L’UE, une autre victime du coronavirus

Un respirateur artificiel pour l’Union européenne

16/04/2020
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L’Union européenne (UE) a trouvé, en dernière minute, un respirateur mécanique et réussi, peu avant l’asphyxie politique, un accord pour faire face à la crise causée par le Covid-19. Néanmoins, le consensus est fragile, les traces des crises antérieures marquent les sensibilités et le futur institutionnel reste semé d’embûches.

 

Dans la nuit du jeudi 9 avril, les 27 ministres des finances approuvèrent un paquete d’urgence, dont le processus consensuel montre les fortes contradicions frappant le Vieux Monde.

 

Le paquet de plus de 500.000 millions d’euros comprend trois rubriques. Une ligne de crédits jusqu’à 240.000 millions d’euros grâce au Mécanisme européen de stabilité (MEDE), avec l’accent sur les dépenses liées directement ou indirectement à la pandémie. Il tente de soulager les finances publiques avec des crédits allant jusqu’à 2 % de chaque Etat demandeur. D’autre part, 200.000 millions d’euros pour les entreprises (fondamentalement les petites et les moyennes). Et 100.000 millios d’euros pour des mesures liées à la réduction de la journée de travail, au chômage, etc. A ce paquet, s’ajoute un plan de récupération, toutefois ouvert, une fois que la crise sera terminée.

 

L’Europe a aussi un Nord et un Sud

 

Un jour avant l’aboutissement de l’accord, l’UE avait connu l’une des journées les plus dramatiques de ces derniers temps, lorsqu’échoua la tentative de trouver une réponse européenne commune à la crise. Après 16 heures de téléconférence de l’Eurogroupe – les ministres des finances des 27 pays membres -, qui avait commencée dans l’après-midi du mardi 7 avril et dura jusqu’au matin du mercredi 8 avril, on vit apparaître publiquement le vrai visage institutionnel d’un continent traversé par des visions différentes, par moment opposées: d’une part, l’Italie et l’Espagne; d’autre part, la Hollande et d’autres nations du Nord du continent.

 

La pandémie frappe de manière létale l’Union européenne depuis quelques semaines et les prévisions des experts prédisent la pire crise jamais survenue depuis la 2e guerre mondiale. La France et l’Allemagne, les deux « locomotives » de la région affrontent déjà une profonde récession. Une chute proche de 6 % du produit intérieur brut (PIB) pour la France dans le premier trimest re 2020 – chaque quinzaine de confinement implique un recul de 1,5 % du PIB, la pire marque depuis 1945. Selon des calculs préliminaires, l’économie allemande devrait connaître un recul de 9,8 % pour le second trimestre de cette année, ce qui impliquerait sur toute l’année une récession d’au moins 4,2 %, mais pouvant dépasser 5 %,

 

Dans ce contexte, il ne manque pas de voix critiques envers la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et Christine Lagarde, passée depuis novembre 2019 de la présidence du Fonds monétaire internationale à celle de la Banque centrale européenne. Ces deux personnalités se retrouvent dans la mire pour n’avoir pas perçu dès le commencement la dimension de la crise arrivante et n’avoir pas anticipé les réponses urgentes indispensables définies récemment, 70 jours après les premiers cas de Covid-19 en Italie.

 

Sauve qui peut !

 

La contradiction globale entre le « Nord » et le « Sud » se reproduit en Europe. Bien que cette tension ne soit pas nouvelles, à la lumière de la crise sanitaire, elle prend des expressions régionales claires à travers l’affrontement de deux pôles: l’Italie contre la Hollande.

 

Comme l’analyse l’édition en ligne du quotidien français Le Figaro (8 avril), le problème principal de l’affrontement se trouvait dans les fonds distribuées par le MEDE. Un outil craint et dénigré en Italie, où une grande partie du spectre politique le considère comme une menace à la souveraineté nationale.

 

Le gouvernement et la classe politique italienne n’acceptent pas qu’on impose aux Etats des conditions, vu qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle d’urgence. L’Espagne n’accepte pas non plus des appuis de ce type, accompagné d’exigences d’ajustements et de réformes structurelles. De son côté, la Hollande défendait une position extrême: limiter l’usage potentiel de ces fonds à des questions sanitaires, mais en exigeant des Etats bénéficiant de ce paquet qu’à long terme ils mettent en ordre leurs finances publiques.

 

Un autre thème essentiel des divergences: les dettes mutualisées. Les Italiens désireraient que l’Union européenne accepte l’émission de « corona bons » (eurobons) comme instrument de récupation économique. Mais les pays du Nord, dirigés par les Pays-Bas, s’y opposent.

 

Comme le signalait le quotidien italien La Reppublica le mercredi 8 avril, l’Italie demande à l’Europe des ressources à long terme et à bas coût pour financer des investissements devenus indispensables en raison de la crise du Covid-19, comme la santé, la recherche, l’environnement, la logistique et la digitalisation de l’administration publique. « Vu sa basse capacité de crédit, elle peut seulement les obtenir par une dette garantie par d’autres Etats. Ce qui s’appelle mutualisation, corona bons ou eurobons... ».

 

Quasi parallèlement, le Parlement hollandais avait voté deux initiatives non contraignantes, demandant au gouvernement de ne pas accepter dans les négociations en cours les eurobons et de maintenir les exigences de conditionnement dans l’utilisation du MEDE.

 

Entre temps, une enquête dont parlait La Reppublica prenait la température sociologique de l’Italien moyen. Celle-ci exprimait « la baisse préoccupante de l’esprit européiste parmi les Italiens, comme conséquence du manque de solidarité montré par les institutions communautaires dans cette phase d’urgence ». Seulement, un peu plus d’un tiers (36 %) des Italiens déclaraient, selon ce sondage, avoir confiance dans l’Union européenne, ce qui suppose une chute de quasiment 10 points par rapport à deux ans en arrière.

 

Le test  institutionnel de la pandémie

 

Décrivant la situation d’après la perspective anglais, Katya Adler – éditorialiste européenne de la BBC (Londres), dans son commentaire du mardi 7 avril, se centrait sur le rôle de l’Allemagne.

 

D’après Katya Adler, « Berlin a rejeté une pétition de l’Italie, de l’Espagne, de la France et d’autres nations du continent pour partager la dette qui surgira de la crise du Covid-19 sous forme d’eurobons. De nombreux Italiens se sentent abandonnés, tout comme durant la crise migratoire de l’euro ». Et l’éditorialiste rappelait que « la semaine passée, un groupe de maires et d’autres politiciens italiens achetèrent une page dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, pour rappeler à l’Allemagne qu’elle n’avait jamais été obligée à payer ses dettes après la Seconde guerre mondiale ».

 

Bien que la tension principale passe entre Rome et La Haye, durant les dernières heures, une partie de la presse allemande se chargea de l’atiser. « La mafia attend l’aide de l’Union européenne », écrivait un article provocateur du quotidien Die Welt. Et il soulignait que « les Italiens doivent être contrôlés depuis Bruxelles », provoquant une protestation du Ministère italien des Affaires étrangères.

 

« Une affirmation honteuse et inacceptable. J’espère que le gouvernement allemand s’en distinciera. L’Italie pleure les victimes du coronavirus, mais elle a pleuré et pleure les victimes de la mafia. Ce n’est pas pour polémiquer, mais je n’accepte pas qu’en ce moment on fasse des considérations de ce genre », souligne le ministre des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, dans un entretien dans l’émission Uno Mattina (RAI 1), reproduit par les principaux médias italiens.

 

Unis ou rafistolés ?

 

Malgré le plan d’urgence défini au dernier moment, juste avant la pause pascale, les consensus stratégiques aujourd’hui dans l’Union européenne paraissent aussi fragiles que lointains. Cette même Union européenne, depuis des semaines, est à nouveau séparée par les frontières nationales antérieures à 1995 et constate l’affaiblissement des Accords de Schengen, réglant la libre circulation dans l’espace du même nom.

 

De plus, l’histoire récente du continent définit le cadre de nombreuses attitudes et positions actuelles. Tant la crise financière de 2008, comme celle de la migration, avec son pic explosif en 2015, frappèrent davantage le Sud de l’Europe, vulnérable et méfiant. Ces mêmes pays réclament aujourd’hui une réponse différente, plus flexible et, surtout, cohérente avec les valeurs d’une Europe se comprenant réellement comme Union.

 

Cet accord du 9 avril, trouvé à la dernière minute para l’UE, ne résout néanmoins pas les grandes différences de fonds. Diplomatiquement, Bruno Le Maire (ministre français des finances) parlait du succès de ce résultat, en signalant « qu’il n’y a pas de bons accords sans bonnes ambigüités ».

 

Malgré cette signature, les positions divergentes se maintiennent. Le Figaro, du vendredi 9 avril, informait que le ministre hollandais des finances, Wopke Hoekstra estimait: « Ce qui a été décidé est suffisamment bon pour nous. Mais pour chaque euro du MEDE dépensé dans l’économie, les règles normales de la conditionnalité devront être totalement appliquées ».

 

L’autre point conflictuel, celui des corona bons – comme moyen d’asusmer la dette de manière partagée ou mutualisée par toute l’UE – n’a pas non plus été résolu. Maintenant on parle d’un fonds pour préparer et appuyer la relance. Et il contient des formulations comme celle de l’inclusion d’« instruments financiers innovateurs », que chaque secteur peut comprendre de la manière qui lui convient le mieux.

 

Face à l’impact inégal de la pandémie, avec des ravages significatifs dans cette première phase en Italie, en France et en Espagne et avec des répercussions humaines pour le moment moins impactantes dans l’Europe du Nord, le mur intra-européen paraît se renforcer. L’Europe malade, infectée, bouleversée dans ses propres racines unitaires, est aujourd’hui une patiente supplémentaire du coronavirus.

 

Traduction Hans-Peter Renk

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/205933?language=en
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