Entretien avec Angela Mendes

11/06/2019
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Angela Mendes, fille de Chico Mendes, un syndicaliste militant et défenseur de l'environnement, brutalement assassiné en décembre 1988 sur les ordres d'un grand propriétaire foncier. Membre de la direction du Conseil national des populations extractives, elle fait appel à la pression internationale pour garantir les droits fondamentaux sur le territoire, l’eau, la nourriture, l’éducation, la santé et l’air.

 

Pourriez-vous nous briefer ? 

 

Je suis Angela Mendes, la fille de Chico Mendes, un syndicaliste militant et un défenseur de l'environnement qui a été brutalement assassiné en décembre 1988 sur les ordres d'un grand propriétaire foncier à Acre. Mon père a mené une lutte locale sociale, politique et après avoir lutté pour les droits des seringueiros, les travailleurs qui extraient le latex dans les plantations d'hévéa, il a étendu son combat à la sauvegarde de la forêt amazonienne. C’était un précurseur de l’écologie politique avec une vision globale. Il été membre fondateur du Parti des Travailleurs, la formation politique créée par Lula.

 

J’ai fait mes études supérieures en gestion de l'environnement et je travaille en tant que cadre dans ce domaine. Je suis membre du comité Chico Mendes et j’ai fait partie de la direction du Conseil national des populations extractives (CNS). Le comité Chico Mendes est un réseau d'amis, de compagnons militants et de syndicalistes, créé après l'assassinat de Chico pour mobiliser la société brésilienne et internationale autour de l’application de la justice et la punition des assassins de mon père et de son compagnon Ivair Higino, tué six mois avant lui. Le Conseil national des populations extractives – CNS - est un mouvement créé lors de la première réunion nationale des « seringueiros » travailleurs extracteurs du latex, dirigée par Chico Mendes à Brasilia en 1985, l'objectif étant toujours l'organisation et le soutien dans la lutte pour les politiques publiques relatives à la population extractive. Chaque année du 5 au 22 décembre, le groupe de jeunes du comité organise la semaine Chico Mendes.

 

Angela dans le pays de Chico Mendes, le candidat de l’extrême droite Bolsonaro a remporté les élections à la présidence du Brésil. Comment expliquer une telle régression ?

 

En fait, Acre n'a jamais donné la victoire aux candidats de gauche ; ici Lula, Dilma et enfin Haddad ont toujours perdu les élections. Au cours des 20 dernières années, le FPA- FRONT POPULAIRE DE L’ACRE est resté au pouvoir. Le PT a gouverné le municipe et l'État pendant ce temps. Je pense que nous avons besoin des analystes politiques pour expliquer cela, je ne peux pas trouver de réponse à cette question. La seule chose que je peux vous dire est que l’état de l’Acre a complètement changé avec les gouvernements de Lula et Dilma. L’état a grandement bénéficié des programmes importants de ses gouvernements.

 

Angela Mendes aujourd'hui, toutes les réalisations environnementales semblent menacées. Pourriez-vous expliquer aux lecteurs du journal Mediapart l'impact de cette nouvelle vision ante-environnementale du gouvernement Bolsonaro ?

 

En premier lieu, il convient de souligner que la lutte de Chico Mendes et de ses compagnons a abouti à la création de réserves forestières extractives, qui sont des zones d’utilisation pour la conservation de la biodiversité et le développement durable. Cette initiative pionnière de réserves extractives a donné naissance à d’autres types de réserves, telles que les réserves marines, les réserves de développement durable, les forêts nationales. Des projets de peuplement extractifs nationaux qui protègent ensemble 13,8% de l’Amazonie brésilienne et ses populations traditionnelles. La production extractive concilie le développement durable avec la préservation des ressources naturelles et garantit le bien vivre en équilibrant les énergies de l'Amazonie, de même que la vie en forêt.

 

La relation de ces populations avec la forêt dépasse la question de l’espace géographique, il existe une forte composante aussi spirituelle, ancestrale et culturelle.

 

Afin de mettre en œuvre des politiques publiques environnementales et sociales à l'intention des populations traditionnelles de la forêt, de la campagne, le ministère de l'Environnement a créé le ministère de l'Environnement et des forêts. Il s'occupait plus particulièrement de la gestion des unités de conservation fédérales, parmi lesquelles celles d'utilisation durable, l'Institut de Chico Mendes de Conservation de la biodiversité - ICMBio. Toute cette trajectoire a amené le Brésil au niveau des pays qui ont réussi à freiner la déforestation et est devenu une référence dans l'agenda environnemental mondial, menant des processus et des initiatives innovants.

 

Aujourd'hui, la vision du gouvernement Bolsonaro est que toutes ces réalisations ne signifient rien, que le Brésil doit de toute façon se développer et toutes ces initiatives de développement durable et inclusif pour ce gouvernement constituent un obstacle majeur et est un retard pour le pays. Pour cette raison, le gouvernement d'extrême droite de Bolsonaro s'est attaché à démanteler tout le cadre de la politique socio-environnementale brésilienne, à déstructurer le MMA - le ministère de l'Environnement et l'Institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité - ICMBio. Le gouvernement actuel a approuvé de nombreuses dispositions législatifs visant à affaiblir la législation environnementale, satisfaisant ainsi les secteurs de l'agroalimentaire et de l'extraction minière qui ont causé beaucoup de dommages à l'environnement et à la population, causant la mort des rivières et des populations. Les peuples indigènes qui s’occupent de la forêt depuis des millénaires ont également été pris pour cible par la lutte contre l’environnement et Bolsonaro a déclaré que « les Indiens ne disposeront pas d’un centimètre de terre délimitée ».

 

Cela a un impact négatif sur plus d'un million de personnes vivant dans la forêt et a créé une insécurité, a augmenté les conflits agraires et les menaces à ces populations. Son discours est contre l'environnement et en faveur du secteur agroalimentaire. Depuis la période de campagne électorale il a ouvert la guerre contre l’écologie et a donné le feu vert à la promotion de la déforestation et des conflits liés au régime foncier. Il a nommé un ministre de l'Environnement qui entretient des liens étroits avec les sociétés minières et le secteur de l'agroalimentaire. Il a été mis en accusation pour faute administrative et d'autres enquêtes sont en cours.

 

Le ministre a systématiquement démantelé le programme environnemental et les pays qui font des dons pour garantir la réduction de la déforestation menacent déjà d'abandonner le Brésil, qui constitue déjà une perte considérable. Ce sont des ressources utilisées pour renforcer la chaîne de production des produits de la socio-biodiversité, encourager la création de revenus par le biais de programmes/projets durables, garantissant le développement socio-économique et environnemental de la région de manière durable et responsable, et garantissant le mode de vie des populations et leur relation ancestrale avec la forêt.

 

Les pertes dues à ces actes insensés du ministre et les projets de lois en cours d'examen par le Congrès brésilien par l'intermédiaire du groupe parlementaire ruraliste soutenue par le gouvernement seront énormes, compte tenu des récentes catastrophes environnementales au cours ses derniers temps dans l’états de Minas Gerais (Mariana et Brumadinho), l’état du Para (Barcarena), Tapajós et dans la zone côtière de Bahia. Malgré toutes les lois de protection environnementale, les grandes entreprises minières ont causé des dommages irréparables à l'environnement et à la vie humaine. Imaginez-vous si elles se sentent libres d’agir sans contraintes et en toute impunité. Il suffit de voir tous les désastres naturels et pas seulement au Brésil, mais dans le monde !

 

À l’époque Chico Mendes a créé des actes d’intervention militantes appelés « empates » (des entraves) pour mettre fin à la destruction de la forêt dans l’État d’Acre. Expliquez en quoi consistaient ces actions ?

 

L’action « Empate » visait à entraver ou à interdire la destruction de la forêt par des grands propriétaire-éleveurs. Mon père a organisé les récolteurs de caoutchouc dans une résistance non-violente. Hommes, femmes et enfants ont formés des barricades humaines pour empêcher les bucheurs, les bulldozers de démolir des arbres. C’était un mouvement de résistance pacifique, un groupe de « seringueiros », travailleurs du extractivisme de caoutchouc s'est dirigé vers les fermes à bétail pour tenter d’empêcher la déforestation d’abord par le dialogue et pour convaincre les bucheurs avec leurs tronçonneuses de renoncer à la déforestation. Ses bucheurs étaient généralement protégés par des « jagunsos », des hommes armés. Mon père été assassiné à cause de ses convictions et des actions d’entraves à la déforestation qui ont été engagés dans plusieurs endroits dans l’état de l’Acre et qui ont gagné d’adhésions et de la légitimité auprès de la population. Son succès lui a valu beaucoup d'ennemis et il savait qu'il était devenu une cible humaine. Sa dernière participation été dans le grand « seringal » (l’endroit d’exploitation des hévéas) dénommé Cachoeira. Il avait empêché le nouveau propriétaire Darly Alves d'entrer sur les terres achetées pour devenir une ferme à bétail. C'est alors que l'État a envoyé une brigade de la police pour garantir l'entrée de Darly. Comme lors de ce dernier « empate » entrave beaucoup de femmes et d'enfants des environs y participaient, la police répressive a proposé un accord et a permis au groupe de rester sur place jusqu'à la condamnation judiciaire de Darly. Aujourd'hui, l'ancien Seringal est une réserve  de peuplement des communautés extractive. Il convient de noter qu’à cette époque, l’Union démocratique rurale-UDR, une entité des ruralistes se réunissait fréquemment dans la ferme de Darly pour présenter les plans d’exécution.

 

Aujourd'hui, dans le contexte politique actuel, quels types d'actions militantes votre association envisage-t-elle de développer ? Les « empates » entraves vont-ils revenir ?

 

Le Comité Chico Mendes a créé en 2017 son centre pour la jeunesse et collabore avec des activités d'éducation et de sensibilisation à l'environnement et des droits de l'homme dans les écoles et les communautés. L'interaction avec les enfants et les jeunes nous a montré que c'est la voie à suivre pour changer les habitudes et les paradigmes, pour responsabiliser les jeunes, eux qui doivent changer le monde, conformément au message que Chico a laissé dans la lettre qu'il a écrite aux jeunes du futur, déclarant qu'ils seront ces jeunes révolutionnaires qui feront « l’empate » du 21ème siècle pour sauver la planète.

 

Quel message voudriez-vous transmettre à la gauche environnementaliste française ?

 

L’environnement brésilien est attaqué de toutes les manières possibles, depuis l’utilisation massive de produits agrochimiques (interdits dans d’autres pays), l’exploration de zones protégées, les licences environnementales et de nombreuses autres actions coordonnées par le gouvernement.

 

La destruction rapide de l'environnement peut bientôt entraîner de graves problèmes, non seulement pour le Brésil, mais pour la planète. En ce moment, face à tant d'atrocités, le message est que nous, défenseurs de l'environnement et de la vie, ne pourrons pas faire entendre seuls notre cri d’alerte et notre révolte. Nous avons besoin que le monde nous écoute et nous soutienne. Je vous demande de ne pas laisser votre gouvernement faire des affaires et soutenir les actions et projets de ce gouvernement. Bientôt ils auront les mains souillées par le sang des victimes de leur folie. Toutes les politiques de ce gouvernement ne sont pas seulement néfastes pour l'environnement mais pour la cohésion sociale du Brésil. Les mesures populistes ont également permis de créer un scénario permettant d'augmenter le nombre de décès dus à des accidents de la route, le Brésil se classant déjà au quatrième rang dans un classement. Ce gouvernement a décidé de suspendre l'amende de quiconque ne conduit pas un enfant dans un siège d'auto, de supprimer l'obligation de procéder à un examen toxicologique pour les chauffeurs de camion… La pression internationale est très importante pour que nous continuions à garantir les droits fondamentaux sur le territoire, l’eau, la nourriture, l’éducation, la santé et l’air que nous respirons.

 

10 juin 2019

https://blogs.mediapart.fr/marilza-de-melo-foucher/blog/100619/entretien-avec-angela-mendes?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-66

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/200348?language=es
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