Division, autodénigrement & Syndrome de lynch

05/11/2018
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Division et aliénations gangrènent tous les peuples puisque, partout, les classes dominantes pratiquent les mêmes méthodes de propagande basées sur la désinformation, la manipulation, et l’endoctrinement. Mais, dans notre pays, ces phénomènes prennent une dimension particulièrement tragique.

 

Personne ne pourrait imaginer :

 

– qu’un artiste allemand connu, victime d’une méchante rumeur, ferait une chanson pour dire que « les blancs sont mauvais ! » ?

– qu’un paysan Tunisien qui n’a pas été soutenu par ses voisins dans une difficulté quelconque, répéterait dans tous les lieux publics que « les Arabes ne sont pas solidaires ! » ?

– qu’un australien, confronté à un dysfonctionnement dans le transport public, en prenne prétexte pour prouver que « les australiens sont incapables de diriger leur pays » ?

– qu’un Japonais, à la suite d’un différend avec un employé du service postal lancerait un « coup de gueule » à la radio pour condamner « le mauvais comportement de tous les employés de la poste », concluant ses propos par l’inévitable formule « pèsonn pa ka di ayen* ! » ?

 

Eh bien ! De tels propos d’autodénigrement sont quotidiens, omniprésents et ancrés dans notre société martiniquaise ! C’est de façon lancinante que sont récités les « Nèg mové », « Nèg fenyan », « nèg pa solidè », « Konplo nèg sé konplo chyen », « Pèsonn pa ka di ayen ».

 

Les travaux que nous avons menés, dans le cadre de notre réflexion et de notre pratique militante, nous ont conduits à établir que cette propension à la division et à l’autodénigrement, sont des symptômes d’une véritable aliénation que nous avons appelé : « Syndrome de Lynch ». C’est ce que nous développons dans le présent exposé.

 

Rappelons, pour commencer qu’un syndrome c’est l’ensemble de symptômes caractérisant une maladie. Et dans le cas présent, il s’agit d’une forme spécifique d’aliénation.

 

Syndrome :

Ensemble des symptômes   qui caractérisent une maladie.

 

 Mais, pour éviter toute ambigüité, il faut préciser immédiatement ce que nous mettons derrière le terme « aliénation ». Citons une définition relevée dans l’encyclopédie Logos de Bordas : « En Psychiatrie, l’aliénation recouvre les «Troubles psychiques sérieux, rendant problématique la vie en société. Lorsque s'installent avec persistance des dysfonctionnements psychiques sérieux : perte de contact avec le réel et autrui, vision altérée de l'environnement, incohérence, impossibilité de contrôler ses actes, on peut parler d'aliénation mentale. »

 

Aliénation :

 Asservissement ou frustration d’un individu suite à des contraintes extérieures.

 

Pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, nous insistons, sur la nécessité que notre réflexion ne soit pas altérée par la connotation péjorative du mot aliénation ou par le regard généralement irrationnel porté sur la maladie mentale. A cet égard, il est intéressant de noter que le vocabulaire anglais distingue le mot «insanity» qui désigne la folie ou un trouble mental important, du mot « aliénation » qui, lui, désigne l’asservissement ou la frustration d’un individu suite à des contraintes extérieures. C’est à cette définition que nous nous référons dans notre exposé. Rappelons à ce propos que l’étymologie du mot aliénation nous ramène au latin “alienus” qui désigne “l’étranger” ou ce “qui appartient à un autre”.

 

Maintenant, nous devons expliquer le choix de la dénomination « syndrome de Lynch »

 

C’est depuis le milieu des années 80 que nous avons commencé nos travaux pour tenter de comprendre, à partir des éclairages théoriques de Frantz FANON, les particularités comportementales qu’on pouvait observer dans notre société. Un concours de circonstance a voulu qu’à cette époque nous ait été remis le texte d’un discours tenu par William LYNCH à l’attention d’esclavagistes Etatsuniens. Ce discours vaut que nous en prenions lecture.

 

Le discours de William LYNCH

 

« Mesdames, Messieurs, Je vous salue ici, en cette année de notre seigneur, 1712. J’aimerais d’abord vous remercier de m’avoir invité. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour vous aider à résoudre les problèmes que vous avez avec vos esclaves. J’ai expérimenté dans ma modeste plantation, des méthodes nouvelles de contrôle des esclaves. La Rome antique nous envierait si mon programme était appliqué. Non seulement vous perdez de l’argent en pendant vos esclaves, vous avez aussi des insurrections, des révoltes, vos champs restant ainsi longtemps sans être cultivés, vos propriétés sont souvent victimes d’incendies, votre cheptel est tué. Je ne suis pas là pour énumérer tous les problèmes que vous avez avec ces esclaves, mais pour vous aider à les résoudre.

 

Je dispose d’une méthode qui vous permettra de contrôler définitivement vos esclaves noirs, et qui a fait ses preuves dans ma propriété. Je vous garantis à tous que si vous l’appliquez correctement, elle vous permettra de contrôler vos esclaves pendant au moins 300 ans. Ma méthode est simple, tout membre de votre famille ainsi que vos ouvriers blancs peuvent l’utiliser. Je fais ressortir un certain nombre de différences parmi les esclaves; il me suffit de reprendre ces différences, de les agrandir, de les exagérer. Puis je suscite la peur, la méfiance, l’envie, la méfiance en eux, afin de les contrôler; par exemple, prenez cette liste de différences: l’âge, la couleur, l’intelligence, la taille, le sexe, la superficie des plantations, l’attitude des propriétaires, le lieu d’habitation des esclaves (vallées, montagnes, l’est, l’ouest, le nord, le sud), le type de cheveux des esclaves (fins ou crépus), la taille des esclaves (grands de taille ou courts).

 

Je vais ensuite vous donner une stratégie d’action pour mettre tous ces éléments ensemble; mais avant tout, j’aimerais vous dire que la méfiance, le manque de confiance en soi, est plus efficace que le respect ou l’admiration. L’esclave noir, après avoir reçu ce lavage de cerveau, perpétuera de lui-même et développera ces sentiments qui influenceront son comportement pendant des centaines voire des milliers d’années, sans que nous n’avions plus besoin d’intervenir. Leur soumission à nous et à notre civilisation sera non seulement totale mais également profonde et durable. N’oubliez jamais que vous devez opposer les adultes et les noirs âgés aux plus jeunes, les noirs à peau foncée aux noirs à peau plus claire, la femme noire à l’homme noir.

 

Mesdames, Messieurs, ces solutions sont les clefs qui vous serviront à contrôler vos esclaves. Utilisez-les, faites-en bon usage ; faites en sorte que vos femmes, vos enfants, vos ouvriers blancs les utilisent aussi; ne manquez pas cette opportunité. Si vous l’appliquez intensément pendant une année, les noirs eux-mêmes les développeront, les accentueront, et manqueront à tout jamais de confiance en eux-mêmes Cela vous permettra d’asseoir une domination quasi éternelle sur eux. »

 

Même si certains historiens disent ne pas avoir établi avec certitude que l’auteur de ce texte serait le Lynch qui a laissé son nom à un quartier de la commune du Robert en Martinique, il est indéniable que les pratiques prônées ont été massivement mises en œuvre dans notre pays. Beaucoup des comportements que nous y déplorons aujourd’hui en sont des conséquences. C’est ce qui nous a conduits à appeler « syndrome de lynch » l’aliénation que nous avions identifiée. Une précision s’impose : trente ans plus tard, nous avons découvert qu’il existait un autre « syndrome de Lynch » dans la nomenclature médicale qui, lui, concerne, une affection génétique, appelée aussi syndrome HNPCC (Cancer colorectal héréditaire sans polypose). Cela n’a vraiment rien à voir ! Mais, nous avons choisi de conserver cette dénomination puisqu’elle avait déjà été largement vulgarisée.

 

Ces précisions étant faites, présentons ce qu’est ce « syndrome de Lynch » dont nous parlons.

 

D’abord, nous tenons à dire que nous nous sommes beaucoup appuyés sur les travaux du psychiatre Martiniquais, Frantz Fanon, qui a exposé de façon particulièrement lumineuse les symptômes liés à l’asservissement des peuples colonisés. En essayant de tenir compte de ses enseignements et en observant plus particulièrement la société martiniquaise, nous avons pu noter des caractéristiques qui, à cet égard, sont propres à notre communauté.

 

Chez une même personne :

 

- violence circulaire cohabitant avec une extrême générosité;

- autodénigrement systématique et, contradictoirement, culture du paraître,

- volonté de supplanter ses pairs et, en même temps, refus viscéral de la « pwofitasyion» ;

- rapport ambigu à la possession - « pa menyen bagay bétjé-a » dit cette personne quand on touche à ses propres biens !

- méfiance irraisonnée ou, au contraire, confiance trop facile;

- alternance de l’amour et de la haine envers de mêmes individus,

- hyper sensibilité, crainte exacerbée de l’abandon.

 

Tous ces symptômes se manifestent à des degrés divers, bien sûr, car, comme en cas d’attaque d’un virus, l’environnement et l’état de la personne touchée entrent en ligne de compte pour déterminer l’intensité de l’affection. Vous conviendrez avec moi queces comportements ambivalents sont très largement répandus dans notre communauté. Et si nous osons une introspection, nous réaliserons, peut-être, que nous pouvons être personnellement concernés.

 

C’est donc toute cette réalité là que nous englobons dans le syndrome de Lynch.

 

Ce qui est paradoxal, c’est que tous les traumatismes psychiques que nous avons cités cohabitent, presque toujours, avec une formidable capacité d’adaptation et un très grand pragmatisme. Ce que, dans le langage courant, hélas avec une connotation injustement péjorative, traduisent les termes « Konpè lapen» ou « débrouya ». Il n’est donc pas question, pour nous, de suggérer que l’aliénation décrite constitue le facteur majeur dans les comportements qui ont cours au sein de notre communauté. Il s’agit plutôt d’identifier certains blocages psychiques qui font obstacle à notre plein épanouissement individuel et collectif avec l’objectif de les surmonter.

 

Nous ne saurions y parvenir sans distinguer précisément les causes qui sont à la source de cette forme d’aliénation qu’est le syndrome de lynch.

 

La cause première réside dans les traumatismes liés au passé de la traite des noirs, de la mise en esclavage et de l’oppression coloniale. Ces barbaries ont eu un profond impact sur l’ensemble de nos sociétés en déstructurant les institutions et les économies des pays conquis, en piétinant les valeurs culturelles, philosophiques et religieuses des peuples.

 

 

Chez l’individu, lui-même, le maintien en servitude, les violences physiques et, surtout, la négation de son humanité entrainent forcément des conflits internes et des troubles psychiques. Cela a été démontré par des études relatives aux troubles qui affectent les personnes ayant subi la torture. Sur un autre plan, pour comprendre la nature ambigüe des relations entre les victimes et les classes dominantes dans notre société, on peut établir un parallèle avec le syndrome de Stockholm.

***

 

Quand nous disons que le syndrome de lynch gangrène encore notre société, certains, faisant valoir que l’esclavage relève d’un passé lointain et révolu, rétorquent qu’il s’agit la d’une affirmation « idéologique » à visée politique. Qu’en est-il vraiment ?

 

Ici, il s’agit de répondre scientifiquement à la question suivante : Existe-t-il des relations de causes à effets entre, d’une part, les traumatismes subis par nos ancêtres mis en esclavage et soumis à l’oppression coloniale et, d’autre part, les dysfonctionnements psychosociologiques de notre société actuelle ?

 

La question a été traitée dans le cadre du colloque organisé en octobre 2016 par le professeur Charles Nicolas sur le thème : « L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations? ». A cette occasion, la généticienne Ariane Giacobino a pu expliquer « comment un traumatisme psychique s’inscrit sur l’ADN et comment cette inscription se transmettait de façon épigénétique. Le patrimoine génétique n’est pas modifié mais l’expression du gène est soit stimulée soit inhibée. L’épigénome est donc sensible à l’âge, à l’environnement et donc aux traumas. Les travaux d’Ariane Giacobino montrent que les modifications épigénétiques se transmettent sur trois générations, tant du côté des descendants des esclaves que du coté des fils et filles d’esclavagistes. Les modifications de l’épigénome sont réversibles, reste à penser les articulations possibles avec la notion de résilience. » Nous avons cité là un extrait du compte-rendu publié sur le site Madinin-art.net.

***

 

Mais, au-delà des séquelles liées au passé, il faut insister sur la permanence des conditions génératrices de la maladie.

 

A ce stade de notre exposé, nous tenons à préciser que c’est l’ensemble de notre communauté, et pas seulement les populations afro-descendantes, qui est concernée par le syndrome de Lynch. Un regard lucide sur l’évolution de la société martiniquaise pendant et après la période esclavagiste peut en attester.

 

Chez nous, comme dans tous les autres territoires colonisés, pendant plus de trois siècles de domination directe, les institutions, les religions, l’école et les médias ont été instrumentalisés pour prôner l’idée de la supériorité de la «race blanche.» La civilisation occidentale a été présentée comme l’idéal à atteindre, pendant que toutes les autres étaient caricaturées, diabolisées et dénigrées. Les élites ont été éduquées, formatées, avec l’idée que les conceptions occidentales en matière d’organisation et de fonctionnement de la société, en particulier sur les plans politique et économique, étaient incontournables.

 

Comment serait-il possible que l’imaginaire collectif ne soit pas déformé quand :

 

- premièrement, dans l’environnement médiatique « l’autre » est non seulement omniprésent mais surtout hégémonique. C’est particulièrement le cas dans les représentations servies par le cinéma et la pieuvre télévisuelle.

 

- deuxièmement, la hiérarchisation raciale reste visible dans l’organisation sociale. L’encadrement dans l’administration et dans le privé en est une parfaite illustration.

 

- troisièmement, l’idée se maintient et s’exprime régulièrement que notre survie dépend de l’autre. La population s’entend dire quotidiennement qu’elle sombrerait dans la misère sans les aides sociales venant de l’extérieur et que, sans « l’autre », aucun développement économique n’est possible.

 

- quatrièmement, la vulgarisation de supports racistes n’a jamais vraiment cessé ; Le livre « Contes et légendes des Antilles » de Thérèse Georgel qui justifie la hiérarchisation raciste se trouve encore dans la bibliothèque de certaines écoles martiniquaises. Ceux de ma génération ont pu entendre chanter dans les colonies de vacances que les assassins de 6 jeunes filles à Paris étaient « noirs comme du cirage » ou Gérad Lavigny entonner sur l’ORTF que « nèg ni mové mannyiè ». Les manuels scolaires enseignent toujours que « l’Afrique est un continent pauvre », que l’Europe, celle qui aurait soi-disant inventé démocratie et liberté, lui viendrait en aide, pendant que de hauts dirigeants politiques déclarent que les Africains ne sont pas entrés dans l’histoire.

 

La propagande raciste est omniprésente dans les médias et dans la publicité

 

La hiérarchisation raciale reste visible

 

Une propagande infantilisante cache le pillage colonial

 

 

On ne peut douter que la psyché* de chacun soit impactée par l’environnement que nous avons décrit. (*Pour rappel : la Psychée, c’est ensemble des phénomènes psychiques qui forment l’unité personnelle d’un individu).

 

Consciemment ou inconsciemment, beaucoup s’évaluent par rapport aux canons de la beauté physique tels que promus par l’occident (couleur de la peau, grain du cheveu, forme du nez et des lèvres), mais aussi par rapport à ses codes vestimentaires ou ses pratiques culturelles. Beaucoup de politiciens ne conçoivent l’aboutissement de leur être qu’en endossant le costume d’élu de « la République ». La perception que la personne a d’elle-même s’en trouve biaisée.   

  

 

   

C’est sur l’ensemble de la population que pèse la chape idéologique

 

Ce qui reste sûr, en tout cas, c’est que plus on se sera rapproché du modèle, plus on se sentira valorisé. Mais plus on se sera écarté de ce qu’on est vraiment et plus on sera psychologiquement fragilisé. L’estime de soi est inconsciemment affectée et cette situation donne facilement prise au mal-être, voire à des troubles psychiques plus ou moins graves.

 

Maintenant, nous aborderons les conséquences qu’a le « syndrome de Lynch », sur l’ensemble de notre société, par son caractère endémique.

 

D’abord sur le plan économique, c’est l’une des racines du mal-développement. On imagine aisément l’impact ravageur que peut avoir une forme d’aliénation qui conduit la majorité à consommer des produits exogènes (Y compris culturels) ne correspondant pas vraiment à ses besoins et à son environnement. Cela, dans une société où les injustices liées à l’embauche, à la rémunération et aux conditions de travail ne permettent pas l’utilisation des compétences locales, atrophient les ambitions et entrainent souffrance et démotivation dans le travail. On peut également évoquer l’importance des dépenses publiques, dans le domaine de la santé, qui relèvent de situations provoquées par les troubles psychiques et le mal être.

 

Copier le modèle de l’autre, cela a des conséquences dévastatrices
sur la cohésion sociale et sur le développement économique endogène.

 

Les conséquences sont désastreuses également en matière de santé publique. Alimentations inadaptées, utilisation de produits cosmétiques dangereux, toxicomanies liées au mal-être minent massivement les populations. A cet égard, la mise sur le marché de crèmes blanchissantes que l’on sait cancérogènes relève d’un crime contre l’humanité dont il faudra punir les coupables tôt ou tard.

 

Sur le plan social, les dégâts ne sont pas moindres. Deux exemples significatifs nous permettront de l’illustrer :

 

Le premier concerne le caractère très souvent conflictuel des relations au sein des couples et, plus généralement, dans les familles. Les comportements attendus pour manifester l’amour en leur sein sont dictés par la culture occidentale mais sont, le plus souvent, en déphasage avec ceux qui avaient cour dans nos cultures ancestrales.

 

Le deuxième exemple peut être pris dans le secteur de l’enseignement où, il est facile de le démontrer, le niveau record atteint par ce qu’on qualifie d’ « échec scolaire » a pour principale explication la permanence d’un système entretenant le sentiment d’infériorité chez les « apprenants » et, donc, générant le syndrome de Lynch et non pas, comme le répètent les prisonniers de l’autodénigrement, le fait que les parents auraient « démissionné» ou que les élèves «ne respecteraient plus rien».

 

Le contexte général que nous avons décrit rend particulièrement difficile la recherche de réponses collectives au problème du développement endogène de notre pays.

 

***

 

Mais si la présentation du « syndrome de lynch » nous a contraints à aborder des sujets quelques peu déprimants, notre réalité, fort heureusement, n’est pas que celle-là !

 

Que ce soit pendant la période esclavagiste ou encore dans celle qu’il a vécu jusqu’à aujourd’hui, le peuple martiniquais, comme tous les autres peuples, a fait preuve d’une formidable capacité de résistance ; dans notre pays, comme dans tous les autres, les hommes et les femmes ont prouvé une spectaculaire aptitude à la résilience.

 

A cet égard, il est intéressant de citer Silyane LARCHER qui, dans son ouvrage « L’autre citoyen », que je vous invite tout particulièrement à découvrir, nous rapportait ceci :

 

« Loin de coïncider avec l’image, certes romantique, mais réductrice et trompeuse du marron, la lutte des esclaves contre la domination prend donc plutôt le contenu d’une connaissance fine et astucieuse des règles de leur société. Elle s’exprime à travers leur maîtrise dans l’art de les contourner, par la négociation, la stratégie, voire l’adaptation, en vue de se ménager un espace relatif d’autonomie personnelle et ainsi rendre plus supportable le quotidien. Surtout, dans cette configuration sociale complexe prenait corps la conscience diffuse que la position dominante des maîtres pouvait être modifiée ou affaiblie. En un mot l’autorité des maîtres pouvait être attaquée. En fonction des contextes historiques, dans des îles dont la vie sociale était rythmée par les échanges maritimes, la circulation des idées politiques, des nouvelles, voire des rumeurs, jouerait un rôle central dans la perception que les esclaves faisaient des rapports de force engageant la possible fin de leur sujétion, mais aussi in fine dans la transformation éventuelle de leur société. »

 

La mise en œuvre par les personnes esclavagisées de stratégies pour imposer leur humanité, pour s’arrimer à leurs racines et préserver leur culture, n’a jamais cessé. Noms savane, maintien de pratiques animistes, dénigrement des maîtres et de la culture de ceux -ci, en sont autant de manifestations. Ces stratégies ont été favorisées par l’importance objective de leur rôle dans la société et la reconnaissance subjective de celui-ci. Nous pensons ici aux « Nègres à talents », aux guérisseurs, aux « Associations serviles » ou au pécule.

 

En dépit du système esclavagiste et de la domination coloniale un socle culturel solide a pu être préservé et constamment enrichi, se traduisant par exemple, par la création de la langue créole, de danses et de musiques originales, mais aussi par le développement d’alternatives économiques et sociales salvatrices.

 

 

 

La question qui nous est posée, aujourd’hui, c’est celle de l’émancipation.       

 

Avec Alain ACCARDO, nous croyons que, je cite, «Il n’y a pas d’émancipation possible sans la prise de conscience explicite de ce par quoi on est asservi et, plus fondamentalement, sans la conscience même de l’asservissement jusque là étouffée, anesthésiée par les habitudes et le poids des conformismes.» C’est ce qui nous a conduits à décortiquer le syndrome de Lynch, l’une des aliénations que nous devons impérativement éradiquer.

Nous avons déjà énoncé notre objectif qui est de surmonter les blocages psychiques qui font obstacle à notre plein épanouissement individuel et collectif. La difficulté est, qu’ici, Il n’y a pas de « psy » en face de patients. C’est l’ensemble de notre communauté qui en subit les effets ; la prophylaxie doit donc être collective et globale.

 

En matière d’émancipation sociale, il n’existe pas de touche « delete » qui permettrait d’effacer les programmes défectueux de la conscience. L’alternative est d’amplifier le processus d’autoréparation qui, nous l’affirmons, est déjà en cours. Le phénomène « Nappy hair» en est un révélateur.

 

Nous parlons du processus qui permettra :

 

-  de changer notre regard sur nous-mêmes et sur les autres,

- de débusquer et d’évacuer toute forme de mimétisme en ce qui concerne notre mode de vie, les choix relatifs à l’organisation sociale et au développement économique, la conception de l’éducation et de l’enseignement, etc.

-  de changer de paradigme dans l’interprétation et l’analyse des situations ainsi que dans la gestion des conflits (par exemple entre hommes et femmes, adultes et enfants, enseignants et élèves, entre corps de métiers, etc.), d’abandonner donc les postures de juge et de moraliste ou de donneur de leçons.

 

Ceci nous amène à notre conclusion.

 

Avec Frantz FANON, nous croyons que, pas plus que l’oubli, ni la victimisation ni les désirs de vengeance posthume ne sauraient nous conduire à l’émancipation, encore moins à l’épanouissement. « La densité de l’Histoire, disait-il dans « Peau noire et masque blanc », ne détermine aucun de mes actes. Je suis mon propre fondement. Et c’est en dépassant la donnée historique, instrumentale, que j’introduis le cycle de ma liberté. ».

 

Autrement dit, ce sont nos actes d’aujourd’hui qui nous permettront

 

- de nous défaire du syndrome de Lynch comme de toutes les autres aliénations,

- de surmonter tout obstacle à notre émancipation et à notre épanouissement individuel et collectif,

- et donc de porter notre contribution au progrès de l’entière humanité.     

 

An sèl dwèt pa ka trapé pis èk Fonmi chayé ravèt.

 

- Conseil National des Comités Populaires (CNCP)

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/196341
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