubains dans le cadre de l’Opération Miracle. Le quotidien cubain Granma devait écrire : « Quatre décennies après que Mario Terán tenta de détruire un rêve et une idée, le Che revient pour gagner une autre bataille. » En douze ans, plus de 700 000 Boliviens ont été traités gratuitement pour des maladies oculaires par des équipes médicales cubaines. Comble d’ingratitude (et d'ineptie) de la part du régime « transitoire » issu du coup d’État, ce sont plus de 600 coopérants cubains qui ont été menacés, puis expulsés de Bolivie à quelques mois d'une pandémie qui a déjà fait plus de 8 000 morts, soit un taux de 700 décès par million, comparable à l'hécatombe brésilienne ou espagnole La nouvelle chancelière s’est même permise de dénigrer le pays qui lui avait donné sa formation en politique internationale!

 

claude.morin@umontreal.ca

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/209263?language=es
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